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Contre la crise du bon sens au temps du coronavirus !

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Par Juno Jean Baptiste
Twitter: @junopappost

Il y a toujours eu des illogismes les uns les plus spectaculaires que les autres dans les pratiques de pouvoir. Mais on en a peut-être rarement vu autant en si peu de temps en Haïti, dans une période où le monde est à l’arrêt, foudroyé par la pandémie de Covid-19. Il se trouve que ceux qui tiennent le gouvernail, incapables d’être des éclaireurs, marchent tristement sur la tête, comme au temps d’avant le coronavirus. D’aucuns pourraient dire qu’il serait à la fois bête et illusoire de penser que le pouvoir PHTK allait tout à coup se métamorphoser, se transcender, s’élever à une dimension hier inatteignable, pour mieux gérer une crise sanitaire d’une ampleur rarement vue dans l’histoire, alors même qu’il a littéralement enfoncé ce pays dans l’abîme en dix ans.

Depuis la découverte des premiers cas de contamination de Covid-19, le pouvoir a instauré un couvre-feu quotidien à 8 heures du soir, comme pour masquer ses faiblesses, ses inaptitudes et ses impréparations face à la crise. Tous les jours, ceux qui sont pris dans l’engrenage des pratiques quotidiennes de survie, vaquent à leurs occupations. Beaucoup sont dépourvus de masques. Ils sont les uns sur les autres dans des marchés communaux et dans la promiscuité des camions et camionnettes tenant lieu de transport en commun. Un citoyen, à moins d’une cinquantaine de kilomètres de la Capitale, à Kenscoff, affirme, dans un reportage de la Voix de l’Amérique, n’être pas au courant de la maladie. Tout ça n’a pas de quoi interpeller les autorités. Peut-être croient-elles paradoxalement que la maladie ne se propage qu’à la nuit tombée !

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Comble de l’impensable, des policiers, toujours sous le couvert de ce couvre-feu dont seul le pouvoir connaît les secrets, ont violenté un journaliste qui revenait de son lieu de travail. Cette agression risque d’ouvrir la vanne de toutes les conjectures possibles. Surtout que, depuis deux ans, des journalistes sont assassinés, certains portés disparus, quand d’autres sont régulièrement molestés  alors que les enquêtes n’avancent pas dans la République des Tèt Kale. La crise du coronavirus, partout ailleurs, porte à réfléchir sur le monde qui advient, donc sur les contours de l’essentiel. Elle ne ne devrait nullement être le subtil prétexte pour des nostalgiques de la nuit dictatoriale de réactiver des réflexes autoritaires jetés dans les poubelles de l’histoire par le peuple haïtien.

Dans l’Haïti de toutes les comédies et de toutes les folies, parfois mûrement réfléchies dans les couloirs du pouvoir, les chefs, après un CSPN spécial lundi, ont annoncé non sans grandiloquence qu’ils allaient déloger les bandits à Village de Dieu et que tous les citoyens, les paisibles gens ordinaires qui y habitent, sont priés de vider les lieux dans moins de 72 heures. Comme si le coronavirus était sous contrôle, que les frustrations des soignants étaient passées à l’as, qu’il existait un protocole pour enterrer les morts, et qu’il fallait passer à autre chose. Sans rien planifier. Sans indiquer un endroit où aller aux habitants de Village de Dieu. L’annonce a fait grand bruit. Pas plus. Les bandits continuent à tuer et des vidéos de corps démembrés cartonnent sur les réseaux sociaux. Jusqu’à présent on attend encore les explications du ministre de la Justice.

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Comme si le coronavirus ne suffisait pas à l’angoisse du temps, le black-out devient roi. Le directeur général de l’EDH, dans ses différentes interventions par médias interposés, parle comme un vulgaire citoyen. C’est à croire qu’il serait un astéroïde tombé dans l’institution (excessivement déficitaire depuis des années) et qu’il ne sait quoi y faire. Le black-out semble partir pour durer. Le président Jovenel Moïse, en résiliant manu militari les contrats de la Sogener, a promis de résoudre l’équation de la bulle électrique. Il l’a plutôt compliqué. Son pouvoir patine dans la gestion des principales centrales électriques. Il y a des failles que le Covid-19 ne dissimule point. Faire de la politique avec un dossier aux enjeux multiples peut vous aider à passer l’orage d’un temps politique mais la vérité finira toujours par luire.

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C’est ce même président qui, au lieu de profiter du repos politique que lui offre le Covid-19 sur un plateau en or, parle, reparle et promet encore. 3 000 gourdes aux gens qui sont le plus dans le besoin, a-t-il dit, en bombant le torse, lundi. D’où proviendra cet argent? Quelle institution sera au front dans le pilotage de ce programme? 1.5 millions de familles bénéficieront de cette aide, annonce-t-on au Palais national. Comment choisir les bénéficiaires et sur quels critères les choisir? Cette opération ne risque-t-elle de muer en une nouvelle vaste stratégie de corruption d’autant que la transparence dans les dépenses publiques est l’ennemi des chefs de ce pays?

Cette annonce a provoqué de grands rires dans ce contexte de l’effondrement accéléré de la gourde. Bientôt, ça risque de provoquer des colères si les institutions de contrôle de dépenses de l’Etat ne s’y penchent pas dès maintenant. Mais cette annonce n’a pas fait de l’ombre aux accusations d’agressions sexuelles dont fait l’objet le président de Fédération haïtienne de football, Yves Jean Bart, de la part des joueuses de football et de leurs proches. Dans l’Haïti des petits copains, où il existerait une entente tacite autour du mal entre les puissants, des journalistes ouvrent déjà leurs micros au dirigeant de football et tentent maladroitement de blâmer les journalistes enquêteurs. Mais que nenni. Jean Bart peut se passer de quelqu’un pour lui dire ce qu’il est censé devoir faire dans telles circonstances, comme dans tout pays normal …


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