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La solitude de Moïse

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Via Linfo.re

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Par Juno Jean Baptiste
Twitter: @junopappost

Le pays vit une situation d’exception depuis le deuxième lundi de janvier 2020 provoquée par la fin du mandat des députés (50e Législature) et la «caducité» du Sénat. Il se trouve que le président Jovenel Moïse pense en être l’heureux bénéficiaire, lui-même qui n’a pas su écouter, agir, rassembler, mettre en confiance les politiques, faire voter une nouvelle loi électorale (quoiqu’ayant disposé d’une majorité parlementaire) et mettre en branle la machine électorale pour parer à ce vide institutionnel. Il est, par les temps qui courent, le seul cop chanté de la basse-cour.

Sans Parlement, sans enclencher le dialogue avec la classe politique qu’il s’est complu à snober, le président a choisi de foncer. Fort, probablement, du seul support de l’international, du Core Group, surtout des États-Unis, il a monté son gouvernement avec ses amis du PHTK et d’autres alliés historiques. Il fait et défait depuis plus de six mois. Tout lui paraît rose. La fusée Jovenel Moïse n’a pas du temps à perdre: foncer et tourner en dérision la République.

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En politique comme en amour, il faut surtout profiter de son temps quand les étoiles s’alignent. Il a fallu profiter du répit observé dans les rues et soudain renforcé par l’intrusion de la pandémie de Covid-19 sur le territoire national en mars et également du relâchement de l’opposition. L’homme de la banane n’avait qu’à pavoiser, sortir ses cartes et jouir candidement du plein pouvoir.

Par moments, sur bien des séquences dans le déroulé du drame de nos errements collectifs au cours des six derniers mois, Jovenel Moïse, président hyperdiscrédité, donnait l’air d’être maître du temps politique. Il n’avait plus peur. Il se montrait, parlait régulièrement, sans jamais oublier de chercher comme à son habitude des boucs émissaires à ses manquements, ses échecs, comme sur la question du courant électrique, ce qui est chez lui est un péché originel.

L’homme fort qu’il semblait soudain devenir alors même qu’il y a moins d’un an, son pouvoir tanguait, secoué par des monstres mouvements de protestation un peu partout dans la République a cru bon de peser sur le bouton «adelante». Dans une morgue inouïe envers l’opposition, les partis politiques, les forces vives de la nation, il se croit à même d’engager le pays dans des élections et de poursuivre l’œuvre du PHTK: anéantissement des institutions, vol systématique de l’argent public…

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Sur la base du support de l’international, aidé bien sûr par des facteurs internes et externes, Jovenel Moïse, le monarque (lire notre article), affiche son ambition d’organiser des élections et, pis, d’enclencher la réforme constitutionnelle, sans que les questions de la fameuse carte Dermalog, du procès PetroCaribe et de la prolifération des gangs de mèche avec son pouvoir (selon plusieurs rapports d’organismes de défense des droits humains) ne soient posées.

Jovenel Moïse commence à boire le calice de la solitude. Il est un président décrié, sans ancrage populaire. À l’examen des faits, donc de ses promesses, voire de ses contradictions, il s’est révélé en trois ans un menteur pathologique. Il a obéré la confiance des acteurs politiques et d’autres interlocuteurs. Il a multiplié depuis peu des déclarations qui mettent en péril la démocratie et les modalités de l’alternance du pouvoir par les urnes. Il risque de s’emmener et avec lui le pays vers des horizons encore plus funestes.

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En écrivant aux secteurs représentés au Conseil électoral provisoire leur demandant de désigner leur représentant, Jovenel Moïse a voulu franchir un palier. Sans risque de se tromper, il veut y aller à fond. Quelques heures après la lettre du Palais national, les conseillers électoraux démissionnent en bloc, en rappelant au président de la République «l’obligation d’un accord politique entre le pouvoir et les forces vives de l’opposition et de la société civile».

Les conseillers n’en pouvaient être plus clairs: Jovenel Moïse s’en ira droit aux murs et risque d’enfoncer le pays dans une nouvelle crise à l’issue incertaine. Le motif de la démission achève de mettre les secteurs représentés au CEP dans leurs petits souliers. Il leur devient indécent, difficile, voire impensable, d’en prendre seulement acte et de s’appliquer à y désigner d’autres représentants. Cela vient freiner également Jovenel Moïse dans sa course infernale, ce qui n’arrange non plus une bonne partie de l’international en mode béni oui-oui avec ce pouvoir malgré toutes les alertes répétées depuis trois ans.

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La question d’un Conseil électoral provisoire est en elle-même une entorse à la Constitution. Elle est le fruit de compromis depuis des décennies parce qu’aucun pouvoir n’est toujours pas parvenu à constituer le Conseil électoral permanent, donc c’est toujours une entente entre les trois pouvoirs qui l’amène sur les fronts baptismaux. Maintenant que le Parlement n’est plus en jeu, il n’en demeure pas moins que seul un accord entre le pouvoir en place, les partis politiques et autres forces vives de la nation autour de la constitution du Conseil électoral provisoire peut éviter au pays de sombres scénarios.

Il faut bien le signifier : la République n’est pas l’affaire d’un seul homme … encore moins d’un président qui s’est révélé inapte, impréparé à la fonction suprême.


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