De la dictature des Duvalier à PetroCaribe : le poids de l’impunité
5 min readPar Juno Jean Baptiste
Twitter : @junopappost
À chaque fois qu’on égrène le chapelet des souvenirs à la fois effarants et sombres du duvaliérisme en Haïti, ce qui vient en premier à l’esprit ce sont les crimes politiques atroces, les histoires scabreuses de torture à Fort-Dimanche, la liberté d’opinion muselée et les plusieurs dizaines de milliers de gens tués pendant près de trente ans (plus de 60 000 morts selon l’historien Georges Michel). Les crimes économiques sont rarement mis en avant. Pourtant, un rapport de 122 pages – que Port-au-Prince Post décide d’exhumer – expose, non sans clarté, l’étendue des crimes économiques et financiers perpétrés par ce régime hors norme.
Le rapport, qui n’avait fait l’objet d’aucun suivi, produit sous le régime militaire d’Henry Namphy en 1987, signé du ministre de la Jutice d’alors, François Saint-Fleur, démontre plus que tout autre chose que le duvaliérisme, en plus de la terreur sans bornes qu’il a incarnée, est l’un des régimes les plus corrompus de toute l’histoire contemporaine d’Haïti. Ce document confirme en effet, du moins pour ceux qui en doutaient encore, que cette dictature était le prototype de ce qu’il y a de plus funeste, en ce sens qu’elle a copieusement fait la part belle à la corruption, au népotisme, au clientélisme et autres tares congénitales, à côté de la terreur systématique des «Tontons Macoute».
Presque tous les régimes politiques qui se sont succédé en Haïti , de 1804 à nos jours, sont marqués du sceau de la corruption. «Voler l’État, ce n’est pas voler», clamait, il y a plus de 150 ans, Alexandre Pétion, cité par l’économiste Leslie Péan, dans «Économie politique de la corruption en Haïti», un magnifique essai de plusieurs tomes. Edmond Paul, dans «Les causes de nos malheurs» (1882), expliquait, il y a longtemps, à un degré moindre, comment la corruption s’infiltre dans le mode de gestion des élites dirigeantes du pays.
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Ces dernières années, la réalité n’a pas changé. Il y a eu de grands scandales de corruption. Plusieurs rapports officiels ont confirmé le vol systématique de plusieurs millards de dollars du PetroCaribe par des administrations confondues.
Fouiller, analyser, commenter et mettre en débat le rapport sur les finances des Duvalier et toute la corruption qui en a découlé est plus qu’une exigence dans un pays où le dossier PetroCaribe, qui implique l’enrichissement illicite des familles entières et des firmes entières, semble déjà un lointain oubli. Ce document est, à plus d’un titre, riche en renseignements. Primo, la dictature est l’un des plus grands malheurs (en concurrence peut-être avec l’occupation américaine) qui se sont abattus sur Haïti au XXème siècle. Secundo, la justice, parce que toujours inféodée aux bottes des puissants, s’est toujours révélée incapable à punir les coupables de crimes financiers. Tercio, la corruption a la vie dure dans notre pays et que ce n’est pas un rapport, quoi que officiel, qui débouchera forcément sur un procès. Il faut toujours beaucoup plus que cela.
Malgré ce rapport, pas un Duvalier n’a été jugé ni condamné pour corruption. Aucun de leurs complices non plus. Au moment de remettre sous les projecteurs toute l’anatomie et la physionomie de la corruption qui fleurissait sous les Duvalier, personne ne sait ce qui adviendra du dossier PetroCaribe. Les différentes parties du rapport de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CS/CCA) ne sont pas malheureusement la garantie d’un procès à l’avenir.
Il faut dire que plusieurs banques en Suisse ont à maintes reprises gelé des millions de dollars dissimulés dans des banques étrangères par les Duvalier et autres barrons de la dictature. Mais le processus pour restituer ces fonds à Haïti n’a jamais abouti. À cause notamment d’un manque de suivi du côté des Haïtiens et d’une procédure extrêmement complexe du côté helvétique, on n’est jamais parvenu à rapatrier ces fonds, quoiqu’ils se révèlent très minimes comparativement à la totalité des fonds siphonnés des caisses de l’État par les Duvalier et leurs complices. On parle tout de même d’une addition de pas moins de 500 millions de dollars dans le rapport Saint-Fleur.
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Des scandales de corruption jalonnent presque toute l’histoire d’Haïti. Mais il n’y a guère de procès qui s’ensuivent. D’année en année, Haïti se révèle le mauvais élève dans les différents classements de Transparency International sur «l’indice de perception de corruption».
Dans d’autres pays, plus près de nous en Amérique latine, ceux qui volent sont parfois arrêtés et forcés de restituer l’argent. Ici, en Haïti, les anciens voleurs, ceux qui se sont gavés indûment de l’argent public pendant des années, se fondent aisément dans le tissu social, jouissant grassement des biens mal acquis.
Le pays devient plus corrompu alors même que certains pays de la région s’appliquent à combattre la corruption. La propension à la dilapidation des derniers publics s’est même exacerbée avec l’arrivée au pouvoir du PHTK. Mais il n’y a eu aucun grand procès de corruption au cours des cinquante dernières années en Haïti, sinon l’arrestation de Sandro Joseph, ancien directeur général de l’ONA et Yves André Léandre, ancien directeur général de l’OAVCT.
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