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Sauver Haïti ?

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CP: Jeanty Junior Augustin

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Par Juno Jean Baptiste
Twitter: @junopappost

Une dame d’âge mûr, mouchoir noir noué sur la tête, front perlé de sueur, crache sa colère et son envie de vivre sur Télé Pacific, le mercredi 18 novembre, lors de la manifestation de l’opposition politique. «Je n’en peux plus vivre dans ce pays. J’ai des enfants qui y grandissent. Nous avons besoin de la sécurité… Il faut sauver Haïti !», dit-elle, en créole, la voix éraillée. Sa déclaration avait peut-être bien pu bien attirer l’attention de ceux plantés devant leur TV en cette journée mouvementée pour suivre le déroulé des drames du présent expliquant, du moins en partie, le cycle infernal du mal haïtien.

Sauver Haïti? Cette dame a voulu se persuader d’avoir son mot à dire sur son pays qu’elle a appelé à sauver. C’est à croire que, dans ses yeux de citoyenne ordinaire, le pays serait la métaphore d’un paquebot sans gouvernail en train de s’écrouler, avec, à son bord, les riches, les pauvres, les gueux, les lettrés, les pieds nus des campagnes, les sans abris et tous ceux qu’on n’oublie et qu’on ne compte pas. En moins d’une minute, elle ne s’est pas fait que la porte-voix de ceux et celles jetés dans les marges d’une société abonnée aux malheurs. Elle a parlé pour Haïti. Et non pour une Haïti.

Elle veut espérer alors même que tout, autour d’elle, concourt au désespoir. Il y a des millions de gens qui vivent la même chose que cette dame, qui sont enragés de voir leur pays s’effondrer chaque jour qui s’ouvre et chaque minute qui meurt. Ils veulent tous espérer. Ils sont ceux et celles qui payent les taxes, qui font marcher la société, qui font des prêts à un taux usuraire pour monter des petits commerces, pour payer l’écolage de leurs enfants. Ils travaillent dur et essuient sang et eau pour réussir. Ils n’exigent qu’une chose: pouvoir vivre dans un pays meilleur.

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Haïti, ce n’est pas que ce pouvoir corrompu, ce n’est pas que ces politiciens pourris et inaptes, ce n’est pas que ces rentiers du secteur privé, ce n’est pas que ces pseudos leaders de l’opposition politique fourvoyés dans des inutiles querelles de pacotille, ce n’est pas que ces élites faillies, mais c’est aussi et surtout ces gens ordinaires habités par l’unique désir de vivre dans un pays autre que celui qu’on leur offre comme horizon indépassable depuis des siècles. Sauver Haïti? Ils l’ont exigé en 1986 avec la chute du duvaliérisme. Ils en rêvaient après le séisme de 2010. Mais ils se sont toujours fait avoir.

Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, L’Haïtien lambda refuse toujours de désespérer, quelle que soit l’intensité de la noirceur du présent. Chaque Haïtien aspire à vivre dans un pays meilleur. Chaque Haïtien fonde l’espoir de voir émerger un pays qui ferait enfin la part belle aux rêves, qui permettrait de rire, de se détendre, d’ouvrir son petit commerce, de pouvoir sortir la nuit, d’imaginer une belle vie, loin des stéréotypes et autres manquements qui semblent condamner Haïti à la misère, à la crasse, au sous-development. Mais tous les Haïtiens, de toutes les classes sociales confondues aux intérêts les plus contradictoires, refusent de consentir des sacrifices, faire des concessions, se parler, s’appliquer à la recherche de l’art de vivre ensemble, pour enfin ériger cette Haïti meilleure à la fois pour les plus forts et pour les plus faibles.

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Sauver Haïti ? C’est construire une nouvelle Haïti sur les cendres de celle qui se consume depuis des décennies sous nos yeux. C’est pour cette Haïti qui refuse de naître que cette manifestante et des millions d’Haïtiens invisibles «donnent tout au présent» parce qu’«ils sont généreux envers l’avenir» ( Albert Camus). Sauver Haïti ? Alors comment s’y mettre et y arriver pour le bonheurs de toutes et tous? Il ne faut pas chercher la réponse ailleurs: il suffirait de chercher à mettre les individualités au service du collectif, à penser l’avenir en commun, à s’entendre sur l’essentiel, à rechercher cette humanité qui nous manque…


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