Mon. May 20th, 2024

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Que faut-il comprendre du coup de gueule de Daniel Foote?

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Par Juno Jean Baptiste
Twitter : @junopappost

Depuis peu, on ne parle presque que de Daniel Foote dans les sphères politiques haïtiennes. L’envoyé spécial des États-Unis en Haïti, nommé fin juillet avec pour mission de collaborer avec les partenaires haïtiens et internationaux en vue de faciliter la stabilité à long terme et d’appuyer les efforts visant à organiser des élections en Haïti, a annoncé sa démission au secrétaire d’État américain.

Daniel Foote s’est notamment insurgé contre les traitements inhumains infligés aux migrants haïtiens dans la ville frontalière américaine, Del Rio. «Le peuple haïtien, embourbé dans la pauvreté, otage de la terreur, des enlèvements, des vols et des massacres de gangs armés et souffrant sous un gouvernement corrompu avec des alliances de gangs, ne peut tout simplement pas supporter l’intrusion forcée de milliers de migrants de retour sans nourriture, sans abri et sans argent», écrit-il, incisif.

Dans ses récriminations, le diplomate n’a pas ménagé son pays. Il soutient que «l’approche politique américaine envers Haïti reste profondément imparfaite». Celui qui a effectué pas moins de deux missions en Haïti ces deux derniers mois en vue d’aider à débroussailler le terrain politique a indiqué que «ses recommandations ont été ignorées et rejetées».

«Ce que nos amis haïtiens veulent vraiment, et ce dont ils ont besoin, c’est l’opportunité de tracer leur propre voie, sans marionnettes internationales et sans candidats privilégiés mais avec un véritable soutien pour cela», analyse l’ambassadeur Daniel Foote, sans langue de bois

Faire rare, Daniel Foote a mis de côté la cocarde diplomatique pour laisser libre cours à une critique acerbe de la politique des États-Unis en Haïti, et, plus largement, de toute la communauté internationale. «Les interventions politiques internationales en Haïti ont constamment produit des résultats catastrophiques», constate-t-il.

L’envoyé spécial n’a pas fait dans la demi-mesure. C’est trop rare pour ne pas être souligné. Un haut diplomate américain qui s’en prend ouvertement à la politique extérieure de son pays en des termes si crus. Cela n’arrive pas souvent. Et c’est là toute la portée, toute la dimension symbolique de la sortie de Daniel Foote. À court terme ou à moyen terme, cela peut-il changer grand-chose dans la structure des rapports qu’entretiennent les États-Unis avec Haïti? Pas sûr.

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Il y a plus de dix ans, soit en décembre 2010, Ricardo Seitenfus, ancien représentant permanent de l’OEA en Haïti, avait vertement dénoncé la politique de la communauté internationale en Haïti dans une interview accordée au Temps (un quotidien suisse). Il en a même écrit un magnifique livre des années après, soit en 2015.

Daniel Foote, lui, s’est particulièrement accentué sur l’échec de son pays en Haïti, notamment durant ces deux derniers mois. Jamais un diplomate américain de haut rang n’a été aussi virulent envers son pays. Daniel Foote a cassé tous les codes du «diplomatiquement correct» dans sa lettre de démission. C’est désormais un précédent d’une énorme signification.

Foote dit avoir également constaté que les «ambassades des États-Unis et d’autres à Port-au-Prince ont continué à supporter “l’accord politique” proposé par le Premier ministre Ariel Henry sur un autre accord plus large porté par la société civile (l’accord de Montana).» Sa démission est-elle due au fait qu’il n’était pas parvenu à imposer son agenda? Le diplomate américain est-il une victime des jeux de contradictions qui caractérisent aussi bien les cartels politiques que les cartels diplomatiques de Port-au-Prince ? Rien n’est moins sûr.

Ce qui est sûr en revanche est que la crise haïtienne, plus de deux mois après l’assassinat de Jovenel Moïse, reste entière et que l’international et les acteurs haïtiens n’en finissent de s’emmêler les pinceaux dans le marigot politique haïtien.


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