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Jouthe Joseph ou la trivialisation de la la parole publique

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Via Facebook/JhouteJoseph

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Par Juno Jean Baptiste
Twitter: @junopappost

La République d’Haïti, du fait de l’accumulation des logiciels défectueux qui la sous-tendent et la projettent vers une arriération politique en vitesse continue et en perpétuelle réinvention, catapulte régulièrement sur la scène nationale des figures aussi atypiques qu’improbables. Ce qui n’a jamais, sans surprise, concouru au changement sans cesse sollicité, à la transformation sociale, au bonheur collectif, à la construction d’un avenir en commun. Le contraire nous aurait étonné.

Il faut ranger le premier ministre Jouthe Joseph dans cette catégorie d’hommes sournoisement jetés dans le marigot politique par la force d’une confluence d’évènements aléatoires0. Avant qu’il ne soit choisi comme premier ministre par le président Jovenel Moïse, peu de gens le connaissaient. Jouthe Joseph était un discret ministre de l’Environnement qui semblait jouir du calme de la SONAPI. On ne l’entendait pas. On ne le voyait pas. Il était inconnu du landerneau politique de Port-au-Prince.

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Aujourd’hui, Jouthe Joseph est un homme heureux. Il occupe l’une des fonctions les plus importantes de la République. Il s’y exerce sans pression, sans avoir de comptes à rendre à personne parce que, depuis janvier, le pays est sans Parlement. Non rompu aux joutes politiques, mais mû d’une longue carrière dans les organismes non gouvernementaux, le Thomondois se croit tout permis, à même de casser les codes – parfois avec fracas –, de glisser souvent dans la bouffonnerie presque à chaque intervention publique.

Le premier ministre, chef du CSPN, qui est censé donner des gages au pays en ces temps perturbés par l’insécurité, demande à la population d’être «vigilante» et à ne pas «faire confiance aux inconnus» aux fins de faire barrage au phénomène du kidnapping. Cette déclaration, Jouthe Joseph l’a tenue lundi, après une journée mouvementée à Port-au-Prince. L’enlèvement suivi de la libération du jeune médecin Hans David Télémaque a provoqué la colère chez ses pairs qui ont gagné les rues pour exiger le droit de vivre dans leur pays.

Le propos du chef de la Primature passe mal dans l’opinion publique. Il témoigne de la faillite de la force publique. Plus qu’un symbole, le premier ministre n’a même pas cherché à sauver les apparences. L’homme, qui, il y a quelques mois, clamait en privé qu’il ne fait pas dans les petits calculs politiciens, qu’il n’y a «pas d’État et que les pseudo-chefs ne dirigent rien», se lave les mains comme Ponce Pilate. La population va devoir se battre seule contre l’insécurité, jouer à la prud ence, en cette fin d’année où les bandits kidnappent par grappe, endeuillent et appauvrissent des familles entières.

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Le premier ministre Jouthe Joseph «n’est pas un imbécile», a déclaré, mardi, Himmler Rébu, dans la matinale de Magik9, comme pour dire à demi-mot que c’est sur le lit de l’absence de volonté politique du pouvoir que fleurit l’insécurité. Pour une rare fois, cette sortie médiatique du premier ministre Jouthe Joseph n’a pas fait rire – si c’était intentionnellement le but recherché. La menace de se faire enlever à tout moment, à n’importe quelle heure d’une journée, à n’importe quel endroit dans tout Port-au-Prince, est trop sérieuse et pesante ces derniers temps pour en faire un trivial sujet de comédie.

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Presque tout procède chez Jouthe Joseph du ridiculisme d’État. Aux petits soins de la République, il n’en finit d’irriguer l’opinion de sa superbe. Il y a peu, lors de l’installation du nouveau directeur général de la PNH, il avait déclaré vouloir être à même d’aller danser «ti sourit». À trop vouloir glisser des blagues pour détourner le regard des calamités qui rongent Haïti, il banalise sans cesse la fonction et rabaisse davantage la République – s’il y a encore quelque chose à rabaisser dans un pays qui a longtemps sombré dans le brigandage et la désacralisation de la chose publique.

Poussé subitement de l’ombre à la lumière, le premier ministre se croit être Coluche dans un pays qui a plutôt besoin de profondes réformes susceptibles de faire sauter des digues qui bloquent les énergies créatrices, de la bonne gouvernance, de la reddition des comptes. Mais on s’est longtemps accommodé avec des dirigeants de la même cuvée. Les anciens sénateurs Anacacis Jean Hector et Riché Andris sont passés maîtres dans l’art de faire rire pendant que le pays s’écroule. L’impression triste est qu’on semble les adorer…


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