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De la «stérilisation» des interventions de la Banque centrale

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Via Haïti Économie

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Par Médy Désiral, Économiste

Le système monétaire international (SMI) considère deux grandes catégories de régime de change : le régime de change fixe et le régime de change flottant. Dans le premier, la valeur de la monnaie domestique est arrimée à celle d’une devise qualifiée de monnaie d’ancrage. Dans ce cas-ci, le prix de la monnaie nationale par rapport aux autres (le taux de change) est établi de façon discrétionnaire par les autorités monétaires. Dans le second, à savoir le régime de change flottant ou flexible, le cours de la monnaie nationale fluctue par rapport aux autres suivant les jeux du marché.

La majorité des pays industrialisés laissent flotter leurs monnaies (free floating). Certaines économies adoptent un flottement administré sans la prédétermination de bandes de fluctuations du taux de change (dirty floating). D’autres, à partir d’importants avoirs de réserve dont elles disposent, font tout carrément le choix d’un régime de change fixe avec parfois une organisation à crémaillère, c’est-à-dire en établissant un cheminement prédéterminé du taux de change. Quelques-unes n’ont tout simplement pas de monnaie propre mais adoptent celle d’une autre économie.

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Étant donné une telle organisation du SMI, celui-ci est considéré comme étant un système hybride. On parle alors de régime de flottement impur. En effet, même dans les régimes de change flottant, les banques centrales procèdent assez régulièrement à des interventions sur les marchés de capitaux en achetant ou en vendant des actifs (des devises par exemple) afin d’influer sur la dynamique du taux de change. Ainsi, au sein de l’économie haïtienne dans laquelle prévaut un régime de change flottant, les autorités monétaires interviennent fréquemment sur le marché des changes en vue de corriger certaines distorsions du marché ou de lisser les fluctuations du taux de change. À cet égard, nous allons produire quelques remarques sur la nature et les effets de quelques interventions de la Banque de la République d’Haïti (BRH) de mars à novembre 2020.

D’entrée de jeu, il y a lieu de préciser que les opérations open market [opérations d’achats ou de ventes d’actifs (de devises) par la banque centrale dans le cadre de la politique monétaire] ont des effets sur l’offre de monnaie domestique. La vente de devises (de dollars par exemple) par la Banque centrale entraîne une diminution de l’offre de monnaie. À l’inverse, l’achat de devises par celle-ci entraîne un accroissement de l’offre de monnaie. Toutefois, la Banque centrale peut neutraliser les effets de ses interventions sur l’offre de monnaie en effectuant des opérations opposées (en achetant ou en vendant des titres financiers – des obligations de l’Etat haïtien par 1 exemple). C’est ce que la littérature économique appelle des «interventions stérilisées».

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Dans cette perspective, il est intéressant de noter que dans le cadre des dernières interventions de la BRH, le mécanisme susmentionné a été réalisé de manière un peu inversée, sous une forme un peu différente. À ce propos, en mars dernier, la Banque centrale a pris un train de mesures en vue de maintenir la liquidité de l’économie face aux risques que présageait la crise de la Covid-19. En effet, elle a abaissé de 5 points de pourcentage le coefficient de réserves obligatoires sur les passifs libellés en gourdes pour les banques commerciales et les filiales non bancaires. Ce coefficient était passé de 45% à 40%. Celui des banques d’épargne et de logement a également été diminué de 5% passant de 33.5% à 28.5%. Par ailleurs, les taux d’intérêts sur les bons BRH ont tous été révisés à la baisse. Celui appliqué sur les bons à maturité de 91 jours a été diminué de 500 points de base pour s’établir à 10%. Ceux à maturité de 7 jours et 28 jours ont été diminués de 100 points de base pour s’établir à 4% et 6% respectivement. En outre, le taux de mise en pension a été réduit de 500 points de base lui aussi, passant de 22% à 17%. Notons que de telles mesures, à savoir la réduction des coefficients de réserves obligatoires et la diminution des taux directeurs de la BRH, sont de nature à favoriser une variation haussière de l’offre de monnaie.

Parallèlement, quelques mois plus tard, soit en août 2020, la banque des banques avait annoncé des interventions hebdomadaires sur le marché des changes en vue de renforcer l’offre de dollars. Au moment de cette annonce, il était prévu que le cumul de ces interventions atteigne 150 millions de dollars sur le reste de l’exercice fiscal 2019-2020. Au bout du compte, sur les deux derniers mois dudit exercice, les ventes brutes de dollars par la Banque centrale ont atteint la barre des 164 millions de dollars. De surcroît, les opérations de ventes de devises par la BRH se poursuivent jusqu’au premier trimestre de l’exercice en cours. Soulignons que de telles interventions sont de nature à entraîner une compression au niveau de l’offre de monnaie domestique et donc à éponger une partie de la liquidité de l’économie. À ce sujet, suivant la note de politique monétaire du quatrième trimestre de l’exercice 2019-2020, les ventes de dollars réalisées entre août et septembre ont permis de neutraliser environ 16 milliards de gourdes de liquidité. Cependant, il y a lieu de signaler que les décisions prises à la fin du mois de mars ont, de par leur essence, favorisé une stérilisation préalable des effets des injections de devises effectuées à partir de la semaine du 10 août 2020. Ainsi, les interventions de la BRH sont, à juste titre, des «interventions stérilisées».

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Néanmoins, il s’avère nécessaire de mentionner que concomitamment aux opérations «open market» survenues à la fin de l’exercice écoulé, il s’est produit une surréaction du taux de change (overshooting) dûe à une inversion de la psychologie du marché. C’était un véritable squeeze financier, c’est-à-dire une sorte d’étranglement qui force la liquidation de certaines positions. À l’opposé de ce qui précède, depuis quelques semaines, nous observons une reprise de la tendance à la dépréciation de la gourde par rapport aux principales devises. Une telle situation, à côté des restrictions imposées par les institutions financières sur la quantité de devises vendues, renforce les interrogations sur la résilience et la profondeur du marché des changes en Haïti. Étant donné que la politique monétaire doit se révéler «forward looking» (prospective), probablement les interventions de la Banque centrale au tout début de cet exercice servent à limiter les variations irrégulières du taux de change et une dépréciation future plus accrue de la monnaie nationale.

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S’il est vrai que le taux de change constitue l’une des courroies de transmission de la politique monétaire, il n’est pas pour autant un indicateur de développement. En tout état de cause, la stabilité des prix (y compris le taux de change) est un objectif macroéconomique qui, lorsqu’elle est atteinte, génère des incidences positives sur la dynamique de développement d’une économie. Tenant compte du fait que la solution aux taux de change ne saurait être strictement monétaire et que le dysfonctionnement que connaît le marché des changes depuis quelque temps est un épiphénomène, l’économie haïtienne, nécessite-elle vraiment d’une politique monétaire qui court sans cesse après le taux de change ?

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1 Krugman, P. et al. (2015). Economie Internationale. (10e édition). Paris: Pearson France. Page 525.
2 Un point de base correspond à un centième de point de pourcentage. Ainsi, 100 points de base équivaut à 1 point
de pourcentage (1%).
3 La mise en pension est le fait par lequel une institution financière obtient à très court-terme des liquidités auprès de la banque centrale contre remise de titres. En ce sens, l’institution financière en question « met ses titres en pension » pour pouvoir accéder à une certaine quantité de liquidité dans un délai assez court. Le taux d’intérêt qui s’applique sur de telles opérations est dénommé « taux de mise en pension ».


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