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13 janvier 2020: au nom de la tweetocratie

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Par le Conseil éditorial

Deux minutes seulement après que les horloges ont pris acte de la fin du 12 janvier 2020 et du début du jour suivant, le président Jovenel Moïse a bien voulu les imiter, disant prendre acte, lui aussi, d’une autre fin: celle de la 50e législature doublée de l’expiration du mandat de 2/3 du Sénat. Par un tweet qui peine à se faire passer pour un acte administratif authentique appelé à produire des effets de droit, le président de la République semble trancher, à la hâte et non sans exultation, sur la controverse juridico-politique relative à la durée du mandat des sénateurs.

S’il serait irresponsable de ne pas constater la fin du mandat des députés, il n’en demeure pas moins que celui des sénateurs fait encore l’objet d’un débat contradictoire. Et dans ce contexte, du lieu de l’euphorie du pouvoir exécutif, le premier tweet du président de la République se veut producteur d’effets juridiques au même titre qu’une décision d’un quelconque Conseil constitutionnel. Eu égard au silence quasi-général des constitutionnalistes en particulier et des intellectuels en général face à la mort annoncée tant de l’Etat de droit que de la pensée critique, il y a lieu de se positioner contre cette “tweetocratie” qui se drape, en filigrane, des habits d’une vélléité dictatoriale.

La hiérarchie des normes n’inclut pas le tweet comme élément constitutif. Autrement dit, un tweet ordinaire ne saurait produire d’effets de droit. Dans une République normale, le chef de l’Etat et ses conseillers ne devraient pas l’ignorer. S’il s’agissait de la publication sur Twitter de la photo d’un acte administratif précédemment pris en conformité aux formalités prévues par la loi, ç’aurait été un cas bien different. À ce moment, Twitter serait réputé être un simple véhicule servant à vulgariser, afin que nul n’en prétexte ignorance, un acte à même de créer des effets juridiques parce que valide.

Au regard de la législation actuellement en vigueur, que le président s’en remette à deux tweets pour trancher sur une controverse que seul un Conseil constitutionnel serait habilité à apprécier, c’est un signe avant-coureur de l’inauguration d’un nouveau temps politique. Le temps de la mise entre parenthèse du droit au profit de l’épreuve de force politique. En ce sens, à partir du 13 janvier 2020, aucune référence à la loi ou à la constitution n’est de mise. La République entière est assujettie au contenu des tweets du président. Les tweets deviennent créateurs de normes juridiques dont le caractère contraignant n’est pas discutable. Et dans cet Etat capricieux qui s’inaugure désormais, tout tweet a valeur de decision exécutoire. Mort de l’Etat de droit!

On plaint le Parlement pour son improductivité et les scandales à répétiton qui n’ont fait que ternir son image. Mais on sait aussi la connivence entre la législature qui s’en va et le tweetocrate Jovenel Moïse. De ce fait, qui est plus légitime que l’autre? Mais, tel n’est pas le débat. L’incapacité globale de l’opposition politique à sortir des sentiers battus pour redonner du sens à la politique n’est plus à demontrer, mais il est aussi évident que Jovenel Moïse n’est pas ce président qui inspire admiration par la magie de ses réalisations au profit des générations futures. C’est un jeu à somme nulle où le peuple haïtien est le seul grand perdant. Jovenel Moïse n’est pas ce président qu’on croit être à peine élu. Déjà trois ans depuis que l’homme de la banane est en train de tatonner au plus haut niveau de l’Etat. Il a donc, lui aussi, une grand part de responsabilité dans le dysfonctionnemnt du Parlement. Et, dans ce context, il y a fort à parier que ces tweets cachent bien d’autres velléités. Sans un Sénat fonctionnel, que se passera-t-il avec le dossier Petrocaribe, l’affaire Dermalog et autres scandales dans lesquels sont indexés le président, sa femme et autres manitous du PHTK? Les prochains mois le diront.

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Sur le terrain de la real politik, on serait tenté de croire que les tweets de Jovenel Moïse constituent un ballon d’essai. Question de mettre l’opinion publique à rude épreuve tout en recourant à la théorie du fait accompli. Encore de ce lieu, les funérailles du droit sont chantées à l’église des rapports de force politique et de la manipulation à grand coup de communication politique. Seule la cécité historique peut dérober à notre appréciation critique le malheur avec lequel flirte désormais notre pays.

Si le 13 janvier sera historique, ce sera aussi parce que Jovenel Moïse aura élevé le tweet au rang d’acte administratif authentique. Du droit pseudo post-moderne au nom de la dictature que certains secteurs mafieux appellent de tous leurs voeux! Entre-temps, rien ne sera plus comme avant! En témoigne le débat précipité et suspect autour de la réforme constitutionnelle. Un cycle politique prend fin et un autre s’amorce, mû par de nouveaux acteurs qui font déjà irruption sur la scène politique. Mais, entre le présent et l’avenir, il y a désormais les tweets de Jovenel Moïse au rythme démentiel desquels valse la République en état d’hébétude.


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