De quelle “lutte contre la corruption” parle Claude Joseph ?
5 min readPar Juno Jean Baptiste
Twitter: @junopappost
On aura enfin tout entendu en Haïti. De l’ancien ministre obligé d’abandonner le vice-rectorat à la recherche de l’université pour servir les basses œuvres du PHTK et qui croit dans la foulée que la rédaction d’un livre pourrait l’absoudre de ses péchés dans la dilapidation du fonds PetroCaribe, du jeune professionnel du coin qui ne s’implique pas dans la vie politique de son pays, qui abhorre les politiques et se plaint du sort de son pays et jusqu’à un ministre qui soutient qu’Haiti lutte contre la corruption au même titre que la République dominicaine.
En effet, le ministre des Affaires étrangères, Claude Joseph, en visite officielle chez nos voisins de l’est, a indiqué «que Jovenel Moïse et Luis Abinader mènent le même combat contre la corruption», selon ce que rapporte le quotidien Le Nouvelliste. «Les deux pays sont en train d’engager la même croisade contre la corruption», a insisté Claude Joseph, passé par le CTPEA, détenteur d’un doctorat en politiques publiques, au cours d’une rencontre avec son homologue dominicain Roberto Alvarez. Le chef de la diplomatie haïtienne ne pouvait pas y aller plus fort.
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Presque tous les médias ont rapporté ces propos sans aucune contextualisation, sans aucun questionnement, sans le moindre rappel, sans la mise en perspective des faits qui, lorsqu’on les rassemble, déshabillent le chancelier haïtien dans son entreprise de louer des actions imaginaires du président de la République en matière de lutte contre la corruption. C’est à croire que les journalistes haïtiens sont plutôt des communicants et qu’il n’y aurait aucun périmètre de frontière entre les deux métiers. Ce mode opératoire dessert le journalisme. Il sert les politiques qui s’en gargarisent. Claude Joseph est désormais à même d’en témoigner.
Jovenel Moïse «part en croisade contre la corruption»? Le ministre des Affaires étrangères, loin de chercher à faire du buzz ou à convaincre son homologue dominicain, s’est voulu fidèle à sa ligne de départ: défendre son régime et, à la clé, le président de la République. Claude Joseph est un homme intelligent. Il a fait de très belles études. Il a enseigné dans une grande université américaine. Il a lu dans de grands livres. Il sait mieux que quiconque ce que c’est que combattre la corruption. Il sait mieux que quiconque qu’Haïti est l’un des pays les plus corrompus au monde. Il sait que cela n’a pas changé avec l’arrivée du PHTK aux commandes. Mais plutôt le contraire: cela s’est amplifié.
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Depuis bientôt dix ans, les scandales de corruption ont fleuri. L’affaire PetroCaribe, l’une des grandes supercheries de toute l’histoire d’Haïti, en est la preuve. Le président Jovenel Moïse en est lui-même accusé, selon les rapports de la Cour des Comptes, d’être «au cœur d’un stratagème de corruption». Beaucoup de caciques du PHTK, impliqués dans la dilapidation de l’argent vénézuélien, mènent la belle vie dans une République où l’impunité a la vie dure. La justice étant aux ordres quand elle n’est pas au service des puissants, le procès semble de plus en plus être un horizon lointain. Alors, forcément, de quelle lutte contre la corruption parle le ministre des Affaires étrangères ?
On n’a presque pas besoin des rapports de la la «Transparency international» pour se rendre compte de l’état de la corruption endémique qui ronge notre pays, casse des vies entières et tue des rêves. Il y a trois ans, le scandale de surfacturation des kits scolaires a choqué la République. Le ministre des Affaires sociales d’alors, Roosevelt Bellevue, accusé de n’être pas au-dessus de tout soupçon, a été limogé. Mais il a vite été recasé par le président de la République, Jovenel Moïse, au sein de la mission haïtienne auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à Genève. Depuis, pas de procès. Pas d’arrestation. Il n’y a rien. Sinon presqu’un oubli.
La République vit au rythme des scandales de corruption depuis l’accession de Jovenel Moïse au pouvoir. Si chez nos voisins de l’est, plusieurs personnes sont arrêtées il y a peu dans le cadre d’une enquête de la justice contre la corruption (notamment Juan Alexis Medina Sánchez et Carmen Magalys Medina, respectivement frère et sœur de l’ancien président Danilo Medina), ici, on ne fait même pas dans les apparences. Il n’y a aucun procès en perspective. Même dans l’affaire Dermalog, pourtant au cœur d’un scandale de corruption dans lequel serait impliquée la première dame Martine Moïse (selon un rapport du Sénat), les autorités filent à toute allure, comme si tout était propre et qu’il n’y aurait pas anguille sous roche.
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Tout semble normal au point que Claude Joseph clame qu’il y a au sein de l’administration de Jovenel Moïse une croisade contre la corruption. Le chancelier haïtien ne chancelle pas depuis sa prise de fonction. Lui, qui, il y a pourtant quatre ans, épinglait des pontes du régime PHTK dans un article qui a cartonné sur les réseaux sociaux, n’est pas à son coup d’essai dans sa défense du pouvoir. Il s’y livre sans réserve. Il y a peu, en septembre dernier, il est même allé, sans preuve, jusqu’à accuser des «oligarques» dans la remontée spectaculaire de l’insécurité qui endeuille des familles entières.
Claude Joseph est-il tellement infecté du virus du régime qu’il ne s’offre plus de limites dans son processus de déni total de tous ses bagages académiques ?
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