Un bref bilan économique de l’année 2019 dans un contexte de crise socio-politique
4 min readPar Riphard SÉRENT, MPA, Economiste
riphardserent@gmail.com
L’une des meilleures approches pour effectuer un bref bilan de l’économie haïtienne en 2019 consiste à prendre la mesure de ce qui est produit, en termes de résultats, au cours de l’année, dans 4 secteurs principaux, à savoir : le secteur réel de l’économie, les finances publiques, le secteur externe et le système bancaire. Il faut rappeler, toutefois, que le bilan couvre l’exercice fiscal 2018-2019, soit la période de l’année économique même qui a pris fin le 30 septembre 2019.
Au niveau du secteur réel de l’économie
Pour la première fois depuis 2010, les activités économiques auront enregistré une croissance négative. En effet, selon les prévisions du Fonds Monétaire International (FMI), la croissance du produit intérieur brut (PIB) pourrait atteindre -1.2 % en 2019. La Commission Economique pour l’Amérique latine et la Caraïbe (CEPAL) a abondé dans le même sens que le FMI, mais avec moins de pessimisme pour prévoir une croissance de -0.5% de l’économie haïtienne. À rappeler qu’en 2018, la croissance était de 1.5 %. Cette contre performance de l’économie en 2019 est indubitablement imputable non seulement à la détérioration du climat des affaires, aux troubles sociopolitiques, mais aussi à l’inefficacité des politiques publiques et des politiques économiques mises en place par les autorités.
En ce qui concerne l’inflation, c’est très malheureux que la crise que connait l’Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique (IHSI) n’a pas permis d’avoir des données réelles pour le mois de septembre 2019. Toutefois, tous les économistes de la place estiment qu’on devrait terminer l’exercice 2019 avec une inflation annuelle d’au moins 20 %, soit le taux d’inflation le plus élevé depuis 2008. En effet, les prévisions réalisées par les services techniques de la BRH tablent sur un taux d’inflation de 20,1% en septembre 2019.
En ce qui a trait au taux de change, il faut dire que la gourde a perdu environ 31% de sa valeur au cours de l’exercice fiscal 2018-2019, passant d’un taux moyen mensuel de 71.06 gourdes pour 1 dollar en octobre 2018 à 93.34 gourdes en septembre 2019. Toutefois il convient de souligner qu’on a terminé l’année 2019 avec un taux de change pratiquement stable depuis juin 2019 à 94 gourdes pour un dollar dans le système bancaire, grâce, entre autres, aux différentes mesures prises par la Banque centrale fin mai 2019.
Au niveau des finances publiques
L’année 2019 a été une année vraiment noire pour les finances publiques, car les recettes fiscales ont connu une croissance négative de -4.3 % pour la première fois depuis 25 ans. En effet, les recettes budgétaires sont passées de 79.62 milliards de gourdes en 2018 à 76.15 milliards en 2019.
Ce qui a attiré l’attention de plusieurs analystes et économistes c’est que moins de 5 % de ces recettes (3.2%) a été alloué à l’investissement public et donc plus de 95% des ressources budgétaires sont dépensées pour le fonctionnement de l’administration publique.
Un élément positif à souligner cette année dans les finances publiques est la baisse considérable du financement du déficit budgétaire par la banque centrale, suite à ce pacte de gouvernance signé entre le ministère des Finances et la BRH en janvier 2019. En effet, le financement monétaire est passé de 24 milliards de gourdes en 2018 à environ 9 milliards de gourdes en 2019, ce qui a eu des impacts positifs non seulement sur le taux de change, mais aussi sur le rythme de progression de l’inflation dans l’économie.
Au niveau du secteur externe
Le secteur externe est l’un des secteurs dans lesquels on a eu des résultants positifs, malgré les périodes de ‘’peyi lòk’’, grâce au comportement positif du secteur textile qui représente plus de 90% des exportations du pays. En effet le déficit commercial a chuté de 7.5%, suite à une augmentation de 13% des exportations et une baisse de 2.6% des importations.
Par ailleurs, les transferts de la diaspora ont augmenté d’environ 6% pour atteindre 2.5 milliards de dollars en 2019. Toutefois, il convient de souligner qu’après les ajustements de la BRH, pour prendre en compte les transferts qui sont passés par les mécanismes non institutionnels, le total des transferts pourrait atteindre cette année environ 3.5 milliards de dollars américains, contre 3.2 milliards en 2018.
Au niveau du système bancaire
Nonobstant les périodes de ‘’peyi lòk’’ ou de paralysie des activités économiques, le système bancaire reste en bonne santé et est bien capitalisé. En effet, le système bancaire a enregistré un bénéfice de 6.84 milliards de gourdes en 2019 et le total des bilans des banques commerciales a augmenté d’environ 73 milliards de gourdes pour atteindre 401.95 milliards de gourdes.
Une note négative au niveau du système est la progression des taux des improductifs en pourcentage des prêts qui est passé à 6.54% en septembre 2019, contre environ 2% en octobre 2018.
Un autre élément qui a attiré notre attention c’est que 49% du crédit du système est alloué au commerce (30%) et à l’immobilier (19%), contre 14% à l’industrie et moins de 1% à l’agriculture, alors que l’agriculture représente environ 20% du PIB et 50% de la main d’œuvre haïtienne.
Donc globalement, l’année 2019 a été une année économique catastrophique à cause non seulement des troubles sociopolitiques, mais aussi de l’inefficacité des politiques publiques et politiques économiques mises en place par les autorités.
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