Sat. May 11th, 2024

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Patrice Cinéus

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Patrice Cinéus
Rimouski (Québec)

Cher tous,

J’ai récemment lu un papier de ma fidèle secrétaire étalant les délices de son confinement avec un dénommé Pat. L’espace d’une seconde , j’ai pensé que c’était moi. Pourquoi j’ai pensé ça ? Je n’en sais rien. Mais un simple coup d’oeil à ma fenêtre m’a dissuadé. En fait, les gouttelettes de fine pluie qui s’y trouvaient, transpercées par des rayons timides du soleil de printemps annonçant ainsi la fin de l’hiver, m’ont confirmé que je n’étais pas en Haiti. Donc il ne peut pas s’agir de moi, n’ayant pas le don d’ubiquité. Et même si j’étais au pays et enfermé avec elle, je crains fortement que les tournures de ce confinement n’auraient pas été aussi réjouissantes qu’elle le décrit. Je suis très content pour elle, la formule qui veut que Pat soit égal au bonheur n’est plus à démontrer. “Mete yon Patrice nan lavi nou!”, a-t-elle recommandé. Ceci étant dit, je décline toute responsabilité d’un quelconque dégât ou accident à l’issue de ce réjouissant confinement de ma secrétaire avec Pat, que ce soit dans 3 mois, dans 6 mois ou dans 9 mois.

Je ne suis pas en Haiti, je ne sais pas si je dois m’en réjouir ou m’en plaindre. Je me trouve à plus de 500 kilomètres de toute civilisation haïtienne ou antillaise. Rimouski c’est beau et calme, mais il manque pour un insulaire comme moi, le griot, le rhum et le compas. Etant quelqu’un de très extraverti qui aime voyager, je vis très mal cette histoire de Covid19. D’autant plus que dans mon agenda, l’année 2020 était destinée à la prise de grandes décisions, comme mettre fin de façon définitive à ma carrière d’étudiant, me caser une bonne fois pour toutes, une période de ma vie que mon bon ami Johnny aurait appelé « le début du grand changement ». Je vais surement me plaindre, mais je n’insulterai pas le Bon Dieu, je vais tout simplement accepter ma situation et repousser aussi gentiment que possible toutes les propositions qui vont continuer à fuser de partout. Vous ne pouvez pas imaginer la charge émotionnelle d’une telle démarche.

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Au début de cette situation, je me suis dit que je vais lire plein de livres, je vais avancer considérablement sur mon travail de recherche, que je vais faire du sport, j’ai fait tout ça pendant deux semaines mais maintenant c’en est trop, je suis fatigué et épuisé à ne rien faire, à ne pas pouvoir sortir prendre une bière ou manger dans un restaurant de la ville, ni pouvoir profiter du sourire de ma nièce à Montréal ou venir me prélasser sur une plage en Haiti sirotant un cocktail et admirer le coucher du soleil.

Au lieu de ça, je me retrouve à me laver les mains tellement souvent que je maigris uniquement des mains causant ainsi un contraste pas trop joli avec le reste de mon corps qui prend du poids, des cheveux en désordre et un esprit trop longtemps affranchi d’exercices intellectuels . En attendant que le monde retrouve son rythme normal, je vous saurais gré de ne pas garder de moi l’image d’un patron qui, entre autres choses, radote avec sa secrétaire sur le genre, le féminisme, sur le ministère à la condition de je ne sais quoi mais plutôt d’un jeune haïtien confiné dans le bas Saint-Laurent rêvant de lalo, de prestige, de coucher soleil et de sable, et qui lit OSHO « le courage, la joie de vivre dangereusement ».

Cordialement.


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