Wed. Apr 24th, 2024

Port-au-Prince Post

Informer Pour Changer

Ce n’est pas tant le coronavirus qui nous tuera en Haïti

3 min read

Image: CNet

Partagez cet article:

Par Juno Jean Baptiste
Twitter: @junopappost

Ça fait plus de deux mois depuis que le
nouveau coronavirus, dans sa progression planétaire, retarde les marchés boursiers, affecte, entre autres, le commerce international, la mode, le tourisme et le sport. Plus que la peur qu’il génère, surtout dans une Haïti au système de santé hyper-défaillant, le Covid-19 est une de ces épidémies et autres tribulations qui nous rappellent sans cesse les limites du capitalisme mondialisé, les vulnérabilités de nos multiples chaînes de production sino-centrées.

Au-delà de ses conséquences déjà chiffrées à des milliards de dollars sur l’économie mondiale, le Covid-19 passe à l’examen les systèmes de santé les plus sophistiqués, interrogeant aussi bien les dirigeants des pays les plus riches que ceux des pays les plus pauvres et/ou appauvris. Il écrase les barrières, torpille les préjugés et nous renvoie à une relative égalité.

Aucun pays n’est à l’abri. Ici, en Haïti, ceux qui se gavent de l’argent public depuis des années sans jamais daigner construire un hôpital moderne devraient s’en mordre les doigts, d’autant plus que le virus est à nos portes, chez nos voisins de l’Est, et que son intrusion sur le territoire national n’est plus une équation imaginaire.

Mais, par dessus-tout, ce n’est pas le coronavirus, dont le taux de mortalité ne dépasse pas les 3%, qui tuera ici. À preuve, les seize personnes infectées au Vietnam ont toutes été guéries alors qu’aucun nouveau cas n’y est signalé jusque-là. Le vrai virus est la corruption qui tue et qui continuera à tuer. Cette corruption endémique qui nous prive d’hôpitaux de référence (10 ans déjà que le processus de reconstruction de l’HUEH languit), de dispensaires et centres de santé standard dans l’arrière-pays, d’un bon ratio de médecins et d’infirmières par millier d’habitants.

Le vrai virus, celui qui tue, est l’instabilité politique savamment entretenue par des politiques, suppôts de l’élite économique. Le vrai virus est la cherté de la vie, l’inflation à deux chiffres (20%), le dollar américain qui gobe la gourde (presque 100 gourdes pour un dollar). Le vrai virus, celui qui tuera, est l’inefficacité (l’inexistence dans de larges portions du pays en dehors) du système de santé.

Advertisement

Le vrai virus, celui qui tue et tuera, est l’insécurité alimentaire qui renvoie dans les cordes près de cinq millions d’Haïtiens. Le vrai virus, celui qui tue et tuera, est ces millions d’Haïtiens, logés au rayon du chômage, et dont beaucoup ne barguignent pas à partir à bord de frêles paquebots à destination des côtes incertaines de Bahamas et des Îles Turks and Caicos.

Le vrai virus, celui qui tue des projets et des vies, est l’absence de continuité dans l’appareil étatique. Le vrai virus est le manque d’humanité d’un chef qui peut lui retourner, comme un boomerang, en pleine figure, si demain il tombe malade du coronavirus et qu’il devra se rendre, comme le citoyen lambda, dans cet hôpital crasse sans bistouri, sans papier de bandage, sans bonbonne d’oxygène, bref sans la moindre logistique de base, qu’il a passé des années à narguer.

Le coronavirus pourrait avoir des vertus pour le moins nobles comme celle de participer au processus de mise à nu des faiblesses structurelles d’un État qui est en fait une illusion mais dont le vernis de la propagande se chargeait d’occulter jusque-là le statut de zombi…


Partagez cet article: