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L’arnaque à la bonne image : comprendre le chantage des photographies officielles en Haïti

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Via Dreamstime

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Par Ralph Stherson Sénat
Sociologue

Dans l’un de ses ouvrages, Erving Goffman analyse les interactions sociales au prisme d’une mise en scène théâtrale. L’investissement de l’espace social par les acteurs sociaux se fait dans des rôles intériorisés durant les différentes phases de leur socialisation. Pour ne pas perdre la face, dans les interactions sociales, les acteurs sociaux cherchent constamment à donner une impression de réalité pour répondre à des exigences sociales. À mon sens, la projection de l’impression de réalité est poussée à l’extrême dans le paysage politique et diplomatique, notamment, au niveau des photographies officielles. Plus qu’à projeter une impression de réalité, les photographies officielles visent à former une opinion, ou mieux, à orchestrer un chantage afin de forcer une sorte de consentement. En ce sens, plus que tout, elles sont des arnaques. Leur rôle principal est de tromper.

Sur la scène politique haïtienne, l’arnaque à la bonne image est corolaire à la quête éperdue de la reconnaissance internationale au niveau des élites dirigeantes. Elle participe de l’obsession au niveau des occupants de l’Etat haïtien à chercher l’approbation de leur politique par les « amis » au niveau de la communauté internationale en vue de se légitimer au niveau national. En fait, depuis la restructuration de l’Etat au cours de l’occupation américaine, l’image de l’approbation par le Département d’Etat américain est particulièrement recherchée. Aucun chef Haïtien n’est et/ou ne se sent vraiment chef si les Etats-Unis d’Amérique, même malicieusement, ne l’approuvent pas comme tel. Avec les dirigeants actuels de l’Etat, l’aplaventrisme vis-à-vis des instances et des personnalités publiques internationales est poussé à l’extrême. À titre d’illustration, les ambassadeurs haïtiens, les ministres du gouvernement et, de façon particulière, le président de la République, lors d’événement politiques internationaux où la présence haïtienne est traitée comme un simple accessoire, cherchent par tous les moyens à se prendre en photos avec des officiels américains ou à leur serrer la main dans l’unique objectif de propager l’image de leur approbation ou de leur bonne amitié.

Les séquences les plus récentes et les plus ridicules sont, d’abord, la prise hâtive de photo en septembre 2019, lors d’une assemblée générale de l’ONU, probablement dans les couloirs menant aux toilettes de l’édifice, entre le président américain Donald Trump et le ministre des affaires étrangères haïtien de l’époque, à savoir Edmond Bocchit. Au comble du ridicule, ce dernier s’est par la suite empressé de tweeter qu’au nom du président de la République d’Haïti, il avait été reçu par le président des Etats-Unis. Tout le monde sait qu’être reçu au niveau diplomatique, suppose une rencontre relativement planifiée et encadrée par des protocoles spécifiques portant sur un lieu et un contexte déterminé.

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Lors de l’investiture du président dominicain nouvellement élu, Luis Abinader, le 16 août 2020, le président haïtien lui-même, simple accessoire de l’événement, au milieu d’une pléiade d’invités, les uns plus estimés que les autres, dans un couloir ou un espace quelconque de l’édifice, s’est fait prendre en photo debout, tête baissée et bras presque croisés, avec le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo pour, par la suite, tweeter sur une rencontre fructueuse portant sur l’urgence d’organiser les élections en Haïti. Pour sa part, Monsieur Pompeo parlait, lui-même, d’une simple conversation portant, principalement, sur la nécessité de renforcer l’Etat de droit en Haïti. Cette double interprétation est ce qui, particulièrement, doit attirer l’attention. C’est le nœud de l’arnaque. Il s’agit pour le président haïtien d’utiliser l’image du secrétaire d’Etat américain comme instrument de chantage à l’autorité : Il faut qu’il y ait des élections en Haïti, peu importe les circonstances et les soupçons, parce que c’est ce que veut un officiel américain. En fait, depuis son accession au pouvoir, au grand dam de la souffrance populaire, toute son énergie est mobilisée dans le sens de se faire prendre au sérieux, en posant avec des officiels étrangers. L’objectif visé est de tromper dans l’intention de construire une légitimité fondée sur leur acceptation par des maitres « blancs ».

Il est important de démystifier ce comportement de larbin pour aider à faire comprendre que les dirigeants de l’Etat en Haïti vivent tous dans la certitude que leur pouvoir n’existe pas pour les Haïtiens. C’est, particulièrement, ce qui explique l’étendue de leur insouciance vis-à-vis de la souffrance et de la misère de la population.


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