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Vive la reprise !

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Par Juno Jean Baptiste
Twitter: @junopappost

La ligue des champions sera reprise bientôt. La NBA aussi. En plein cœur de la pandémie de Covid-19, les grands manitous assumant le leadership institutionnel du football européen (UEFA) et du basketball  déplacent le curseur de l’attention vers la reprise des compétitions, et sont accusés, du coup, de reléguer au second plan le combat pour vaincre la maladie. Une reprise qui sonne pourtant comme une part de bonheur à croquer à pleines dents par des centaines de millions de gens sans horizons, et sans d’autres loisirs.

L’homme, être complexe par nature, vit de ces parts de controverse, de déraison, de ces sensations fortes que recèle le sport. Dans un monde consumériste où l’hyperactivité nous subjugue, il y a pourtant des mois que tout est à l’arrêt, les choses et les êtres, au risque de provoquer une démence collective. Il y a des mois qu’on s’est retrouvé entre quatre murs à faire les cent-pas, submergé par un déluge de tracasseries quotidiennes, l’exutoire sportif étant obstrué par une foutue pandémie. Des mois à ne pas pouvoir regarder ces stars de football et de basketball qui nous font vibrer, à constater l’impuissance des puissants face au coronavirus, à imaginer le monde d’après dans l’impossibilité de vivre à fond celui du présent.

Une sorte de paradoxe qui remet la reprise des compétitions sportives au centre de toutes les discussions. Preuve qu’une convergence de vue sur tout ce qui habite nos vies et nos destins se révèle toujours un horizon difficilement atteignable. Le sport, en plus de la passion fanatique qu’il charrie, des folies inénarrables qu’il exacerbe, est quelque chose d’autant irrationnel que d’utile. Il est un placebo, une sorte de succédané au vrai bonheur. Il enfante d’intenses émotions qui ne justifient point son arrêt définitif à cause du coronavirus, pour peu que les scientifiques puissent trouver moyen de s’en sortir : se protéger à la fois contre le virus et offrir le plaisir à des centaines de millions de gens en proie à la dépression.

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Certes, le sport est aussi une affaire de gros sous. La reprise des principaux championnats européens, et bientôt la ligue américaine de basketball (NBA, très regardée en Haïti) et la ligue des champions, était d’un enjeu financier de taille. Il fallait à juste titre éviter des pertes faramineuses d’argent – on parle de plusieurs milliards de dollars pour la NBA –, de chercher à colmater les brèches et d’amoindrir les effets de la saignée économique provoquée par le virus. Mais, en dépit de tout, ces gros intérêts financiers n’annihilent pas les nôtres (d’une nature toute hédoniste), nous, fans, disséminés partout sur la planète, qui aspirons aux plaisirs simples que procurent un crochet de Messi, une volée acrobatique de CR7 et un « dunk » massif de LeBron James ou un majestueux tir à mi-distance de Kawhi Leonard et des prouesses de tout autre démiurge qui nous font miroiter, ne serait-ce que virtuellement, les possibilités de transcender les limites de la condition humaine.

Certes, des planchers et des rectangles verts sans public, sans disc-jockey, sans les « NBA cheerleaders », sans l’adrénaline qui monte en temps normal dans les travées des stades,  laissent et laisseront suinter un sentiment inhabituel. À défaut de s’en plaindre, il faut vite s’y habituer. C’est un moindre drame en ces temps de coronavirus ; celui-ci ayant reconfiguré le paysage des rapports et interactions humains. Ça devrait être bien difficile aussi pour les joueurs de s’accommoder à ce nouvel environnement et de s’y résoudre. N’empêche que l’Africain lambda, sans fortune, cloîtré dans son village, fonde déjà l’espoir de voir son équipe décrocher le graal, ce qui est synonyme pour lui d’une victoire personnelle compensant psychologiquement les turpitudes de la vie réelle.

Un virus aussi contagieux, loin d’installer la fatalité dans les esprits, dompte l’imagination créatrice humaine. Le contourner, en organisant des « bulles*» pour « sauver » le sport et l’argent, illustre l’intelligence et la maturité proverbiales de l’homme. Celui-ci est un être génial qui affronte toujours toutes sortes d’adversités avec pugnacité. Vouloir affranchir les saisons sportives des affres de la pandémie en est la preuve. Ce qui donnera bien sûr du grain à moudre à ceux qui abhorrent le capitalisme mondialisé, l’économie-monde, le culte de l’argent roi et qui rêvent d’un monde dépouillé de toutes ces « perversités » qui poussent des sportifs millionnaires au front, au grand dam de la santé des humains. Que ces critiques n’aillent pas le dire à ceux qui, dans l’Haïti profonde, sans loisirs, et où les horizons sont bouchés, élèvent au rang de dieux Messi, CR7 et LeBron James.

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L’histoire du monde est intranquille. Avant le coronavirus, sévissaient tour à tour la peste bubonique, la grippe espagnole, la lèpre et toute une kyrielle de calamités sanitaires entre autres. Après le coronavirus, nul doute que d’autres épidémies, d’autres catastrophes émergeront. Un 10 avril 1912, Titanic s’écroule. À son bord, de riches familles, des gens ordinaires aussi qui ont économisé toute leur vie pour traverser l’Atlantique sur le mythique paquebot. James Cameron en fera près d’un siècle après un film émouvant, devenu culte et indémodable.  Alors que se dessine la tragédie, les musiciens ne lâchent pas leurs instruments ; ils illuminent la noirceur de l’instant par la magie de leurs talents, dans une ultime morgue face à la mort. C’est l’image du monde d’aujourd’hui, des sportifs mûs en musiciens…


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