Sat. Nov 23rd, 2024

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Quand l’actualité politique tue nos médias

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Frédéric Chérestal
Sociologue

À en croire leurs grands titres, la politique occupe une place de choix dans les publications des médias en Haïti. Le reste de la vie nationale reçoit peu (ou pas) d’importance. L’actualité politique occupe excessivement les devants de la scène. D’où la récurrence de contenus « à chaud » pour un public friand de sensations.

Fait politique et création du sensationnalisme

Le politique n’existe pas de fait. Il est une construction. Un « fait » quelconque (social, religieux, économique ou autre) n’est pas politique d’emblée. Il est politisé dans un processus de confrontation d’acteurs et en fonction des enjeux divers qu’il implique. Dans le contexte haïtien, les médias jouent un rôle fondamental dans la politisation des faits, par la présentation des contenus, mais aussi par l’emphase qu’ils mettent sur les « sujets » à traiter. Le politique prédomine au sein du corps social. La société haïtienne entière se plie à ses moindres caprices. Vissé à un poste de radio, les yeux rivés à l’écran de son portable ou (plus rarement) installé à son fauteuil, le journal en mains, le citoyen haïtien lambda est un grand passionné de ce qu’il appelle « nouvelles ». Les médias relaient, eux, des « informations », d’un goût frisant l’apocalypse. Les qualificatifs, prédictions, conclusions hâtives et confessions vont bon train. Plus les « nouvelles » sont politiques (mauvaises), plus l’audience monte en flèche, et plus les citoyens « doivent » écouter les « nouvelles » pour prendre la température des rues. Entre deux reportages, on glisse un spot d’un produit de première nécessité. Et les médias en ligne n’échappent pas à la règle. Entre deux paragraphes mal fagotés d’un article d’actualité, on insère un « flyer » pour mieux ciseler le « branding » d’une institution publique ou privée. Mine de rien.

L’opinion publique n’existe pas

Un quotidien de la capitale fait sa « une » avec une caricature du président de la République et de quelques sénateurs de l’opposition. Un hebdomadaire reprend le même texte, avec, en moins, la caricature. Un média en ligne résume les grandes lignes des deux premiers, sans les digressions. Le consommateur (assidu ou nonchalant) reprend les titres dans ses échanges et discussions. Il tire son portable et fait quelques « publications ». Un « tweet » (tôt le matin). Une reprise, un peu plus tard, sur sa page Facebook. Son entourage « share », « like » et place des « comments ». Le débat prend corps, se fait houleux, s’étend, perd de sa pertinence, puis s’estompe. Au maximum, ça n’excède pas 48 heures. C’est la durée moyenne de « l’actualité » dans la République d’Haïti. Les Haïtiens qui ne sont pas présents sur le web ne sont pas des citoyens. Ou, mieux, ceux qui y sont présents prennent cette « citoyenneté virtuelle » trop au sérieux. Les enquêtes et sondages sont remplacés par les discussions au bar du coin, entre deux bières tièdes, sur les réseaux sociaux et dans les émissions dites « libre tribune ». On prend le pouls de la situation sociopolitique de la République. On le fait en oubliant que : 1. Tout le monde n’a pas une opinion, 2. Toutes les opinions ne se valent pas, 3. Les outils utilisés pour collecter ces opinions sont, la plupart du temps, biaisés.

Mais que se passe-t-il entre deux crises ?

En Haïti, on parle de crise depuis le « temps bimbo ». À un point tel que certains disent que la crise serait permanente ! Mais pourtant, nous connaissons des périodes de calme (politique). Des « entre deux » crises. Il se passe quoi en ces périodes ? On pourrait tenter de répondre que la vie tourne au ralenti. C’est dimanche pendant toute la semaine. Il n’y a donc pas de « nouvelles ». Une grande partie des médias revoient leur programmation. Certains diffusent carrément de la musique. Les médias en ligne perdent de leur tonus. Ce qui revient à noter que l’essentiel du contenu de nos médias, tant traditionnels qu’alternatifs, est « politique ». On parle (ou on écrit sur) des actions du gouvernement, des « initiatives » de l’opposition et de tout le continuum qui se trouve au milieu.

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L’attention du citoyen lambda tombe aussi entre deux flambées sociopolitiques. Il revient à la vie normale. Ces fabricants de la République reviennent à leurs vrais problèmes. Ils sont de retour à ce quotidien triste et morne, leur vraie vie au-delà des illusions entretenues : prix ahurissant des produits de premières nécessités, insalubrité, transport public rocambolesque, accès quasi-difficile à l’éducation, insécurité, non-accès au crédit etc. Ces problèmes ne sont pas « sexy ». Par voie de conséquence, ils font rarement la « une » des médias (traditionnels et alternatifs). Ils n’ont donc pas la vertu de mobiliser les « commanditaires ». Triste réalité !

Les médias en Haïti jouent un rôle crucial dans la construction de la culture dominante. Dans la foulée démocratique post-1986, ils proposent aux citoyens certains contenus, tout en évitant sciemment d’autres aspects du réel. Le choix des « sujets » traités accuse une emphase sur le fait politique. Emphase partielle et partiale. Le grand public, qui est friand de primeur sous le coup de l’aliénation, s’en donne malheureusement à cœur joie. Au même titre que la liberté de la presse, la création de contenus diversifiés et pertinents est fondamentale pour notre démocratie.


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