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Hymne à la volupté

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Via FotoMelia

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Par Charlot Kily et Dave Vernet 

Je me souviens de cette époque où cette foule d’enfants torse nu, ramassant le soleil sur une dale de béton armé pour faire monter leurs cerfs volants, croquait la vie à belles dents. Qui sont ceux qui aujourd’hui remplacent ces enfants pour assombrir le décor de cette ribambelle de cerfs volants sous un ciel désormais témoin du bruit des balles et du silence des cadavres?

Les jours passent en bleu devant cette mer qui fait son deuil à mesure que les vagues emportent aussi loin le reste de ce gamin qui n’a pas su dire de quel calibre est la mitraillette qui lui a tiré dessus avant que sa tête finisse en boule de chairs éparpillées.

La nuit est rentrée en débris de faïence dans nos quotidiens. Le temps ne compte plus devant le miroir qui ment face aux gestes déformés de la main qui étrangle nos souvenirs d’enfants. On aura jamais assez dit  pour écrire le testament de nos jours orphelins. Comment dire la blessure de nos gestes effacés dans le quadrillé? Comment dire qu’ici on vit à trois pas de la mort?

D’un grand coup, le vent dénouait les branches de ces palmiers lointains en ce matin d’avril qui grandissait en taffetas avec le bruit désarticulé de ces vagues de mer en cris de cymbales déchirées. J’ai regardé la ville par la verrière ouverte de ma chambre où tout allait si vite avec le temps. Ma voisine du hall d’à côté prenait son café en mousseline blanche exhibant son sexe avec la musique qui avalait le temps. J’ai déposé entre temps ”Onze minutes”, le livre de Paulo Coelho, pour faire cesser de marcher dans ma tête la brésilienne ”Maria” , la prostituée qui apprend à ses clients la théorie du kamasutra.

Les yeux rivés dans le plafond, dans le mur est accrochée une vieille pendule en bois d’acajou qui semble avoir déjà vu défiler des années et en comptera encore bien d’autres à venir. Hallucinant tableau avec du paysage zoomant une lune brûlée, une pile d’ouvrage sur ma table de chevet. Ce fut un premier avril plein de promesses inédites. Mon téléphone  n’arrêtait pas de sonner et je n’ai pas bougé de mon lit parce qu’il est coutumier en Haïti où  l’on rend hommage aux mensonges, qu’à chaque premier avril que quelqu’un vous appelle de n’importe où, pour vous annoncer le décès d’un ami ou d’un proche et vous ridiculiser si vous prenez ses propos pour pure vérité. On appelle ça chez nous ”poisson d’avril” , une journée entière où l’on pourrait se permettre de dire n’importe quoi sur n’importe qui.

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Ma voisine en mousseline blanche, j’adorais la voir avec sa cigarette coincée entre ses doigts, ses yeux cachaient derrières ses lunettes noires une volupté digne d’un conte de fée, et cet anneau accroché à son nombril en longueur d’une phalange m’envoyait en pensée dans un harem africain. Mais, qu’est ce qu’il y a de plus excitant que de voir une belle  femme dans sa folie en début de journée?

J’ai passé le reste de la journée à contempler la silhouette de son corps lascif, le regard levé de ses seins “doubout” dans le fond tiède de cette pièce où j’ai entendu encore tomber l’eau en gouttelettes dans la baignoire. Je la regardais  se maquiller à moitié nue devant ce grand miroir qui ramassait ses gestes pour en faire le décor d’un ciel chargé de colibris en fin d’après-midi d’un teint clair. Elle avait fait sortir de sa garde-robe une longue robe bleue dentelée en or blanc, farfouillant le tiroir de son armoire avec une mine plutôt indécise comme si elle ne savait pas quoi choisir dans cette pile de bijoux pêle-mêle lequel s’accomoderait le mieux avec son habit.

Je ne souhaiterais surtout pas être dérangé de rien, trop occupé à ramasser des petits détails du corps féminin de l’autre côté de la pièce. J’ai regardé le temps comme la promesse d’un feu dansant d’une lampe à kérosène, regardant son sexe gonflant en trait d’un losange déformé dans un sous-vêtement noir qui fait chair avec son corps de femme et ça m’avait fait penser à ce quartier où j’ai grandi à Limbé où les filles font sécher leurs sous-vêtements sur une longue ligne attachée avec de pincettes et leurs vagins ont pris toujours forme dans mon cahier d’écolier …


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