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2020 : Haïti à la croisée des chemins

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Par Juno Jean Baptiste
Twitter : @junojeanbaptist


La République haïtienne est à la dérive. Lentement mais sûrement, ceux qui tiennent le gouvernail, hier et aujourd’hui, l’ont littéralement conduite dans des impasses politiques et dans un marasme économique dont elle peine à se dépêtrer. Ils semblent le faire avec passion, voire avec minutie, à défaut de s’appliquer à penser le présent, dessiner l’avenir et rendre le pays vivable pour tous. Ici, chaque jour qui s’éteint se ressemble à celui qui s’en vient. Les mêmes maux séculaires persistent, c’est comme si le passé est le présent, le présent est hier et le futur est aujourd’hui et qu’Haïti serait condamnée à être toujours prisonnière de ses démons. 

2020 nous rappelle tristement que le décor du drame est récurrent, faute par nous de pouvoir exorciser les vieux démons. Dans quelques jours, le parlement sera dysfonctionnel, comme en 2015 sous Martelly, comme au temps de René PREVAL en 1999. Les années ont beau changer, mais les crises politico-électorales demeurent une constante de notre histoire. Cette année, les députés partiront et un ou deux tiers des sénateurs aussi (la question fait encore l’objet d’une controverse juridico-politique). Pour le Palais national, qui a déjà déployé sa campagne de communication, le pays se réveillera le lundi 13 janvier avec 19 sièges vacants au Sénat, sans l’ombre d’un doute. Jovenel Moïse s’apprête à disposer tout seul de tous les leviers du pouvoir. Si certains observateurs parlent d’un saut vers l’inconnu, les ouailles du Palais national, sous l’emprise d’une euphorie née de la banalisation de l’histoire, soutiennent que ce n’est pas nouveau et que Michel Martelly a dirigé par décret en 2016. 

Haïti est abonnée à ces crises répétitives. Ceux qui devraient s’en inquiéter semblent plutôt s’en réjouir parce qu’il y aurait des gains politiques à engranger, comme le départ de quelques sénateurs de l’opposition, ardents pourfendeurs du pouvoir PHTK. Mais le problème demeure beaucoup plus profond. Il tient  sa source, glisse le professeur de droit Monferrier Dorval, dans la constitution. «Il faut changer la constitution et on doit le faire sans le Parlement», soutient, dimanche après-midi, le professeur, interrogé par Port-au-Prince Post. La problématique de la constitution reste en effet l’un des enjeux majeurs de cette année. Des politiques, de tout camp, semblent reconnaitre unanimement qu’il nous faut une réforme constitutionnelle. Ce qui divise en revanche est la façon d’y procéder. 

Le président Jovenel Moïse, qui aura survécu à de nombreuses zones de turbulence provoquées par lui-même, pour la plupart, n’est pas forcément à l’abri de tous les obstacles qu’aucune promesse ne fera disparaître. Il est donc attendu au tournant, comme tous ses prédécesseurs dont le sens de l’abnégation et de la transcendance a été rudement mis à l’épreuve. Certes, avec le dysfonctionnement du Parlement, l’essoufflement apparent de l’opposition qui aura multiplié les maladresses ces derniers temps, Moïse semble disposer d’un boulevard pour imposer ses quatre volontés, nommer par simple arrêté présidentiel certains de ses fidèles sympathisants comme agents intérimaires et retarder l’échéance de l’explosion de la colère populaire dont la légitimité n’est plus à démontrer.

Mais qu’à cela ne tienne. Dans l’histoire contemporaine haïtienne, les risques sont davantage énormes pour tout chef d’État qui dispose à sa guise du plein pouvoir de décider. Le président de la République ne devrait pas l’oublier, lui qui serait sur le point de s’empresser, selon nos sources, à constituer un gouvernement le lendemain de la date fatidique du deuxième lundi de janvier. Il pourrait même nommer un de ses hommes Premier ministre en narguant l’opposition qui semble n’être plus en position de force. Il pourrait, le syndrome d’hubris aidant, monter un gouvernement à la sauce PHTK sans faire l’ouverture dont il scandait les vertus en plein cœur du ‘’peyi lòk’’. Mais, faut-il bien le souligner, l’entreprise n’est pas sans risques et périls, à moins que l’homme de la banane soit un amoureux des commotions politiques. 

Sur la question des élections, difficile d’envisager les partis politiques d’opposition prendre part à une aventure électorale avec Jovenel Moïse au Palais national, tant la crédibilité de celui-ci est au plus bas. Cependant, l’histoire politique contemporaine regorgeant d’exemples de retournement de veste spectaculaire, il n’est que d’attendre. Par-dessus-tout, ce qui est certain, c’est qu’Haïti ne saurait se permettre le luxe de se passer des élections cette année, élections qui sont censées pourvoir au renouvellement du personnel politique tant du parlement que des collectivités territoriales. Mais, de grands inconnus persistent à compliquer l’équation de nos malheurs. Avec quel CEP ? Quelle loi électorale ? Quels partis politiques ? Si les Phtkistes historiques et radicaux jubilent devant le vide institutionnel qui se profile à l’horizon, Haïti joue gros cette année dans la mesure où, au-delà des rivalités politiques triviales, la nouvelle décennie est encore peuplée des mêmes cauchemars biséculaires condamnant des millions de nos compatriotes à la déshumanisation la plus abjecte.

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Les massacres de la Saline, de Bel Air, les dossiers de corruption (dossier Petrocaribe et l’affaire Dermalog et autres) constituent autant de sujets épineux qui cristallisent à eux seuls les déboires d’un pouvoir englouti par les scandales. Ce sont autant de casseroles qui trainent dans les basques du pouvoir et qui, comme la pesanteur, attirent celui-ci vers le centre des convulsions politiques. Jovenel Moïse, épinglé dans le rapport de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA) dans le dossier Petrocaribe, devrait montrer des signes que la justice n’est pas aux ordres. Mais le pari semble illusoire. Suivant le rapport officiel de la CSC/CA, la part du lion des fonds Petrocaribe a été dépensée (dilapidée ?) sous les huit ans du pouvoir PHTK. Petrochallengers, politiques, comme beaucoup d’autres citoyens, continuent, entre-temps, d’exiger la démission du président pour la tenue de ces procès. 

Les conditions de vie de la population continuent de se dégrader. En trois ans, Jovenel Moise n’a fait qu’enquiller des promesses à tout-va. Beaucoup d’Haïtiens, déjà pauvres, sont jetés au chômage à cause de la crise. L’inflation est toujours galopante (plus de 20%). Le déficit budgétaire vertigineux. La gourde continue à perdre de sa valeur. Beaucoup d’Haïtiens laissent sans cesse le pays à bord des embarcations de fortunes à la recherche d’autres cieux plus cléments, quand plusieurs centaines d’autres illégaux se font régulièrement rapatrier par la République voisine. L’Etat haïtien, unique pourvoyeur de richesses sur la base de corruption, de népotisme et de passe-droits, est l’objet de toutes les convoitises, de tous les fantasmes. Les élites économiques s’enferment encore dans les frontières de la rente. La production nationale languit. Sans oublier le spectre des catastrophes naturelles (cyclone, séisme…) qui peuvent narguer nos douleurs à tout moment. De sombres nuages s’amoncellent sur Haïti.

Ce n’est que l’année qui est nouvelle. La crise socio-économique et politique demeure entière. Et ça ne va pas changer comme par un tour de magie lorsqu’on sait que les bailleurs de fonds internationaux sont réticents à mettre la main à la poche pour « soutenir » notre économie exsangue sans qu’un gouvernement légitime ne soit installé. Malgré la reprise régulière des activités quotidiennes notamment la réouverture des classes, l’épée de Damoclès des agitations politiques est encore suspendue sur Haïti. Avec près de 5 millions d’Haïtiens en insécurité alimentaire dès mars 2020 (selon l’OCHA), le risque de convulsions politiques et sociales n’est pas loin. On aura beau échanger des vœux de bonheur pour 2020. Mais rien de nouveau ne poindra à l’horizon sans l’émergence d’un leadership collectif à la mesure des défis pendants qui minent notre pays depuis des décennies.


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