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De quoi le “HMI” est-il le nom ?

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Par Dashka Louis

On mobilise à outrance, depuis des années, le sigle anglais “HMI” dans le milieu musical. Retour sur une appellation, aux contours imprécis, qui divise autant que la problématique de l’existence même d’une industrie musicale haïtienne.

«C’est vraiment du n’importe quoi ! Ce qui prouve encore une fois que nous n’avons pas une industrie musicale en Haïti. Le nom de l’industrie devrait être quelque chose de concerté, fruit de réflexions de plusieurs figures du secteur», gronde Philippe Saint-Louis, chroniqueur musical émérite qui avoue, au détour d’une conversation par téléphone, sourire régulièrement à chaque fois qu’il devrait dire, comme beaucoup d’autres, “HMI” pour désigner l’appareillage musical haïtien. Philippe Saint-Louis risque de continuer à s’enrager à n’en plus finir tant le terme s’est déjà ancré dans le parler populaire et que promoteurs, chanteurs, et également consommateurs y voient quelque chose de normal.

Le terme “HMI” (Haitian music industry), quoiqu’il soit flou, en plus d’être anglophone dans un pays pourtant créolophone et francophone, est en effet devenu de plus en plus prégnant dans le lexique musical haïtien ces dernières années. De quoi est-il le nom ? À qui doit-on son introduction dans le parler populaire? Quelle est l’influence de la diaspora anglophone dans sa popularisation? Suffit-il de parler d’industrie pour en avoir une au sens plein du concept ? Retour sur l’histoire d’un terme chéri à la fois par des animateurs de radios et des «producteurs» de la musique nationale où tout procède presque du mimétisme et de l’oraliture.

HMI? «Une farce, une plaisanterie, une aberration»

«Je suppose que c’est à quelques farceurs de la diaspora que nous devons cette appellation bizarre », s’étrangle Philippe Saint-Louis, qui semble en avoir haut le cœur l’appellation “HMI”. «C’est une farce, une plaisanterie, une aberration», tance-t-il, soulignant que ce ne serait pas faire cadeau au diable que de parler par exemple de «”EMA” (Endistri mizik ayisyen)».

Harry Luc, pour sa part, semble beaucoup moins radical. Le président de Handzup Group ne voit, comme beaucoup d’autres organisateurs d’événements, aucun problème dans l’utilisation du terme “HMI” en soi. Il croit comme beaucoup d’autres qu’il est issu de la diaspora haïtienne des États-Unis. Si la provenance du terme ne fait pas débat, pour Harry Luc, c’est difficile d’en attribuer la paternité à une figure précise. Preuve que, quand un patrimoine musical d’un pays ne fait pas l’objet d’ouvrages savants, il y a toujours une fenêtre ouverte à des discussions, des conjectures interminables sur les moindres détails le concernant.

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Harry Luc, co-organisateur de Sumfest (un festival organisé tous les étés depuis trois ans), jette par ailleurs en pâture l’idée qu’il y aurait une industrie musicale en Haïti. «C’est une illusion de parler d’une industrie musicale haïtienne», soutient-il. Pourquoi alors continuer à parler de “HMI”? « Il s’agit d’un problème commun à tous les domaines en Haïti. Les choses existent sur le papier ou tout bonnement dans l’oralité. Et puis, il ne sera pas étonnant de découvrir que tout est contraire dans la réalité. En ce qui a trait à la musique haïtienne ou encore mieux à une prétendue industrie musicale, il n’y a aucun protoco le établi, aucune norme, aucune régulation», explique Harry Luc, lui qui rappelle que jusqu’en 1996, citant Cynthia Kara (ancienne manager de Phantoms), le terme “HMI” n’avait pas encore existé pour qualifier le secteur musical haïtien.

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Mais Carel Pèdre semble avoir la réponse à la question. Le fondateur de Chokarella, très impliqué dans l’organisation de bals virtuels pour supporter des causes utiles liées à la pandémie du coronavirus, indique que le terme est apparu pour la première fois dans «Compas Magazine» (disponible sur le web et également en version imprimée) sous la plume de Patrick Desvarieux. «Et c’est ce même Patrick Desvarieux qui l’a popularisé vers la fin des années 1990, jusqu’au début des années 2000. Il s’est tellement popularisé qu’il désigne enfin le secteur musical», détaille le natif de Port-de-Paix, pour qui, contrairement à certains de ses collègues, il existe bel et bien une industrie musicale haïtienne.

«On peut parler d’industrie. Il y a des producteurs, des distributeurs et des consommateurs. Et toute la chaîne génère des revenus», argue Carel Pèdre. Avant de nuancer: «Tout ça peut ne pas être structuré, régulé mais il est évident qu’il y a une industrie. Mais comparativement à l’industrie musicale américaine par exemple, il y a certes beaucoup de choses qui manquent. Pas d’assez de ressources, d’argent, pas d’assez de maillons dans la chaîne, mais l’industrie est bien là.»

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«Un marché informel comme la Croix-des-Bossales»

L’histoire de la musique nationale n’est donc pas racontée dans des livres de référence. L’utilisation à outrance du terme “HMI” est peut-être une des manifestations de ce vide pour le moins cruel. Pour Jhonny Célicourt, critique musical très respecté en Haïti, cette appellation est venue de la «diaspora haïtienne des États-Unis qui, probablement, voulait comparer notre marché informel avec l’industrie musicale américaine qui dispose de structures organisationnelles bien établies dans toute la chaîne de valeurs [la production, la distribution, la promotion …]». S’arc-boutant sur la façon dont l’industrie de la musique s’organise dans d’autres pays, il soutient qu’il n’y pas une industrie musicale dans notre pays. Quitte à faire enrager des bien-pensants ?

«Nous avons des produits (musique, bals, festivals etc.) et des consommateurs mais cela ne constitue pas, malheureusement, un indicateur suffisant pour parler d’industrie parce que la chaine de production et de mise en marché n’est pas régulée», constate Jhonny Célicourt, arguant qu’ici n’importe qui peut se réveiller un bon matin et s’autoproclamer ”promoteur” ou ”manager”. Philippe Saint-Louis, animateur-vedette de «Mardi alternative», s’aligne sur la position de Jhonny Célicourt. «Dès qu’on dit industrie, cela ramène à une structure. Le terme industrie est impropre dans le cas haïtien. Nous avons un marché musical où chacun fait ce que bon lui semble. Il n’y a aucune régulation particulière. C’est un marché informel comme la Croix-des-Bossales.»

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Johnny Célicourt en remet une couche: «on n’a pas de maisons de disques avec un département A&R (Artists and Repertory) qui favoriserait la découverte et l’éclosion de nouveaux talents sur la scène, de maisons d’édition, de distributeurs de métier, d’attachés de presse, de sociétés pour les droits d’auteur, droits voisins, droits mécaniques […]» . «Ces structures sont fondamentales pour le fonctionnement harmonieux d’une industrie musicale», insiste-t-il, soulignant, non sans peine, comme pour revenir sur la question du “HMI”, que tous les flyers, les communiqués de presse et autres matériels de communication dans le marché de la musique haïtienne sont quasi-exclusivement conçus et publiés en Anglais pour une musique majoritairement chantée en Créole.

N’est-il pas temps de développer toute une pensée pluridisciplinaire, globale autour du marché de la musique haïtienne ?


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