Sat. Nov 23rd, 2024

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Ce qu’il faut craindre…

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Par Juno Jean Baptiste
Twitter: @junopappost

Presque tout en Haïti distille un parfum de déjà-vu. C’est malheureusement le drame perpétuel d’un pays «amoureux» de ses malheurs, de ses rendez-vous manqués, de ses opportunités galvaudées, de ses retards, de ses immobilismes… Les historiens, du moins ceux qui sont appelés à narrer ces dernières décennies, n’auront point à se creuser les méninges: presque tout ramène au même ici; il s’agit de l’histoire d’une République à la dérive, prise en otage par une petite clique d’oligarques, de jouisseurs, refusant tous de voir les feux du volcan qui se consument sous leurs pieds.

Il y a depuis peu une colère – qui n’est certes pas nouvelle – qui gronde: la vie est chère. Il fallait s’y attendre. Depuis les émeutes de juillet 2018, et même bien avant, Haïti navigue à vue. On est en plein cœur d’un «État imaginaire» incapable de se soutenir. La monnaie nationale se dévalorise. L’inflation galope. Les déficits budgétaires s’accumulent. Ceux qui sont pauvres deviennent plus pauvres et les moins pauvres deviennent pauvres. Les inégalités sociales s’exacerbent. La vraie crise, donc, elle est économique. Qui n’en fait pas les frais dans un pays de près de 5 millions de pauvres? Qui n’en fait pas les frais dans un pays où il n’existe pas réellement de frontières entre les «prolétaires» et les «classes moyennes»?

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L’échec d’Haïti, à chaque fois qu’on y colle des noms, des visages, des régimes politiques, certains s’enragent. Comme si la République s’était transformée en une «entité ingouvernable» de part elle-même, comme si ne pas investir dans la production nationale n’était pas un choix assumé. Ces dernières années, le régime PHTK a enfoncé le clou dans les plaies, détruit les institutions, inventé une caravane de «changement imaginaire», poussé des dizaines de milliers d’Haïtiennes et d’Haïtiens à l’immigration de survie et condamné des milliers d’autres au chômage par sa gestion calamiteuse de l’argent du PetrocCaribe qui coula à flot sur l’île pendant près de dix ans. C’est un drame cruel dont il faut sans cesse se rendre compte.

Mais, à y regarder de plus près, à considérer toute cette longue litanie des années perdues, il y a tout un écosystème socio-politico-économique à épingler pour mieux comprendre les vraies «causes de nos malheurs». Un pays qui exporte très peu et qui importe presque tout est condamné à faire face en permanence à des moments de turbulences liés essentiellement au coût de la vie. L’inflation à laquelle on fait face n’est pas une invention des génies d’Hollywood. Elle est réelle. Elle est en plein cœur des familles. Elle accable, désoriente et tue. Elle est cautionnée par une certaine élite multiforme (politiques rentiers et hommes d’affaires) qui s’en gargarise, accumule de l’argent facile dans la contrebande, dans l’évasion fiscale, dans les transferts de la diaspora et qui se contrefout du sort des autres.

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Les Haïtiennes et les Haïtiens souffrent. Comme ici, les statistiques sur des questions essentielles sur notre vie de peuple relèvent de la science-fiction, et que même l’IHSI cesse de publier les indicateurs économiques depuis bientôt neuf mois, il est difficile, voire impossible, de coller des chiffres à cette tragédie que la crise du coronavirus n’a fait qu’accentuer. Mais une chose est sûre: des entreprises ferment boutique, des gens sont jetés au chômage dans une Haïti qui ne crée pas d’emploi, alors même que sa croissance démographique va grandissant. Sans compter les armées de gens oubliés qu’on ne compte jamais dans la République. La colère couve, monte et risque d’exploser comme un boomerang à la figure de ceux qui soutiennent cet ordre inique.

Comme on l’a dit à Port-au-Prince Post, il y a bientôt trois mois, ce n’est pas tant le coronavirus qui nous tuera ici, mais plutôt la cherté la vie. Quand un pays se livre à des élites aveugles et sourdes, ce qu’il faut craindre, ce n’est pas le coronavirus, mais plutôt un un éclatement social, et, pire encore, une guerre civile aux conséquences incalculables. Ce qu’il faut craindre est beaucoup plus effrayant que les émeutes des 6 et 7 juillet 2018. L’histoire d’Haïti est elle-même mouvementée. À chaque cycle, son lot de victimes, de cauchemars. Et puis, après, les vielles habitudes reprennent souvent le dessus. Comme si de rien n’était. Voilà ce qu’il faut craindre…


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