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Entre discours, information publique et rigueur: la nécessité d’une gouvernance responsable dans la gestion sanitaire du Covid-19 en Haïti

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Via Enoving

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Danta, Bien-Aimé
Infirmière, MSc-Global Health
Harvard Medical School

Depuis le 19 Mars 2020, Haïti est officiellement confronté à la réalité du nouveau coronavirus (COVID-19), une pandémie respiratoire mondiale[1] qui menace de bouleverser les structures sociales, politiques et économiques de base des sociétés. J’ai constaté avec admiration le courage des travailleurs de santé de première ligne, en particulier, mes collègues infirmiers, les efforts altruistes des réseaux académiques tels que les associations de pharmaciens et de techniciens de laboratoire en collaboration avec l’Université d’État d’Haïti, des regroupements de citoyens et des initiatives individuelles, qui s’associent aux autorités locales dans la lutte contre cette pandémie. J’ai aussi été malheureusement déçue de la façon dont l’un des principaux pouvoirs, garants de la souveraineté nationale et de la protection des citoyens a éventuellement mis en péril la vie des Haïtiens, à travers une note publique, vague et imprécise. Le 14 Avril 2020, la ” commission Santé Publique et Population’’ du Sénat de la République signe une note de presse annonçant certaines mesures préventives—la distribution massive de masques, le maintien des mesures de distanciation, le renforcement des règles d’hygiène de base—et certaines exhortations qui pourraient s’avérer fatales. Citons, à cet effet, le second paragraphe de cette note :

« La commission encourage le gouvernement à accentuer sur l’acquisition des médicaments comme l’hydroxychloroquine, l’azithromycine et le zinc, qui d’après beaucoup de spécialistes sont efficaces pour le renforcement du système immunitaire. »

Contrairement au Zinc qui est un minéral ayant, en dépit des controverses, un effet bénéfique sur le système de défense du corps humain contre les infections[2], l’hydroxychloroquine de la famille des ‘‘antirhumatismaux modificateurs de la maladie (ARMM)’’[3] et l’azithromycine de la famille des antibiotiques macrolides[4] ne sont nullement considérés comme des médicaments renforçant le système immunitaire. Je considère que cette erreur découle d’une désinvolture dans la diffusion d’informations sur un problème de santé actuel et important, et je crois qu’elle doit donc être immédiatement et publiquement rectifiée. Je ne veux pas m’attarder uniquement sur cet aspect “technique” précis de la communication. Je veux aussi m’étaler sur les conséquences préjudiciables, non-intentionnelles, qui pourraient résulter de la publication de cette information, accessible au public bien que s’adressant au gouvernement. Suite à ces exhortations, nous pourrions logiquement et éventuellement prévoir une utilisation abusive des médicaments susmentionnés, incorrectement identifiés comme des ‘‘stimulants du système immunitaire.’’ Comme conséquences possibles, des tableaux de toxicité et/ou de résistance médicamenteuse peuvent se présenter à l’avenir. De plus, nous pourrions également observer des formes contrefaites de ces médicaments sur le marché local en réponse à la demande croissante de ces molécules et à leur consommation abusive. Il n’est pas sans savoir qu’en Haïti, la vente libre des médicaments continue d’être un défi majeur et ‘‘un tueur silencieux’’ incontrôlé.[5] En 2019 déjà, le Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP) avait lancé une alerte aux professionnels de la santé et aux distributeurs de produits pharmaceutiques concernant la circulation d’un antibiotique contrefait, la clarithromycine—un macrolide comme l’azithromycine[6]—et, d’une ampoule de phénobarbital injectable contrefaite qui a failli tuer un enfant.[7]

En diffusant cette note de presse, il est logique d’anticiper des scénarios dans lesquels les contrefacteurs de médicaments tenteront de faire circuler sur le marché des produits falsifiées pour une consommation de masse par le public. De la diffusion désinvolte d’une note sans des mesures de contrôle appropriées, pourrait donc découler un désastre de santé publique incontrôlable.

Prenons, à juste titre, un autre paragraphe de la note de commission du Sénat.

« La commission exhorte le pouvoir en place à encourager et à organiser le recours à la médecine traditionnelle qui, d’après nombre de témoignages, a donné des résultats satisfaisants dans la prévention et le traitement du COVID-19 »

Lors de la conférence sur la médecine traditionnelle lancée le 29 Septembre 2017, l ‘actuelle ministre de la Santé Publique a souligné la grande nécessité pour la médecine hippocratique de se synchroniser avec la médecine empirique pour le bien-être de la population. Aujourd’hui encore dans le contexte « COVIDien », les opinions basées sur des observations, des témoignages épars, des rumeurs ou des expériences personnelles pleuvent sur le bienfait des recettes médicinales traditionnelles sur les malades atteints du COVID-19. Bien qu’il soit important de penser à l’intégration de la médecine traditionnelle dans la pratique sanitaire en Haïti, j’estime que grande “prudence et rigueur” est nécessaire quant à la validation hâtive, précoce, et potentiellement dommageable des pratiques de médecine empirique dans le contexte du COVID-19.

Jusque-là, en ce qui concerne le traitement du COVID-19, les agences Américaine et Européenne des médicaments priorisent la poursuite des thérapies expérimentales et essais contrôlés randomisés comme approche idéale pour la découverte d ’une cure.[8],[9] Il est plus que nécessaire d’envisager cette même approche dans les pratiques traditionnelles. Compte tenu du fait qu’environ 81% de patients infectés du coronavirus présenteront des symptômes modérés de la maladie et peuvent récupérer sans aucun traitement,[10] il est imprudent de s’appuyer sur de simples « témoignages » pour encourager l’utilisation des méthodes traditionnelles dans la prise en charge de la maladie. Nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que les compositions traditionnelles ingérées par les patients atteints du COVID-19 sont véritablement la raison de leur récupération. De plus, d’un point de vue épidémiologique, il n’est pas réfléchi d’encourager ces pratiques domiciliaires incontrôlées. Le COVID-19 est une affection à déclaration obligatoire et un problème de santé publique majeur. Les cas doivent être signalés et les contacts doivent être retracés. Les patients présentant des symptômes similaires à ceux du COVID-19 doivent être suivis. Plus les pratiques non contrôlées à domicile sont encouragées, moins les patients seraient enclins à reporter leurs symptômes ; ce qui risque de créer une lacune majeure dans la précision et la fiabilité des données épidémiologiques. Ces patients pourraient aussi présenter de graves complications résultant du retard dans la recherche d’une assistance professionnelle. D’ailleurs, même en dehors du contexte de COVID-19, des associations entre les pratiques traditionnelles non-intégrées et la recherche tardive de soins ont été établies, ce qui pourrait entrainer des complications graves évitables.[11],[12]

Loin de moi l’idée d’écarter d’emblée l’importance de la médecine traditionnelle. Loin de moi aussi l’idée de rejeter d’un revers de main l’importance de ces témoignages sur les potentiels effets positifs de certains remèdes naturels sur des symptômes spécifiques du nouveau coronavirus. Ce que je veux surtout souligner, c’est que dans ce contexte spécifique du COVID-19 en Haïti, où la population est encore sceptique à l’égard de la maladie, toute approche curative doit être fondée sur des “évidences”, avec toute la rigueur scientifique que ce terme indique, avant d’être validée et adoptée. Avant d’encourager un quelconque recours à la médecine traditionnelle, des études doivent être faites sur la composition de ces recettes, la concentration de chaque élément, leurs propriétés chimiques et physiques, leur mécanisme d’action et leurs effet secondaires sur l’organisme dans le cadre du traitement ou de la prévention du COVID-19. Le sous-développement économique ne doit en aucun cas engendrer un sous-développement scientifique et anéantir les conditions d’application des méthodes scientifiques.

Le gouvernement compte sur les défenseurs de la science qui font partie de cette commission Santé Publique et Population du Sénat de la République pour orienter ses décisions de manière sure et sécuritaire. Nous n’en sommes pas encore au stade d’encourager officiellement le pouvoir en place à avoir recours à la médecine traditionnelle dans la prévention et le traitement du COVID-19. Dans un contexte de tâtonnement, où la majorité de la population ne fait qu’errer entre des recettes de toutes sortes, dans un contexte où il n’existe pas de structures préexistantes de pratiques traditionnelles organisées et intégrées, je crois qu’il faut faire preuve de prudence afin de ne pas créer de nouvelles crises à l’intérieur d’une crise.

Cet article constitue un cri d’alerte par rapport au danger que représente une communication désinvolte et négligente, qui a soulevé une fièvre au sein de la population, et qui demeure non clarifiée. Je ressens cette responsabilité d’exprimer mes inquiétudes par rapport aux risques qu’elle représente, afin de contribuer à leur anticipation. Ma démarche ne s’inscrit guère dans le cadre d’une critique acide et stérile de la stratégie de gestion sanitaire du COVID-19 en Haïti. Elle s’enracine plutôt dans la promotion d’un style de leadership proactif et responsable, où les autorités sont conscientes des conséquences de chaque action enclenchée, de chaque mesure prise dans la gestion de cette pandémie. Comme l’a expliqué Patrick Lagadec, chercheur français spécialiste de la gestion des risques et des crises, ‘‘la première victime de la crise, est le plan de crise.’’[13] Il est impératif de prévoir et de mitiger autant que possible les potentielles conséquences de chaque action dans la gestion du nouveau coronavirus en Haïti. Représenter un peuple est une tâche lourde et noble. La position de leadership de la commission Santé Publique et Population implique un sens aigu des responsabilités, un devoir de conscience infaillible menant à la hiérarchisation de stratégies durables pour le renforcement du système de santé et pour une communauté saine. Pour une meilleure gestion du COVID-19 en Haïti, il est impératif que la compétence et la volonté politique soient à la hauteur des grands défis et attentes sur le plan de la gouvernance.


[1] Ghebreyesus TA. WHO Director-General’s opening remarks at the media briefing on COVID-19 – 11 March 2020. World Health Organization : https://www.who.int/dg/speeches/detail/who-director-general-s-opening-remarks-at-the-media-briefing-on-covid-19—11-march-2020 Accédé le : 20 Avril 2020.

[2] Prasad AS. Zinc in Human Health: Effect of Zinc on Immune Cells. Mol Med. 2008;14(5-6):353-357. doi:10.2119/2008-00033.Prasad

[3] Drugs and Medication, Hydroxychloroquine sulfate. WebMD. https://www.webmd.com/drugs/2/drug-5482/hydroxychloroquine-oral/details Accédé le: 20 Avril 2020.

[4] Drugs and Medication, Azithromycin. WebMD. https://www.webmd.com/drugs/2/drug-1527-5223/azithromycin-oral/azithromycin-suspension-oral/details Accédé le: 20 Avril 2020.

[5] Bussières J-F. État des lieux en pratique pharmaceutique à Haïti – mise en contexte d’un pharmacien. 2013:61 pages. doi:10.18163/URPPCHUSJ2013111401

[6] Le MSPP alerte les Haïtiens sur la vente d’un médicament “contrefait”. Loop Haïti. https://www.loophaiti.com/content/danger-le-mspp-alerte-sur-la-vente-dun-faux-medicament-en-haiti Publié le 21 Mars 2019. Accédé le : 20 Avril 2020.

[7] Saint-Juste E. Médicament contrefait : attention à un faux phénobarbital injectable. Le Nouvelliste. https://lenouvelliste.com/article/199689/
medicament-contrefait-attention-a-un-faux-phenobarbital-injectable Publié le : 27 Mars 2019. Accédé le : 20 Avril 2020.

[8] Coronavirus Disease 2019 (COVID-19), Clinical care. Centers for Disease Control and Prevention. https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/hcp/clinical-guidance-management-patients.html Mis à jour le : 6 Avril 2020. Accédé le : 20 Avril 2020.

[9] Update on treatments and vaccines against COVID-19 under development. European Medicines Agency. https://www.ema.europa.eu/en/documents/
press-release/update-treatments-vaccines-against-covid-19-under-development_en.pdf March 2020. Accédé le : 20 Avril 2020.

[10] Coronavirus Disease 2019 (COVID-19), Clinical care. Centers for Disease Control and Prevention. https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/hcp/clinical-guidance-management-patients.html Mis à jour le : 6 Avril 2020. Accédé le : 20 Avril 2020.

[11] Louis C, Ivers LC, Fawzi MCS, Freedberg KA, Castro A. Late presentation for HIV care in central Haiti: factors limiting access to care. AIDS Care. 2007;19(4):487-491. doi:10.1080/09540120701203246

[12] Barnes-Josiah D, Myntti C, Augustin A. The “three delays” as a framework for examining maternal mortality in Haiti. Social Science & Medicine. 1998;46(8):981-993. doi:10.1016/S0277-9536(97)10018-1

[13] Peretti-Watel, P. Sociologie du risque et crises sanitaires : un éclairage sur la pandémie du coronavirus. Avril 2020. Ressources en Sciences Économiques et Sociales : http://ses.ens-lyon.fr/articles/sociologie-du-risque-et-crises-sanitaires-un-eclairage-sur-la-pandemie-du-coronavirus#ftn6


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