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De quoi le «krèy» est-il le nom ?

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Via Vaudevilleoratoire

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Par J. Williamson Casimir

Alors que le pays se délite, une banale distraction a embrasé les réseaux sociaux pendant des jours: un «krèy». Symptôme de notre déchéance et de notre incurie, le «krèy»  nous rappelle pourtant brutalement que des questions plus importantes attendent d’être posées.

Des langues se sont déliées, des effluves ont dégagé, de la salive a coulé… chacun y met du sien. Tel cherche à se « rincer » les yeux et à nourrir ses rêves interdits. Tel autre arbore sa « sainteté » pour réprouver cette « infamie ». Tel enfin y voit l’expression de la déchéance étatique. Une fausse rivalité autour d’un mot à la consonance gutturale pour laquelle des mains et des yeux ont bandé. On a la langue bien pendue quand on en parle. Si son étymologie reste pour le moment floue, la pratique que le krèy incarne est bien connue sous les tropiques.

On connait les membres de la fratrie : bibil, gèdè, tren, chawa, legim, bouyon… et les institutions qui la maintiennent. Le fameux party pour les parties « privées ». Le fest pour les ambiances en plein air. Le Ti Sourit pour la plèbe. Le rabòday pour égayer les pulsions. De la variation sur un même thème, diraient les jazzmen.

On feint de ne pas voir ou on voit pour se voiler la face. Il semble que les tours et les détours du bas-ventre de notre société nous jouent des tours. Le krèy, qui a colonisé les lèvres, embrasé la Toile, exhumé les passions les plus sombres, montre à quel point se voir dans le miroir de l’Haïti du présent rend aveugles ceux et celles qui y jettent un coup d’œil. Tout le monde a été à l’hôtel Oasis pour se lâcher et se soulager. La question qu’il convient alors de se poser est celle-ci : pourquoi ? Pourquoi s’acharner sur des vidéos dans lesquelles les auteurs, notamment les femmes, se font prendre en image dans le feu de l’action ? Certaines d’entre elles, écoute-t-on sur certaines plateformes en ligne, ont soutenu avoir publié ces vidéos. S’agit-il d’une supercherie dont l’enjeu serait de faire monter les enchères ?

Le krèy, être tout simplement en 2020

Appelons un chat un chat. Le krèy n’est autre qu’une forme d’orgie. À en croire les dires des pratiquants, il s’agit d’un rapport sexuel regroupant hommes et femmes, dans des circonstances particulières, obéissant à des motifs financiers, fantasmatiques ou ludiques. L’alcool, les drogues dures ou douces (la cigarette ou la marijuana), de la musique appropriée entretiennent l’ambiance. En principe, l’initiative part de quelqu’un qui fait appel à un-e meneur-e –  dans la plupart des cas une femme – qui fixe les conditions dudit loisir à la personne en question.

On peut s’y aventurer pour « mettre du piment » dans une relation conjugale, y participer personnellement afin de s’explorer sous un autre jour et d’expérimenter ses propres interdits, le perpétuer à des fins purement économiques. Jusqu’ici rien de surprenant, puisque toutes les sociétés ont toujours aménagé des lieux « obscurs » pour favoriser la satisfaction de ces besoins non catholiques. Le libertinage en Europe, les cercles d’idées durant le siècle des Lumières, les maisons closes ont constitué des échappatoires à la pesanteur sociale dominée par le judéo-christianisme. L’échangisme, en vogue actuellement dans les pays occidentaux, est un exemple. On est allé s’abreuver tout en sachant que chercher à tarir la source entraînera sûrement des travers quasi irréparables. Il s’agit d’un krèy qui s’efforce de s’affranchir du courroux de la phallocratie et de la monogamie stricte. Les marges ont toujours cherché à déjouer les institutions à travers les contorsions et les interversions qu’elles ont su forger. Qui serions-nous pour déroger à cette règle ? Rien de ce qui est humain ne nous saurait être étranger, reconnaissons-le.

En fait, le krèy est une actualisation d’une institution aussi vieille que la fondation de la société haïtienne. Nous savons d’ailleurs peu de choses de notre histoire sexuelle. Les gens du pays en dehors témoignent plus de tolérance et de clémence envers certaines « perversions ». Nous, de la ville, nous enserrons la sexualité avec les griffes du christianisme, la réduisons à la procréation et à l’hypervirilisation de la besogne. Tout  par et pour le “gason” dans un lit avec la fille et la femme qu’il commande. Autrement, c’est au bûcher – les vendeurs des « vertus familiales » – d’embraser les contrevenants, de les exorciser.

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Au-delà de cette myopie culturelle érigée en principe, il faut voir dans le krèy une manière de vivre le XXIe siècle dans le contexte de la mondialisation. L’Internet met sur le chandelier ce qui ne devait rester que sous le boisseau. La lutte pour la visibilité en devient alors l’enjeu. Rappelons que récemment une femme se faisait filmer en pleine action, à plusieurs reprises, et récoltait des milliers de likes, dit-on, pour son côté “real”.

Dans une des vidéos filmées du krèy à l’hôtel Oasis, une femme tient son téléphone en contre-plongée et effectue un mouvement circulaire de caméra. Derrière elle, un homme prend sa partenaire par derrière dans la pénombre sur le lit de la chambre. Celle qui tient le téléphone quitte la chambre, se dirige, semble-t-il, vers la douche attenante à cette dernière, projette lascivement sa langue vers l’extérieur et fait des signes avec les doigts de la main. Elle s’adressait certainement à quelqu’un. Même si l’on ignore l’identité de son interlocuteur, il est aisé d’observer que cette femme assume son acte. Dans ses yeux, le spectacle de la lubricité et du désir inassouvi se propageait. Quand bien même cette femme serait rémunérée pour le service, la posture qu’elle affiche traduit une interversion dans les rôles et la réception qui en sera faite. Celle qui se fera appeler “Manman Baz” ou “Manman krèy” s’affiche comme celle qui donne le ton, tout au moins durant le règne de l’entrejambe. Son statut de pourvoyeuse de plaisirs renforce son pouvoir de femme sur les attentes mâles et accroit du même coup sa capacité de négociation avec les hommes.

Certains croient à juste titre que le krèy résulterait de la dégradation des conditions socio-économiques de la population, celles des femmes en particulier, les muant en de simples marchandises pour la satisfaction du bon plaisir des mâles. C’est vrai dans la mesure où les ouvriers – disons mieux les ouvrières – de cette « industrie » tentent de s’échapper ou courroux du quotidien en offrant une marchandise dont la demande augmente de manière exponentielle n’en déplaise aux bien-pensants qui nourrissent une nostalgie déphasée. Faut-il attendre quelque chose d’autre d’une société dans laquelle le travail salarié est un bien rare et le chômage une institution bien ancrée ? Entretenir cette politique de l’autruche conduit alors à l’enracinement d’une pratique qui ne sera combattue que par la responsabilisation effective de l’État et non par le recours aux vœux pieux, généreux fussent-ils.

Cette pratique, aussi bien séculaire que rusée, s’installe plutôt comme une manière par les membres de la génération actuelle de vivre ce que leurs prédécesseurs ont vécu à leur façon. C’est-à-dire une manière de se reproduire émotionnellement, socialement, économiquement. Le krèy n’est qu’un témoin parmi d’autres du temps présent. Celui marqué par la lutte pour la visibilité, la hantise de la vitesse, l’empire de la technologie.


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1 thought on “De quoi le «krèy» est-il le nom ?

  1. Et poukisa nou obligé ap palé de la bouzenderie nan toute longueur français sa yo….
    Se tou simpleman fan’m al fè bouzen c’e tout….
    Kit li te Oasis, sou pay la bòdmè-a se bouzen…. Sa yo merité reprimé et et aucun cas nou pa ka admèd sa nan société -a paské….!
    Degré moun’n yo fè perpetué trop bagay sal nan figu moun’n pa vraiment gen valeur ki reté ankor tout sa kap fèt la yo se betiz
    Finalman kisa nap kité pou generation kap vini la yo….?

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