En 2022, j’irai voter sur Twitter!
3 min readPar Frédéric Chérestal,
sociologue, 31 Décembre 2019
Vivant dans les désillusions de l’instauration démocratique, la génération des années 80, récemment introduite aux Technologies de l’information et de la communication (TIC), connaît le cauchemar quotidien d’être le va-tout d’Haïti. Cette dernière doit jouer le rôle historique de porteuse de « changement transformationnel ». En attendant d’en assumer pleinement la tâche, certains rejetons de cette génération le clament 24/7 sur les médias alternatifs.
Intégration des TICs dans le quotidien haïtien
À l’instar de la plupart des pays en voie de développement, l’intégration des TICs est porteuse de changements multiples et de pratiques nouvelles en Haïti. Les chiffres officiels font état de plus de 6.5 millions d’utilisateurs de téléphonie mobile, dont plus de 33% (des téléphones mobiles) sont des smartphones (Global Mobile Trends, 2017). D’autres enquêtes tendent à compléter le tableau en indiquant une forte concentration de cette utilisation au niveau de Port-au-Prince, soit plus de 94% (Safitek Research, 2019).
Sans nier l’importance des réseaux sociaux dans les évènements politiques contemporains (Printemps arabe, élections de 2016 aux USA, législatives de 2017 en Algérie…), leur utilisation pose problème lorsque la connexion avec le réel et la légitimité des acteurs sont en cause. Le faible taux de pénétration de l’internet au sein du pays, l’accès à l’internet et à l’électricité contribuent à donner un caractère élitiste au phénomène (d’où la fracture numérique). Dans l’Haïti contemporaine, les réseaux sociaux sont quasi présents et tendent à la construction d’un débat politique (virtuel) en ligne.
Participation politique et désillusions.
La chute des Duvalier en 1986 eut des retombées multiples dans la sphère sociopolitique haïtienne. La plus incontestée (et problématique) reste la « la participation politique ». Nous avons eu 106 partis, groupements et regroupements politiques inscrits aux élections d’octobre 2014. Paradoxalement, cette « fièvre démocratique » n’entraîne pas forcément l’amélioration des conditions de vie de la population haïtienne. Plus de la moitié de la population (soit 6 millions d’Haïtiens) vit en-dessous du seuil de pauvreté avec moins de 2.41 $ par jour (Banque mondiale, 2019). Catastrophes naturelles en répétition, promesses politiques non tenues, départs précipités, politiques publiques inadéquates et ingérence internationale, l’ère démocratique en Haïti est porteuse de désillusions diverses.
Sans réduire la participation politique au vote
(Philippe Braud, 2008), le « fait politique » perd de l’intérêt. De
1986 à nos jours, le taux de participation de la population aux élections est
en chute libre (moins de 30% aux élections d’Octobre 2015). La démocratisation
traduit-elle à une désillusion sociopolitique ?
Co-construction d’une agora virtuelle
L’utilisation des smartphones, l’accès facile et
presque gratuit aux médias sociaux (ne serait-ce que dans les centres urbains) entraîne
un éclatement inouï du droit à la parole et à son utilisation. Chacun a une
opinion. Ceux qui n’en n’ont pas s’y efforcent ou rembobinent l’opinion
dominante des pères/ pairs. On vit dans la « culture de l’entre-soi »
et du militantisme 2.0. Les réseaux sociaux participent à la construction d’une
agora virtuelle, son essence même et sa définition. Entre deux selfies, un
retweet, et trois « likes », on jette les bases de l’Haïti de
demain. Débats, publication d’articles, conférences et tournées vont bon train.
L’international, lui, valide, ces « jeunes leaders » via des
invitations pour « représenter » Haïti. Une scène de Breton ! Cet
éclatement du discours politique pose les problèmes contemporains, dans une
quête de changement concret.
Sans une base sociopolitique réelle et l’intelligence
pragmatique à traduire les besoins de nos masses rurales et urbaines en des
politiques publiques viables, les « jeunes leaders politiques » du
net seront à la merci d’une récupération des forces d’avant et/ou d’après-1986.
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