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Foire d’art et d’artisanat : pari réussi pour l’ambassade d’Espagne en Haïti

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Par Juno Jean Baptiste

Les groupes criminels rendent le fonctionnement du pays anormal. Les gens se pressent de rentrer chez eux avant 7h du soir. On évite autant que faire se peut toutes les zones tombées aux mains des bandits armés. Les routes nationales sont régulièrement inaccessibles. Triste tableau d’un pays en totale déperdition.

Aucun secteur de la vie nationale n’est épargné par cette situation de guerre qui prévaut en Haïti. Les artisans du Village Nouailles de Croix des Bouquets voient leur clientèle fondre comme de la glace au soleil, parce que toute la plaine (la région) est quasiment devenue la chasse gardée des gangs sans foi ni loi.

C’est dans ce contexte particulier que l’ambassade d’Espagne en Haïti, conjointement avec AfricAmericA et l’association des artistes et artisans de la Croix des Bouquets, avait décidé de venir à la rescousse des artisans du Village Nouailles, en organisant du 17 au 18 mai une foire d’art et d’artisanat à El Rancho, Pétionville.

Celle-ci a réuni plusieurs dizaines d’artisans haïtiens. Ces derniers, pétris de talents, capables de produire des miracles à partir d’un banal morceau de fer ou tout autre objet insignifiant, ont exposé leurs œuvres durant deux jours sur l’esplanade de l’hôtel. «Sublime. Combien coûte ce casier à bouteilles?», s’émerveille un expatrié, s’adressant à l’artisan Ronald Jeudy.

Ce dernier, qui excelle dans l’art du fer découpé depuis des années, lui répond d’une voix serpentine: «400 dollars américains!» S’ensuite une longue conversation. Ronald Jeudy compte ne pas abandonner la Croix des Bouquets aux gangs. «Ce sont les bandits qui doivent capituler. Nous œuvrons dans la plaine bien des années avant eux.»

L’homme, t-shirt blanch, chapeau de paille vissé sur sa tête, vit de son métier. Ces derniers mois, explique Ronald Jeudy, nous survivons grâce aux commandes de l’étranger. «À cause de l’insécurité, les clients ne viennent plus à Village Nouailles», dit-il, soulignant que les deux journées ont été «plus ou moins bonnes» pour lui en termes de vente.

Il faut dire que la pratique du fer découpé est une passion pour les artisans de Village Nouailles. Plus qu’un gagne-pain, plus qu’un mode de vie. C’est un exercice du cœur, c’est quelque chose de très intime dont on ne se débarrassera jamais. «Jamais nous n’abandonnerons le village. On a trop de vécus là-bas», soutient Ronald Jeudy, qui espère voir le retour des clients.

Pas sûr que cela arrivera sous peu. L’emprise des groupes criminels sur le territoire ne souffre jusqu’ici d’aucune anémie. Tout au contraire. Et c’est là toute l’importance de l’initiative de l’ambassade d’Espagne en Haïti. Pendant deux jours, les artisans ont pu tout au moins oublier le chant lancinant des balles, écouler quelques produits, nouer des contacts avec des visiteurs étrangers et haïtiens et espérer qu’un jour Village Nouailles retrouvera ses lettres de noblesse.

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Depuis des mois, la violence des gangs ultraviolents a grandement affecté les activités des artisans du Village Nouailles à Croix des Bouquets. Ces sourires gais aperçus sur les visages des artisans derrière leurs étals sur la cour de l’hôtel ne dureront pas puisqu’ils devraient retourner dans leur antre, là où les bandits font la loi.

Ce n’est pas la visite du Premier ministre Ariel Henry au premier jour de la foire qui y changera grand-chose. Rien n’est moins sûr. Le neurochirurgien, sur son compte Twitter, s’est contenté de dire : «Ma présence à l’exposition “Solidarité Noailles”, une initiative de l’ambassade d’Espagne, témoigne de ma solidarité aux artisans et aux artistes de la Croix-des-Bouquets dont la vitalité créatrice indique la voie pour relancer la culture et l’économie nationales.» La ministre de la Culture et de la Communication, Emmelie Prophète, était également remarquée. Elle était venue témoigner de son soutien à la communauté des artisans.

Étaient également présents à la foire d’art et d’artisanat à El Rancho, la ministre haïtienne du Tourisme, le ministre haïtien des Affaires sociales et du Travail, le ministre des Affaires étrangères, plusieurs diplomates des missions diplomatiques accréditées à Port-au-Prince et des entrepreneurs.

L’ambassadeur d’Espagne en Haïti, Sergio Cuesta Francisco, a souligné que la foire a été «un grand succès». En interview exclusive avec Port-au-Prince Post, il soutient que son pays a toujours été engagé en faveur des artisans haïtiens.

«Il existait déjà une petite exposition permanente qui est aussi un point de vente au bureau technique de coopération qui se trouve à Pacot. Les artisans peuvent y exposer leurs travaux. Les visiteurs pourraient en acheter. Et après, le bureau technique rend l’argent aux artisans», a détaillé l’ambassadeur Sergio Cuesta Francisco.

«C’est un pays d’artistes. On va continuer à soutenir les artisans», a indiqué le diplomate à Port-au-Prince Post.


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