Ce que révèle l’affaire Jean Bart

Par Juno JEAN BAPTISTE
Twitter: @junopappost

Aussitôt l’affaire révélée par The Guardian, une sordide affaire selon laquelle des joueuses auraient été victimes d’abus sexuels pendant des années de la part du président de la Fédération haïtienne de football (FHF), celui-ci a entrepris une croisade dans la presse. Une triste métaphore d’une société en perdition qui voudrait que les puissants, dès qu’ils sont accusés d’un quelconque forfait, fuient la procédure judiciaire, le temple de Thémis, et tentent de mettre l’opinion dans leurs poches aux micros de journalistes indulgents.

L’enquête ne saurait condamner ipso facto Yves Jean-Bart, mais elle offre des indices nécessaires à une procédure judiciaire désormais inévitable. Les journalistes enquêteurs, les lanceurs d’alerte, pour importants qu’ils soient, ne sauraient se substituer aux juges. À l’école difficile de la démocratie et de l’État de droit, à chacun son rôle, sans caricature. Mais quand la justice, depuis des lustres, se révèle boiteuse sous le poids des intérêts des plus puissants, et que les condamnations pour abus sexuels se comptent au bout de la main alors même que la pratique est monnaie courante en Haïti, les associations féministes, les organes de défense des droits des femmes et des filles, ont de bonnes raisons de s’inquiéter, de faire pression et de continuer à veiller au grain.

C’est cette peur d’une justice injuste qui cristallise toutes les passions autour de cette affaire aujourd’hui, couplée au verticalisme d’un Yves Jean Bart qui enquille les maladresses depuis la publication de l’enquête. L’indécrottable dirigeant de football se prend pour le football et l’existence de celui-ci serait tributaire de la sienne. Tout par et pour “Dadou”, dit-on. Dans le langage jeanbartien, la mort de Jean Bart, ou tout au moins sa mise à l’écart, signifierait la mise à mort du football. Pauvres illusions bonapartistes ! Drôle de façon de penser la FHF ! Ce n’est nullement un «coup dur contre le football haïtien», c’est plutôt la mise en cause de Jean Bart, une enquête, avec des mots tristes, qui révèlerait la face cachée – sombre – du Ranch de Croix-des-Bouquets.

Cette affaire n’en est pas moins symptomatique de la déliquescence de la presse haïtienne, une «presse d’annonces», qui n’investigue presque pas et qui s’y complaît, qui répète les communiqués des ministères, les annonces des chefs, qui ne développe point une culture de suivi dans les dossiers, qui se contente de compter les morts de l’insécurité ordinaire et qui se morfond, enfin, tristement, dans la paresse. Cette presse paria, dont une bonne partie prend déjà fait et cause pour Jean Bart, ce, à visage découvert, et crache paradoxalement sur le “Dadou Gate”, est à réinventer, à remodeler. Sinon, des affaires comme l’affaire Jean Bart seront toujours révélées par des journalistes étrangers pas toujours plus brillants que certains d’entre nous.

Le sursaut des associations féministes et autres organismes aux côtés des joueuses qui auraient été abusées sexuellement est une bonne chose. Mais à bien des égards, ce sursaut est tardif. Comment abandonner des filles, des jeunes filles enfermées dans un espace physique depuis des années, quoique pour une cause juste (football) et quoique visitées régulièrement par des émissaires de la FIFA, sans un regard assidu de la société civile ? Ces organisations doivent être renforcées; elles se doivent de jouer leur rôle de vigie tant en amont qu’en aval, d’aider à prévoir l’incendie au lieu de se retrouver tout le temps à le déplorer.

Vu la lourdeur des accusations, la République gagnerait dans une mise en retrait de Yves Jean Bart, en attendant une procédure judiciaire. Mais l’homme par qui le football et les joueuses et les joueurs existent ne l’entend pas de cette oreille…

Port-au-Prince Post

Informer pour Changer