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Arrêtons ce «faux débat» autour du carnaval national de 2020 !

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Image: portdattache.mondoblog

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Par Frédéric Chérestal

Depuis tantôt un mois, un faux débat fait rage en Haïti concernant la célébration du carrnaval national de 2020. La conjoncture sociopolitique tend à opposer certains à la célébration de cette fête traditionnelle. La politisation exagérée de divers aspects de la vie nationale nous met face au respect et la célébration de nos traditions séculaires. Dans cet article, nous nous proposons d’analyser le carnaval haïtien, en mettant l’emphase sur son histoire, son évolution, son importance et, au final, sa politisation.

Histoire et évolution du carnaval à travers le monde

La célébration de festivités est un élément fondamental de la vie humaine. Allant des éléments naturels (eaux, mer, ciel, nuages…) à l’apparition des divinités dans les sociétés humaines (Eliade, 1949), elle fait partie de l’expérience humaine et consiste en un élément commun de tout espace anthropisé. Allant des époques nomades, à la création des villes antiques, les diverses célébrations, autour des changements lunaires, des cycles agraires, les différents peuples, civilisations et regroupements sont parvenus à la création de festivités annuelles ou périodiques. Ce qui nous amena au carnaval dans sa forme récente. Le terme carnaval vient de l’Italien « Carnevalo » ou « Carnevale » qui signifie littéralement « enlever la viande ». On l’associe aux fêtes antiques de Lupercales des Romains, ou des Dionysiaques, chez les Grecs. Le substantif français « carnaval » apparaîtt autour du 16e siècle (1549) en France. Il s’agit d’une festivité, selon le calendrier chrétien, qui débute à l’Epiphanie (le 6 Janvier), date marquant la fin des fêtes de Noël, jusqu’au Mardi-Gras, date rappelant le début du Carême (entre 3 Février et le 9 Mars). Cette fête est très répandue en Europe et en Amérique. La célébration du Carnaval consiste en une période pendant laquelle les habitants d’un pays sortent déguisés, pour chanter, danser, faire de la musique en pleine rue et défiler en parade. Connu pour son aspect satirique, licencieux, érotique et créatif, le carnaval est très reconnu, pour la période contemporaine, comme un élément moteur de bon nombre économie de pays/ villes à travers le monde. En effet, sa célébration entraîne de forts mouvements démographiques et économiques. Parmi les plus célèbres destinations réputées pour leur Carnaval dans le monde, citons : Venise, Rio, Nice, Trinidad & Tobago, Nouvelle-Orléans, Bâle, etc.

Apparition, évolution du carnaval haïtien

L’apparition du carnaval en Haïti comme festivité n’est pas bien documentée. Toutefois, on admet, que sa transplantation en Amérique, dont en Haïti, fut faite par les colons espagnols au 16e siècle. Appelé « Kanaval » ou « Mardi-Gras », ces festivités suivent les mêmes calendriers qu’en Europe. Allant de l’Epiphanie au Carême, le carnaval se déroule le plus souvent en février à Port-au-Prince et dans les principales villes de provinces du pays. On a tendance à subdiviser les récits sur les festivités carnavalesques en deux grandes périodes : 1. De la colonie française à 1915, 2. De 1915 à la période contemporaine (Ledan, 2019). Toutefois, il faut retenir que la célébration du Carnaval national, comme nous le connaissons sous sa forme actuelle en Haïti (avec les chars, les reines, un parcours préétablis, etc.) sous sa forme européenne, date du 20e siècle, sous la présidence de Louis Borno (1922- 1930). Expression fondamentale de la satire sociale, le carnaval en Haïti reste l’espace privilégié des critiques contre l’ordre social, politique et économique. D’où l’intégration continue et croissante de l’État central (pouvoir exécutif), dans son organisation, pour « contrôler » la critique émanant des meringues carnavalesques. Ce qui explique aussi les changements autour de sa réalisation, du parcours à suivre, de l’implication relative du pouvoir central et du choix des groupes musicaux à prendre part au défilé officiel.

Importance économique et politisation du carnaval en Haïti

Le carnaval national haïtien est une festivité populaire rassemblant des dizaines de milliers de fêtards. Il se déroule à Port-au-Prince et dans les principales de provinces, dont : Jacmel, Cap-Haitien, Gonaïves, Ouanaminthe, etc. La célébration du carnaval est une occasion tant attendue par beaucoup d’Haïtiens pour assurer une rentrée économique : entrepreneurs du secteur des affaires, les petits commerçants du secteur informel, musiciens, artisans, etc. Les différentes composantes du défilé carnavalesque (stands, chars, bandes à pied, troupes de danse) et les entrées (en termes de visiteurs) en Haïti peuvent nous donner un aperçu concernant les possibles retombées économiques du carnaval haïtien. Le carnaval est l’un des moments où les visiteurs (d’éléments de la diaspora ou des étrangers) augmentent exponentiellement en Haïti. Le budget du carnaval se chiffre en millions de gourde. Par exemple, en 2019 on prévoyait un budget de 190 millions de gourdes (près de 2 millions de dollars US) pour célébrer le carnaval national aux Gonaïves. À cette somme, il faut ajouter des investissements du secteur privé. L’intégration croissante des autorités étatiques ne diminue pas les critiques contre les pouvoirs en place. Tout y passe : « zen » sur les membres de gouvernements, faits divers, slogans, artistes, déboires de personnalités publiques, etc. Ce qui se traduit par une volonté continue et persistante des différents gouvernements de pratiquer une sorte de « licence » contre les artistes et groupes musicaux, par l’offre ou non des chars et la participation au défilé officiel.

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Malgré ses faiblesses (essentiellement en termes de planification, de promotion, de rentabilité et de gestion de la logistique) le carnaval national reste le plus grand évènement socio-culturel d’Haïti. C’est l’une des rares manifestations culturelles où chaque haïtien peut, sans tenir compte de son teint, son niveau d’étude, son capital économique et ses origines, se défouler librement au vu et su de tous. Le carnaval est le symbole le plus flagrant de la liberté en Haïti ! C’est un bien commun. Vouloir sa célébration ne fait pas d’une personne un partisan de l’actuelle équipe au pouvoir. Tout comme, proposer son report en 2020, pour des raisons multiples et sensées (dont la situation sécuritaire dans nos principales villes et la débâcle économique actuelle), ne fait pas non plus d’une personne un partisan de l’opposition politique. On doit arrêter avec ce faux débat ! Tout comme nos différentes traditions (soupe « joumou » du 1er janvier, Rara, Fêtes champêtres, Majò jon, etc.), la célébration du carnaval est une tradition à protéger et à transmettre aux générations futures.  


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