Discours de la ministre des Affaires étrangères Dominique Dupuy à l’occasion de la 6e Conférence sur la Diaspora Africaine dans les Amériques Salvador de Bahia, Brésil
6 min readLa ministre des Affaires étrangères, Dominique Dupuy, a pris la parole, samedi 31 août 2024, dans le cadre de la 6e Conférence sur la Diaspora Africaine dans les Amériques Salvador de Bahia, Brésil. Elle a mis en avant le rôle fondateur de notre pays dans la lutte contre l’esclavage, dans le façonnage d’un nouvel ordre de liberté et de justice au XIXe siècle. «Je ne peux m’empêcher de rappeler ici qu’Haïti, dont Édouard Glissant a dit qu’il était la “matrice des pays antillais”, a une histoire inédite en ce sens. Une “histoire immense” qui pose et impose au monde des questions de justice, de liberté et d’égalité. Mon pays, né de la révolte contre l’esclavage, a ouvert une nouvelle ère dans l’histoire universelle […]», a-t-elle dit. Dominique Dupuy a également évoqué la question des réparations. «Les torts faits à nos ancêtres […] appellent au dialogue constructif sur les réparations. “Bay kou bliye, pote mak sonje”. Oui, les cicatrices sont encore visibles. Oui, les évoquer est encore pertinent», a-t-elle soutenu. Port-au-Prince Post se fait le plaisir de publier in extenso son allocution.
Au nom du Conseil Présidentiel de Transition, du Gouvernement et du Peuple haïtiens, j’ai l’honneur de participer à la 6e Conférence régionale de la diaspora africaine, conférence préparatoire au 9e Congrès panafricain qui se tiendra prochainement au Togo. Je tiens à exprimer ma gratitude envers le Gouvernement et le Peuple brésiliens pour leur chaleureuse et familière hospitalité. Depuis notre arrivée dans cette magnifique et pluvieuse ville de Salvador de Bahia, nous avons été accueillis avec une grande bienveillance.
Mesdames et Messieurs,
Préoccupation majeure pour l’Afrique et sa diaspora, les questions autour de la mémoire de la colonisation et de l’esclavage font l’objet de plus en plus d’intérêt de la part d’institutions internationales et universitaires. En témoigne la Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies en 2013, proclamant la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. Cette initiative, soutenue par Haïti, a été précédée, vingt ans plus tôt, par l’approbation du projet « La Route des Personnes mises en esclavage » porté par Haïti et le Bénin lors de la 27e session de la Conférence générale de l’UNESCO en 1993.
Les traumatismes de notre passé commun continuent de hanter nos populations, de paralyser nos élans, et d’hypothéquer notre avenir. Ce passé nous exige que nous posions sereinement et collectivement la question des demandes de restitutions et de réparations. D’Afrique et de sa diaspora, nous portons une mémoire intergénérationnelle empreinte de déchirures et vivons dans l’espace réduit des opportunités, balisé par les téméraires séquelles racistes du colonialisme et de l’esclavage.
Je ne peux m’empêcher de rappeler ici qu’Haïti, dont Édouard Glissant a dit qu’il était la “matrice des pays antillais”, a une histoire inédite en ce sens. Une “histoire immense” qui pose et impose au monde des questions de justice, de liberté et d’égalité. Mon pays, né de la révolte contre l’esclavage, a ouvert une nouvelle ère dans l’histoire universelle, provoquant un nouvel ordre mondial. Depuis son audacieuse indépendance, le 1er janvier 1804, Haïti a défendu la cause des peuples opprimés, s’est transformé en porte-parole des sans-voix, en refuge sacré pour tous les damnés de la terre, et s’est dressé sans compromis contre toutes formes d’exploitation et de discrimination. Et nous en avons payé le prix. Nous en payons le prix.
Ce passé révolutionnaire nous a forgé, femmes et hommes, dans la résistance, la créativité linguistique, religieuse et culturelle. Notre humanisme universel et nos combats, inscrits dans notre histoire et jusque dans notre ADN de peuple, ont conduit nos tout premiers dirigeants à soutenir les luttes pour l’émancipation des peuples dans les Amériques et la décolonisation en Afrique.
Cet attachement viscéral à l’autodétermination des peuples a été au-delà du politique, investissant au 19e siècle le champ intellectuel avec l’émergence des figures qui ont défendu la dignité humaine et combattu le racisme sur le plan scientifique. Anténor Firmin et Louis-Joseph Janvier, pour n’en citer que deux, ont marqué le débat face aux porteurs des pseudo-théories scientifiques racistes dominantes de leur époque.
Dans ce contexte, les intellectuels haïtiens ont été parmi les premiers à concevoir l’idéal du panafricanisme, lié à la lutte contre le colonialisme dans la Caraïbe. Au cours du 20e siècle, les grands mouvements de défense et de valorisation de la culture noire sont nés en Haïti. Le premier Congrès des Écrivains et Artistes noirs, tenu en 1956, a été présidé par l’ethnologue Jean Price-Mars, pionnier des études africaines en Haïti et dans la Caraïbe. Tout cela est le fondement de l’héritage riche et fier que la délégation haïtienne a voulu apporter à cette 6e Conférence régionale de la Diaspora africaine.
Mesdames et Messieurs,
L’Afrique et sa diaspora, en particulier dans les Amériques, ont souffert l’indicible, ont survécu au vil crime contre l’humanité et subissent encore le tribut d’une hiérarchie sociale raciste visant à leur interdire une pleine et entière participation dans la construction de lendemains prospères et justes pour toutes et tous. Les torts faits à nos ancêtres, ces entraves faites au développement de nos sociétés, ces blessures dont nous portons encore les marques, appellent au dialogue constructif sur les réparations. “Bay kou bliye, pote mak sonje”. Oui, les cicatrices sont encore visibles. Oui, les évoquer est encore pertinent.
À cette fin, Haïti a rejoint, le mois dernier, la Commission sur les Réparations de la CARICOM, créée en 2013 pour dynamiser les recherches et coordonner les efforts sur cette question, et nous y sommes représentés par un groupe de chercheurs multidisciplinaires sous l’égide du Rectorat de l’Université d’État d’Haïti. Je suis profondément honorée que le recteur, le Professeur Fritz Deshommes, Représentant d’Haïti auprès de cette Commission, soit à mes côtés, avec nous aujourd’hui.
Distingués invités,
Les fils et les filles d’Haïti cultivent encore une foi inébranlable dans la promesse de nos pères fondateurs et de nos mères fondatrices. Malgré les défis colossaux auxquels nous faisons face, malgré l’incommensurable pression qui voudrait nous resigner au découragement, les Haïtiens croient et œuvrent encore, obstinément, pour un avenir meilleur, accessible à tous.
Aujourd’hui, nous sommes engagés à remettre notre pays sur les voies de la démocratie par les urnes, dédiés à bâtir une sécurité publique, une sécurité alimentaire, une sécurité sanitaire et un développement économique et social durable et inclusif.
Comme vous, nous ne réussirons pas seuls. Dans notre détermination à surmonter nos épreuves, le Gouvernement du Premier Ministre Garry Conille peut compter sur la solidarité de nos frères et sœurs d’Afrique et la contribution de nos frères et sœurs de la Caraïbe et du continent Américain.
Mesdames et Messieurs,
Lors de la traversée brutale vers ces côtes, les côtes de Bahia comme celles d’Haïti (Quisqueya ou Bohio), nos ancêtres ont emmené avec eux les esprits d’Afrique. Des Vodoun du Bénin, au Vodou en Haïti, à la Santería de Cuba, jusqu’au Candomblé, ici au Brésil, notre âme porte encore l’essence indélébile de notre appartenance commune.
Que cet héritage de résistance perdure,
Que nous y puisions force, courage et lumière,
Que nous y puisions paix, prospérité et justice.
Merci, mèsi anpil. Ayibobo!
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