Thu. Nov 21st, 2024

Port-au-Prince Post

Informer Pour Changer

PetroCaribe, « l’invité indésirable »

6 min read
Partagez cet article:

PetroCaribe, « l’invité indésirable »

Par J. Williamson Casimir

Le dernier rapport de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif sur le gaspillage du fonds PetroCaribe enlève la parenthèse Covid-19 et confirme qu’«ils ont volé l’argent». Les commissaires, après des mois d’enquête, appellent sans ambages à la «mise en place des mécanismes de récupération des sommes d’argent mal utilisées afin de permettre à la République d’Haïti de réduire éventuellement sa dette envers le Vénézuela ». Si, de l’autre côté de l’île, le nouveau président de la République dominicaine, Luiz Abinader, promet de poursuivre le combat contre la corruption, ici, ce rapport qui achève les travaux d’audit de la Cour des comptes annonce la couleur tant il renforce les préoccupations, présomptions et engagements de beaucoup et angoisse les ayants droit de la république dont le sort n’est pas à établir dans l’oracle des dieux.

La Covid-19 semblait tout emporter, dit-on. Pas de manifestation, tout au moins dans les proportions que nous avons connues durant les épisodes de « peyi lòk », promotion des mesures barrières contre une maladie que le gros peuple boude, prolifération de décrets impromptus et « opportuns », tentative de concertation autour de la tenue des élections boudées par les membres du Conseil électoral… Jusqu’ici, pas de grandes secousses. Le temps s’égrène en promesses, chasses, complaintes, revanches.

Cette affaire de plusieurs milliards de dollars volés et gaspillés qui a donné froid dans le dos aux dirigeants du régime PHTK, entrainé des assassinats et suicides au sein des membres d’une même famille, provoqué des manifestations géantes de plusieurs centaines de milliers de personnes partout en Haïti en octobre 2018, revient de nouveau sur scène. La résurrection de cet invité, aux apparences « bouffonnes », conduira aux obsèques de ceux et de celles qui ne croient qu’à la vertu de « l’enquête se poursuit ».

LIRE AUSSI: Ce que nous enseigne le rapport d’audit du fonds PetroCaribe

Les commissaires de la CSCCA n’ont pas botté en touche. Dans la troisième partie du rapport, ils reprennent les mêmes recommandations formulées dans les deux précédents. « […] Diligenter des enquêtes internes afin de déterminer la possibilité de recouvrer des sommes auprès des firmes et des administrateurs des fonds publics notamment dans le cas des irrégularités ayant causé préjudice à la communauté : favoritisme dans l’octroi des contrats, décaissement non justifié… »

Les dégâts sont immenses

Ce présent rapport de 1 067 pages qui devait porter sur l’analyse des « 25% restants du montant total des montants votés par résolutions » analyse en réalité 36% dudit montant en raison de l’absence des « informations additionnelles relatives aux montants des résolutions dans le rapport 1 et le rapport 2 ». Dans un tableau exposant le montant des résolutions pour les rapports 1 et 2 (page 6), est présenté un cumul desdits rapports à partir des ajustements effectués dans le cadre de ce rapport.

Pour un total de 183 projets audités, vingt-cinq (25) institutions publiques sont passées en revue dans ce rapport dont le résumé exécutif s’étend sur vingt-six pages. Il s’agit de douze (12) ministères (MTPTC, MPCE, MTIC, MARNDR, MAST, MENFP, MDE, MCI, MEF, MJSP, MICT, MSPP), du Bureau de monétisation des programmes d’aide au développement (BMPAD), du Rectorat de l’Université d’État d’Haïti, l’Unité de construction de logements et de bâtiments publics (UCLPB), du Centre national des équipements (CNE), du Fonds d’assistance économique et sociale (FAES), de l’Électricité d’Haïti (EDH), du Service métropolitain de collecte des résidus solides (SMCRS), du Service maritime et de navigation d’Haïti (SEMANAH), de l’Institut de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN), de l’Unité technique d’exécution (UTE), de la Secrétairerie d’État à l’Alphabétisation, de la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA) et de la Primature.
      
D’après les précisions des commissaires de la CSC/CA, seuls les projets financés à hauteur de 92,1 % adoptés à travers des résolutions prises en Conseils des ministres ont été audités. Les 7,9 restants, à en croire la Cour des comptes, se rapportent aux décaissements non effectifs ainsi qu’aux affectations et désaffectations découlant desdites résolutions. Ainsi, les ministères des Travaux publics, Transports et Communications (MTPTC) et de la Planification et de la Coopération externe se sont octroyé la part du lion en obtenant respectivem ent soixante-cinq (65) et cinquante-cinq (55) projets dans le cadre du programme PetroCaribe. Très loin derrière ces colosses, le ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural qui emporte onze (11) projets.

Advertisement

Pour ce qui est des ministères, des organismes autonomes et des deux branches du Parlement pris en compte dans le rapport, « durant la période allant de septembre 2008 à septembre 2016, certains projets n’ont pas pu subir toute la démarche de cette approche (NDLR. C’est-à-dire celle de la transparence dans l’exécution des contrats) à cause de la non-mise à sa disposition de l’ensemble de la documentation probante y relative par les institutions publiques auditées », affirme la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif.

Plus loin, les commissaires notent que les ministères ayant engagé des fonds dans le cadre des résolutions adoptées en Conseil des ministres n’ont pas observé la transparence nécessaire à l’exécution des projets pour lesquels ces derniers ont obtenu des fonds.

Dans le cas du ministère des Travaux publics, Transports et Communications, la CSC/CA fait remarquer que « des fonds engagés à l’étape de la conception sans une évaluation des besoins et l’estimation des coûts ; [que] des déficiences importantes relatives au processus de sélection des fournisseurs n’ayant pas garanti le principe de la transparence et le jeu de la concurrence (ont été constatées, NDLR) ; [que] des lacunes significatives relatives à l’exécution des projets (ont été relevées, NDLR) ». Idem pour le ministère de la Planification et la Coopération externe et le ministère du Tourisme et des Industries créatives, avec quelques nuances liées à chacun des ministères.

Dans le cas du ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural, la Cour des comptes dit relever entre autres « l’inexistence des pièces d’identité des bénéficiaires de fonds dans le cadre de la «distribution de 300 chèvres à 150 familles dans la commune de Cité Soleil ; l’absence de pièces justificatives soutenant l’utilisation 4,302,802,89 gourdes dans des dépenses diverses dans le cadre du projet Plan spécial à Cité Soleil (achats divers, primes, frais de restauration etc. ».

Pour ce qui est du ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle, la CSC/CA souligne entre autres la « non-traçabilité des documents comptables justifiant l’utilisation des fonds dans le cadre du ‘‘Projet Rentrée scolaire’’ ». Les griefs relatifs à la procédure, à l’absence de justification, au non-respect dans l’exécution de certains sont aussi adressés à ce ministère par les commissaires de la Cour des comptes.

LIRE AUSSI: Kot kòb Petwokaribe a? 1

Il faut dire que tous les ministères, organismes autonomes, secrétaireries d’État dont les noms figurent dans le présent rapport ont tous les mêmes traits quant à leur mode de gestion. Absence de traçabilité des documents ou pièces justificatives soit avant, soit pendant ou après l’exécution des contrats, inefficience ou inefficacité dans l’atteinte des objectifs poursuivis, non-respect des paramètres initiaux, non-suivi des étapes clés dans la conduite des projets…

Aussi la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif recommande-t-elle entre autres aux instances étatiques d’ « engager les ordonnateurs qui se sont succédé à la tête des institutions et qui sont impliqués dans la gestion du fonds PetroCaribe pour avoir engagé l’État dans des transactions irrégulières dans le cadre de l’élaboration et/ou de la gestion des projets ; [de] renforcer les dispositifs de contrôle interne afin de s’assurer que certains serviteurs de l’État ne posent plus des actes qui portent atteinte aux lois et règlements en vigueur et qui sont préjudiciables à la communauté ».


Partagez cet article: