Port-au-Prince, la mort à bon marché
3 min readPar Juno Jean Baptiste
Twitter : @junojeanbaptist
L’assassinat crapuleux de l’ancien policier et de sa fille, orchestré à Croix-des-Bouquets par une horde de bandits lourdement armés, a provoqué l’émoi, jeudi, à la tombée de la nuit. L’émotion, de ses ailes, a enveloppé tout le pays. La fillette, 13 ans, en uniforme, revenant de l’école, et son père n’ont pas survécu à l’assaut des assassins. Le garçon, certes toujours en vie, en est sorti amoché à jamais, ayant été atteint de deux projectiles aux mains. Les vitres criblées de balles de la voiture les transportant en disent long sur la cruauté du drame.
Plus jamais le petit garçon et sa maman ne sauront pourquoi deux des leurs ont été brutalement enlevés à la vie dans une République où les enquêtes, tant celles sur la disparition d’officiels que celles sur le meurtre des gens ordinaires, n’aboutissent jamais. C’est toute une famille qui est frappée en son cœur. Pour un rien. Dans un banal coin de rue. Dans la périphérie de Port-au-Prince, ville de toutes les turpitudes sociales et de toutes les tribulations politiques, de tous les banditismes, où les balles chantent beaucoup plus que les rossignols qui ont longtemps disparu.
Ce n’est pas la première fois, encore moins la dernière fois, que l’insécurité dans son inarrêtable course funeste, devenue presque permanente, emporte des vies, nos vies, au grand dam des pouvoirs publics longtemps défaillants. Mais le triste symbolisme du corps livide d’une écolière drapée de son uniforme et nageant dans une mer de sang aux côtés de son père a laissé les internautes pantois, choqués et abattus. Ce n’est pas seulement l’assassinat de Gaudy Salomon et de sa fille qu’on pleurait jeudi, mais c’est aussi celui de l’espoir, l’espoir d’un lendemain qui chante pour cette fille, malgré les incertitudes du présent.
« Où va-t-on dans ce pays ? La vie ne vaut plus rien. Il y trop de méchants en Haïti. Personne n’est à l’abri. Chaque jour qui s’ouvre traîne son cortège de mauvaises nouvelles », se lamente Manno Beats, sur Twitter, jeudi soir. La ville est livrée aux gangs qui terrorisent, tuent et kidnappent. Les chiffres, en ce début d’année, sont des plus ahurissants. Il y a eu huit cas d’enlèvement et de séquestration en ce début d’année, selon la Police, qui a annoncé un plan destiné à mettre les bandits hors d’état de nuire dans la région métropolitaine.
Mais entre-temps les bandits continuent à imposer leur loi dans plusieurs quartiers à Port-au-Prince, les transformant en d’impitoyables mouroirs, à défier la police et la justice. L’image de personnes tuées et brûlées par des gangs rivaux est symptomatique de la décomposition de l’Etat, d’un Etat désubstantialisé, incapable du moindre contrôle du territoire national. « La nouvelle décennie débute sur un rythme infernal de gangs qui s’affrontent à Port-au-Prince ou dans d’autres régions du pays », constate la coordonnatrice de la Fondation « Je klere » (FJKL), Marie Yolène Gilles, dans un communiqué publié ce vendredi.
Les gangs demeurent les seuls maîtres à bord. La population est livrée à elle-même. Ce n’est pas l’annonce de la Police nationale, encore moins celle du président de la République, qui apaisera. Beaucoup de gens sont forcés de se terrer chez eux le soir. Un vent d’apocalypse souffle sur Port-au-Prince tant la peur est immense et que les cas de kidnapping, non répertoriés par la police, sont nombreux. Les armes, les véhicules blindés annoncés par Jean Michel Lapin comme antidote à l’insécurité ne suffiront pas à tarir le robinet social qui produit le grand banditisme.
Entretemps, la prochaine balle assassine, comme une épée de Damoclès, se fait pesante sur chaque nouvelle palpitation de notre cœur qui, à l’évidence, risque d’être la toute dernière.
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