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Les fantômes vivants

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Crédit Photo: Philippe CHARLIER

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Par Juno Jean Baptiste, 23 Septembre 2019

Le pays se meurt. Pour être moins alarmant, il gémit dans les couloirs de la mort. Il n’est pas dirigé tout simplement. Haïti ressemble depuis longtemps déjà à un paquebot déglingué, sans capitaine, chancelant sur une mer en furie et dont le naufrage serait calculé par avance dans les officines impénétrables des « élites » économiques et politiques pourries. Les institutions sont à genoux. La société civile, du moins ce qu’il en reste, est prise en otage par les magnats du pouvoir politique. Cette dernière est incapable de proposer une alternative viable. Les syndicalistes, les ouvriers, les étudiants et les intellectuels seraient de parfaits spectateurs du déroulé du film de nos drames collectifs qui semblent insurmontables.

” Haïti ressemble depuis longtemps déjà à un paquebot déglingué, sans capitaine, chancelant sur une mer en furie et dont le naufrage serait calculé par avance dans les officines impénétrables des « élites » économiques et politiques pourries.”

La République est en mode «lòk» depuis plusieurs semaines. Cette fois-ci, ce n’est pas le bas peuple miséreux des quartiers oubliés ni des politiques qui avaient appelé à fermer les rues ou bloquer les routes. Ce sont plutôt ceux qui sont censés tenir les rênes du pays qui l’ont mis en état de siège, en nous cousant de fil en blanc une crise de carburant à la gueule. Rareté contrôlée ou stratégie d’ajuster les prix de carburants à la pompe ? La question importe peu. Le mal est déjà fait. Et ce sont les plus pauvres qui en pâtissent le plus, comme souvent à chaque crise dans la très tourmentée Haïti. On attend encore les chiffres des économistes de service concernant les millions de dollars américains que ces « jours fermés » ont ravi à notre économie.

Les Haïtiens sont devenus un peuple de fantômes vivants, incapables de se révolter face à l’indignité. Il y a une tendance à la normalisation du mal. La carte « Dermalog », quoiqu’au cœur d’une vaste opération de corruption orchestrée, selon toute vraisemblance, par la femme du président de la République (selon un rapport du Sénat), est annoncée comme la seule valide sur le territoire à partir de 31 décembre. Et ça passe alors même qu’une enquête judiciaire devrait précéder une telle décision. Le Palais national et ses suppôts ont déployé de grands moyens pour faire avaler ce lundi la politique générale d’un Premier ministre soupçonné de corruption et ça semble normal. C’est à croire qu’être corrompu serait une vertu dans la république bananière de Jovenel Moïse.

Les intermittents coups de colère de quelques citoyens sur Twitter ou sur Facebook ne sauraient guère suffire à «chavire chodyè a», pour reprendre le ras-le-bol de la pauvre dame [ qui ne réclamait que son droit à la vie, NDLR] dont la vidéo a cartonné sur le net la semaine écoulée. Il en faut plus et beaucoup plus pour mettre l’ordre inique en déroute. Et aussi longtemps que le petit cercle des gens de bonnes intentions de ce pays ne le comprendra pas, aussi longtemps subsistera le cycle infernal de la corruption et de tous ses corollaires…

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