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Le numérique au sein des écoles et universités haïtiennes à l’ère du Covid-19 : défis et perspectives

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Via Inside Higher Ed

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Jonel Dilhomme
Politiste, DEA Enseignant-chercheur à l’UEH/FDSE
jonel.dilhomme@ueh.edu.ht

En cette période de pandémie, une bonne partie de la population mondiale est confinée. Haïti, à quelques nuances près, n’est pas en reste. Ce cas de force majeur ne devrait pas être considéré comme une fatalité. Tout au contraire. C’est une occasion d’apporter non seulement des pistes de solutions appropriées à la pandémie mais également des solutions ayant rapport avec les défis du numérique notamment en Haïti. C’est dans cet esprit que nous allons mettre l’emphase dans un premier temps sur le numérique et les connexions internet qui sont considérées, par beaucoup, comme des outils indispensables pour le télé- travail, la visioconférence, l’information, les cours à distance ect. Dans un deuxième temps, nous allons tenter d’appréhender les grands défis auxquels Haïti fait face en matière du numérique, finalement, dans un troisième temps nous dégagerons des perspectives.

1. Des pistes de réflexions sur ce qu’est le numérique

Point n’est besoin de rappeler que le numérique est devenu un outil aussi essentiel que l’eau ou l’électricité, surtout à l’ère du covid-19. En effet, le numérique est un concept qui nous est devenu très familier. Mais que désigne-t-il à proprement parler ? Comment comprendre et définir cet objet, ce phénomène qui semble destiné à transformer notre quotidien et à reconfigurer notre réalité ? Les dictionnaires restent un peu muets devant le numérique, leurs définitions ne renvoyant souvent qu’à l’aspect étymologique et technique – un secteur associé au calcul, au nombre – et surtout aux dispositifs opposés à l’analogique. Dans notre usage, de toute évidence, le numérique nomme bien autre chose.

On a pris l’habitude de désigner comme numériques les données informatiques. Elles sont traitées par les ordinateurs, développées depuis la seconde moitié du xxe siècle à partir de machines à calculer programmables. Par synecdoque, on appelle numérique tout ce qui fait appel à des systèmes électroniques construits sur des fonctions logiques, auxquelles se réduisent les calculs arithmétiques.

Nous vivons dans un monde en évolution permanente, impacté par les rapides avancées technologiques. Notre façon de travailler, de nous rendre sur notre lieu de travail, de consommer, de passer notre temps libre, de communiquer et même de penser, a connu des changements sans précédent sous l’influence des technologies.

Que devient l’éducateur, le professeur, le pédagogue dans le monde des objets intelligents de la SmartSchool? Est-ce qu’il suffit de brancher une école à un réseau pour qu’elle devienne “smart”, intelligente ?

Derrière le numérique, il y a des techniques, des technologies, de l’ingénierie, des outils, mais aussi des profits et des intérêts pas toujours reluisants. Il y parfois un esprit de conquête, mais aussi des valeurs, du partage et des idéaux. S’il fallait « designer » l’enseignement de demain, le professeur pourrait avoir ce rôle de coordinateur, d’organisateur, de facilitateur. Organiser le savoir, l’expérimenter, en faire jaillir des valeurs, provoquer l’échange, la critique, éveiller la curiosité, donner le goût du monde qui vient, questionner l’information, les usages, le flux des réseaux de communication.

2. Appréhender les défis du numéque dans le monde et en Haïti pendant le Covid-19

Au moment où de nombreux pays misent sur l’enseignement numérique à distance pour “assurer la continuité de l’éducation”, affirme l’Unesco, “826 millions d’élèves et d’étudiants n’ont pas accès à un ordinateur à domicile, et 706 millions n’ont pas l’internet à la maison’’. Ces élèves et étudiants sont éloignés des salles de classe par la pandémie de Covid-19, explique l’organisation sur son site internet. Elle précise que ces chiffres sont une compilation de l’équipe spéciale internationale sur les enseignants, une alliance coordonnée par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. “Les disparités sont particulièrement marquées dans les pays à faible revenu : en Afrique subsaharienne, 89% des apprenants n’ont pas accès aux ordinateurs familiaux, et 82% n’ont pas l’internet’’, fait remarquer l’Unesco.

La construction des infrastructures nécessaires en vue d’assurer une connectivité permettant un accès universel à l’énergie et au très haut débit (fibre optique, 4G…) partout sur le territoire national est une condition essentielle pour la réalisation des objectifs de la transformation numérique en Haïti. Elle est nécessaire pour faire émerger une véritable industrie du numérique reposant sur une recherche en développement de pointe, faite avec des centres de recherche et entreprises en partenariat avec les géants mondiaux du secteur en vue d’être en mesure de produire des objets connectés, tablettes, ordinateurs etc. et de profiter des innovations de l’impression 3D pour le marché de la Caraïbe et du monde.

L’enseignement à distance peut se généraliser en mobilisant les nouvelles technologies et ressources numériques : plateformes d’enseignement à distance performantes ; réalité virtuelle permettant de réelles mise en situation d’apprentissage ; visioconférence et audioconférence pour mettre à profit certaines spécificités culturelles telles que l’oralité et amoindrir les effets de l’analphabétisme ; bibliothèques numériques ; mutualisation de l’ensemble de ces ressources et enseignements pour faire face à la rareté des spécialistes dans certains domaines, tous les départements d’Haïti pouvant, par cette magie du numérique, accéder aux mêmes enseignements. À côté de tous ces défis majeurs, la fracture numérique ne saurait être ignorée.

Il faut souligner au passage qu’il n’y a pas encore de définition qui fait l’unanimité au sein des experts de l’Unesco. Néanmoins dans le rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, appelé couramment rapport Attali, une tentative de définition a été proposée: ”La fracture numérique concerne les inégalités dans l’usage et l’accès aux technologies de l’information et de la communication (TIC) comme les téléphones portables, l’ordinateur ou le réseau Internet.” La fracture numérique ne représente donc qu’une toute petite partie de l’ensemble des inégalités de développement. On parle parfois aussi de fossé numérique, qui se définit: « D’une manière générale, comme une inégalité face aux possibilités d’accéder et de contribuer à l’information, à la connaissance et aux réseaux, ainsi que de bénéficier des capacités majeures de développement offertes par les TIC. Ces éléments sont quelques-uns des plus visibles du fossé numérique, qui se traduit en réalité par une combinaison de facteurs socio-économiques plus vastes, en particulier l’insuffisance des infrastructures, le coût élevé de l’accès, l’absence de formation adéquate, le manque de création locale de contenus et la capacité inégale de tirer parti, aux niveaux économique et social, d’activités à forte intensité d’information. »

La pédagogie autour du numérique devrait-être simple et concrète. Apprendre aux élèves/étudiants la manipulation de document avant de commencer la manipulation de données. Premièrement, expliquer comment fonctionne l’outil avant d’expliquer la technique. Lorsque les élèves/étudiants ont acquis un niveau solide, ils peuvent travailler sur de l’open data. Par exemple, travailler sur les données laissées sur le web et apprendre à les télécharger, cela s’apparente à une première démystification. Permettre à un individu de mieux comprendre des données, cela implique un renforcement de ces compétences et donc un “empowerment”, c’est un enseignement essentiel. Cela concerne l’ensemble des publics : les seniors mais aussi les plus jeunes.

3. Les Écoles/Universités pour un avenir meilleur. Quelles stratégies?

Il est un fait que chaque crise apporte une opportunité et, le Covid-19 n’est/ne sera pas différent. Chacun dans sa sphère d’activité devrait évaluer quelles pourraient être les nouvelles opportunités / zones de croissance qui émergeraient dorénavant. Les acteurs de l’enseignement devraient réfléchir sur la façon dont les Écoles/Universités, les compétences, les capacités de base peuvent être utilisées à cette fin. Le Covid-19 ne voit pas la race, la religion, la couleur, la caste, la croyance, la langue ou la frontière avant de frapper. Contrairement aux moments antérieurs de l’histoire, où des pays ou des sociétés se faisaient face, nous sommes aujourd’hui confrontés ensemble à un défi commun. L’avenir portera sur l’unité et la résilience. Sommes-nous effectivement dans le même bateau? Notre réponse et notre conduite par la suite devraient attacher la primauté à l’unité et à la fraternité.

Et pour anticiper les risques de congestion des réseaux suite au passage progressif ou brusque de plusieurs entreprises au travail à distance, le CONATEL en tant qu’organisme régulateur de la télécommunication en Haiti peut demander aux opérateurs Natcom et Digicel et fournisseurs de services Internet d’augmenter les capacités réseaux et les débits mis à la disposition des citoyens et des entreprises?

Cette pandémie du Civid-19 est révélatrice des carences de la transformation numérique en Haiti qui n’est pas très avancée dans la préparation de sa transformation numérique. La réalité d’Haiti en matière du numérique est faite de carences importantes qui contribuent à amplifier la fracture numérique dans la région des Caraïbes. L’absence d’une vision prospective claire, de la transformation numérique en Haiti continue à faire son chemin.

En l’absence d’une vision prospective, la mise en place des piliers importants pour soutenir la transformation numérique n’est pas traitée comme une priorité. Les politiques publiques en matière de transformation numérique manquent d’ambition, lorsqu’elles existent. Les infrastructures sont faibles, les compétences aussi rares que les ressources financières ; l’environnement juridique et institutionnel inexistant ou peu favorable. L’absence de ce support de la part de l’État haitien pour permettre l’éclosion et le développement d’acteurs du numérique forts nous prépare à une transformation numérique à la hauteur des attentes des clients, selon la vision et les orientations d’acteurs majeurs, publics et privés.

Les écoles/universités haïtiennes avant de se lancer dans les cours en ligne doivent d’abord penser à un plan numérique pour l’éducation. Ce plan aura pour but de permettre aux enseignants et aux élèves/étudiants de profiter de toutes les opportunités offertes par le numérique. Les acteurs publics et privès doivent tirer des leçons afin de mieux préparer les élèves/étudiants à être acteurs du monde de demain :en développant des méthodes d’apprentissage innovantes pour favoriser la réussite scolaire et développer leur autonomie dans l’utilisation des TIC; en formant des citoyens responsables et autonomes à l’ère du numérique ; en préparant les élèves/étudiants aux emplois digitaux de demain. Sa mise en œuvre repose sur quatre piliers: a) la formation des enseignants : condition essentielle pour la transformation du numérique à l’École/Université; b)des ressources pédagogiques adaptées aux usages du numérique ; c) des équipements individuels mobiles pour tous les élèves/étudiants ; d) l’innovation pour évaluer, développer et diffuser des nouveaux usages numériques.

En définitive, les technologies de l’information et de la communication gagnent tous les secteurs d’activité de nos sociétés parfois qualifiées de « sociétés post-industrielles », voire de « sociétés de l’information ». Loin d’échapper dans sa pratique quotidienne à ce processus d’intégration des nouvelles technologies, le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche fait partie des secteurs dits « pionniers ».

L’émergence puis le développement des technologies de l’information et de la communication appliquées à la formation peuvent avoir des conséquences sur l’organisation et le fonctionnement des établissements d’enseignement, sur les modalités de leur ouverture vers l’extérieur, voire sur l’intégration à leur pratique d’une dimension dite « virtuelle » permettant de rassembler et de rendre accessibles en tout lieu et en tout temps, en un seul document, des informations localisées dans des endroits différents. Combien d’enseignants et élèves/étudiants qui sont capables de s’adapter à cette nouvelle
réalité ?

Le Professeur Mary Teuw Niane, l’ex Ministre de l’Enseignement Supérieur du Sénégal, interviewé par la journaliste scientifique de l’émission ”Autour de la question” Caroline Lashosky au Centre des congrès de Kigali lors du Forum ”Next Einstein Forum” 2018 a affirmé que: “Le numérique est un défi, il est l’avenir de l’enseignement supérieur dans le monde et particulièrement en Afrique.” Haïti est-elle prête à y penser et à en payer le prix ?


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