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Le «rara» nous révèle la culture métissée d’Haïti

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Image: Kokoye Overblog

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Par Frédéric Chérestal
Spécialiste en Tourisme/ Marketing

pierrefredericcherestal@gmail.com

L’homme (la femme) haïtien (ne) est un être qui chante et qui danse. Son rapport au réel prend forme à travers des expressions artistiques diverses : musique, chant, danse, peinture, arts plastiques, etc. Cette philosophie de la vie qui, loin d’être une forme d’hédonisme, propose une utilisation des arts pour aborder la réalité se révèle être un gage d’espoir, dans un dynamisme transformateur.

Origines et évolutions du Rara en Haïti

Le terme « rara » désigne, dans sa signification commune, une fête haïtienne populaire qui couvre la période de Carême. Ces festivités sont réalisées par des défilées de bandes, dites « bann rara (en créole) ». À l’instar de la plupart des traits culturels haïtiens, le Rara a des origines diverses. Il épouse les différents peuples et civilisations qui ont habité l’île d’Haïti au-delà et à partir du XVe siècle : Arawaks, Africains et Européens. Certains auteurs associent le Rara à la célébration de l’équinoxe du printemps par les Amérindiens. Dans ce même ordre d’idées, Jean Coulanges a observé des similitudes entre la pratique des jongleurs haïtiens et celle des descendants actuels des Mayas du Guatemala et de l’Équateur (Dautruche, 2013). Ils jonglent pour honorer la nature. Traditionnellement, on raconte que les défilées de Rara à Léogâne et dans l’Artibonite s’expliquent par le fait que la Reine Anaconda, Cacique du Xaragua, se déplaçait depuis Léogâne avec sa garde d’honneur, au son de la musique, pour aller visiter son mari Caonabo, Cacique de la Maguana, dans l’Artibonite. Chez les Espagnols, on admet que le Rara a hérité de la fête espagnole « La Cruz » ou « Fête de la Croix » qui se déroulait pendant la semaine sainte. Des traditions françaises, on associe le Rara aux différentes célébrations païennes autour du printemps, pendant la période de la féodalité. Du côté des Africains, on a découvert des liens entre des festivités chez les tribus Yoruba et Congo. Dans leurs dialectes, le terme « rara » signifie littéralement « hautement, bruyamment » (Courlander, 1960). D’origines multiples, nous devons admettre que le Rara puise ses racines chez nos ancêtres amérindiens, européens et africains. À travers les générations, ces festivités furent modelées par les Haïtiens en fonction de leurs réalités propres. Ces dites réalités se traduisent essentiellement par les liens unissant le Rara au Vodou.

Image: Kokoye Overblog

Caractéristiques et liens avec le Vodou

Le terme « rara » désigne un bruit fort, voire assourdissant. D’où la populaire expression créole « pa vin fè rara la ». Les festivités de rara sont pratiquées en bandes organisées qui évoluent sous le leadership d’un chef. Traditionnellement, une bande rara (bann rara) est ainsi structurée : le Samba qui prend place devant 5 cornets (au plus) et des vaccines. Puis, nous avons le « Bass drum », tambour et Kata. Les « cornets » sont placés après les tambours ou les « Sambas ». Le meneur (connu sous le nom de « colonel » dans certaines régions) porte le « fwèt kach » et se place devant les « cornets », puis précédé par des « majors joncs » (Décime, 2012). Comme la majorité de nos traditions culturelles, le Rara est intimement lié au Vodou. En effet, de nombreux chercheurs attestent qu’une bande de Rara se forme suite à la demande spécifique d’un Loa, divinité du vodou. Cette demande est transmise soit lors d’un songe ou pendant une cérémonie. Le destinataire du message a pour devoir d’organiser les festivités aux dates requises. Une telle responsabilité se transmet à travers les générations. Dans le but d’attirer la protection et les « chances » de toutes sortes, pour les dirigeants, membres et participants du groupe, des cérémonies vodoues sont célébrées au début du cycle annuel de rara et avant chaque prestation ou sorties.

Évolutions pendant la période contemporaine

Les différents changements qui affectent le corps social haïtien ont leurs impacts sur nos pratiques socio-culturelles, dont le Rara. Objet de critiques diverses, spécialement pour ses relations étroites avec le Vodou, le Rara connaît des évolutions diverses à travers sa structuration, la réalisation des festivités et ses relations avec ce que nous pouvons appeler « le sponsorship » des entreprises du secteur privé. En effet, prenant le cas de la ville de Léogâne, Dautruche (Dautruche, 2013) souligne un ensemble de mutations au niveau du Rara. Concernant ces derniers, nous retenons quatre (4) principaux changements. Dans un premier temps, il s’agit des évolutions autour des célébrations des festivités de Rara dans les années 1990 à Léogâne. En effet, ces fêtes laissent le cadre « sélectif », « mystique » et « fermé » pour devenir une fête populaire, une attraction touristique ouverte au grand public (haïtiens des villes voisines, membres de la diaspora et étrangers). D’un autre côté, ce sera l’investissement de l’espace urbain par les bandes de Rara, qui se produisent de plus en plus dans nos différentes villes. Plus loin, les rivalités entre bandes vont laisser le terrain des affrontements (physiques et mystiques), pour devenir musicales (méringues, harmonies, animation, etc.) et esthétiques (déguisements, banderoles, drapeaux, décorations, etc.). Enfin, la structuration des différentes bandes, au sein de l’Union des Rara de Léogâne (URAL), par exemple, et l’appui financier de l’État haïtien (via les Mairies et Ministères) octroient une légitimité certaine aux acteurs impliqués dans ces célébrations. Au final, soulignons que des entreprises du secteur privé financent, de plus en plus, ces festivités. Légitime et louable au départ, cette pratique de sponsoriser les bandes de Rara a des impacts négatifs sur les festivités, par l’utilisation abusive de matériels de promotion (t-shirt, casquettes, etc.), avec les couleurs, logos et noms des compagnies/ des marques. Ces pratiques participent dans la dénaturation des célébrations de Rara. Très développées dans nos villes de provinces, les festivités de Rara se pratiquent aussi en milieu urbain, particulièrement au sein des quartiers populaires. La tradition Rara est très réputée dans différentes villes et régions d’Haïti : Léogâne, Gonaïves, Pestel, Port-au-Prince, Nippes, etc.

L’homme (la femme) haïtien (ne) est un être qui chante et qui danse. Du berceau à la tombe, sa vie est rythmée par les chants, les pas de danse, la musique et la mélodie. L’art est intrinsèque à son rapport au réel. Parmi les divers éléments culturels d’Haïti, nous retrouvons le Rara, qui est une pratique culturelle issue des traditions amérindiennes, européennes et africaines. Pratique métissée, le rara est profondément lié au Vodou. Il connait depuis quelques années des évolutions diverses, dont la structuration de différentes bandes de Rara, l’intégration des villes dans l’itinéraire des bandes, l’emphase sur la musicalité et l’esthétique au détriment des rivalités violentes entre les groupes, le renforcement du soutien des collectivités et de l’État central et la mise en tourisme de ces célébrations dans différentes zones du pays. Élément essentiel du patrimoine culturel d’Haïti, le Rara est un bien commun à protéger et à transmettre aux générations futures.


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