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Le mot du droit sur la prise de décrets par l’exécutif haïtien

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Par Emmanuel RAPHAEL,
Professeur, Spécialiste en droit public

N’étant point confiné dans une fonction d’exécution plate des lois et des décisions de justice, le pouvoir exécutif est la branche de la trinité étatique qui mène l’action administrative (l’ordre public et le service public), une mission bien plus étendue que la conception primitive de ce pouvoir dans la modernité politique (article 156 de la Constitution). Pour cela, on lui reconnait un pouvoir décisionnel qui se traduit juridiquement dans l’acte administratif, soit à portée individuelle, soit à portée générale. La prise d’actes administratifs à portée générale relève de l’exercice du pouvoir réglementaire.

La Constitution de 1987 vient enlever tout pouvoir réglementaire au Président et lui supprimer tout droit à prendre des décrets ayant force de loi.

Avant la Constitution de 1987, les Présidents à vie de la période des Duvaliers, avaient un droit naturel à légiférer par arrêtés ou décrets en cas de dissolution ou de vacance du Parlement, droit consacré par les constitutions de 1964 et 1983 sans que les amendements de 1971 et 1985 n’apportent de changements en ce sens. La Constitution de 1987 vient enlever tout pouvoir réglementaire au Président et lui supprimer tout droit à prendre des décrets ayant force de loi. Pourtant, cette pratique politique ne s’est pas arrêtée après 1987 quoique le président soit déchu de ces pouvoirs avec la nouvelle Constitution. S’agit-il d’un exercice excessif du pouvoir réglementaire ou de l’usurpation du pouvoir législatif par l’Exécutif ? En Haïti, cette pratique gouvernementale a été historiquement un désastre politique et juridique. C’est d’abord un outil pour faire sauter le dispositif constitutionnel de séparation et de non-cumul des fonctions entre les organes. Il est ensuite la méthode de juridicisation d’actes politiques la plus prisée des hommes politiques. Ainsi, on est allé jusqu’à suspendre des lois par acte réglementaire et même des constitutions.     

Le débat entre ces deux doctrinaires français, Maurice Hauriou et Carré de Malberg sur la place de l’Exécutif dans l’Etat peut nous intéresser dans notre sujet. Maurice Hauriou, le tenant de la doctrine de la souveraineté de l’Etat, du fait que l’exécutif est le bras agissant de la puissance publique, soutient le principe de l’irréductibilité politique et juridique de ce pouvoir, qu’il appelle le pouvoir minoritaire, à la nation (pouvoir majoritaire). En conséquence, la souveraineté de l’Etat ne peut pas se réduire à la souveraineté nationale[1]. Pour Hauriou, l’exécutif, qu’il place au-dessus des autres pouvoirs, « reste un représentant de la nation, un gérant d’affaires autonomes, et non pas un mandataire, et il faut d’ailleurs qu’il en soit ainsi »[2]. Au contraire, Carré de Malberg, digne représentant de la doctrine de la souveraineté nationale fait reposer sa thèse sur l’idée que « la nation est par essence souveraine et s’exprime par le canal de son pouvoir législatif qui est l’exclusif organe de formation de la volonté, la nation légale »[3]. Pour l’auteur, qui ne voit dans l’exécutif qu’un « commis de la nation », « il faut refuser toute autonomie, c’est-à-dire toute capacité à s’autodéterminer : l’autonomie, même partielle, d’un pouvoir exécutif est la négation du principe de la souveraineté nationale, immixtion d’un pouvoir autoritaire dans la souveraineté nationale »[4].

La souveraineté nationale est celle qui a été retenue dans la Constitution de 1987 à l’article 51 (également par les constitutions de 1964 et 1983). En dépit de cette position idéologique, traduite dans la Constitution par un ensemble d’articles précisant ce choix et créant un dispositif de concrétisation de cette doctrine, choix n’excluant pas pourtant l’attribution d’un pouvoir réglementaire à l’exécutif, la pratique des décrets du président pris en Conseil des ministres est une troublante dénaturation de notre système constitutionnel qu’on peut bien comprendre qu’en précisant les paramètres d’un exercice normal du pouvoir réglementaire par l’exécutif (I) qu’il convient de distinguer des cas d’usurpation du pouvoir législatif par celui-ci (II).  

L’apport de cet article est bien modeste dans le débat par l’approche strictement juridique qui en est faite. Le choix d’approche pour le traitement d’un tel sujet pourrait faire perdre en considérations politiques mais gagner en analyse juridique.  

Sommaire

1. L’arrêté : exercice normal du pouvoir réglementaire par l’Exécutif

a) Un exercice limité dans le domaine réglementaire

b) Un exercice conditionné par la compétence de l’auteur de la norme

2. Le décret : usurpation du pouvoir législatif par l’Exécutif

a) Une appropriation de facto de la fonction législative par l’Exécutif

b) Une construction fragile du droit haïtien

L’arrêté : exercice normal du pouvoir réglementaire par l’Exécutif

Le pouvoir réglementaire est ce pouvoir permettant à l’exécutif de prendre des normes à portée générale. Ce qui fait que ce dernier devient un organe producteur de normes au même titre que le législateur mais de rang inférieur à la norme législative et seulement sur habilitation de ce dernier. L’Exercice de ce pouvoir est donc encadré par la Constitution et la loi pour empêcher qu’il n’y ait d’inconvénients causés au système constitutionnel de la séparation des pouvoirs et des fonctions. Ainsi, l’exercice de ce pouvoir est limité dans le domaine règlementaire (A) et  conditionné par la compétence de l’auteur de la norme (B).

A. Un exercice limité dans le domaine réglementaire

Le domaine réglementaire ne peut pas être confondu au domaine de la loi. Il y va du respect de la théorie de la séparation des pouvoirs et des fonctions de Montesquieu adoptée par le droit public haïtien, notamment, en ses articles 59, 60, 60-1. La distinction entre le domaine réglementaire et celui de la loi n’est pas seulement une question d’auteur de la norme. Le formalisme d’une telle approche ferait qu’il ne vaudrait pas la peine de reposer la question du domaine réglementaire à cause de sa simplicité. Le législateur a désigné certaines matières constituant un domaine de règlementation qui relève du pouvoir réglementaire de l’Exécutif (1) tout en excluant d’autres (2).  

1. Domaines exclus

Le constituant haïtien fait une habilitation réglementaire au profit du Premier ministre à l’article 159 de la charte constitutionnel mais ne précise pas le champ de ce pouvoir réglementaire ratione materiae de façon prédéterminée. Il laisse au législateur de donner forme à ce pouvoir de règlementation de l’Exécutif. L’importance d’une matière pour le bien-être de la nation semble être un élément d’une certaine considération aux yeux du législateur pour savoir s’il va être remis à la volonté unilatérale de l’exécutif ou s’il devra être une expression de la volonté populaire via les représentants du peuple au parlement. La Constitution met seulement des balises que même le législateur ne peut franchir. Ainsi certains domaines sont exclus du champ de toute autre type de règlementation de rang inférieur à la loi par la Constitution.

La matière du domaine réglementaire est définie en creux dans un premier temps dans la Constitution et au cas par cas par le législateur à chaque fois qu’il lui semble nécessaire d’habiliter l’Exécutif à réglementer sur telle chose pour une meilleure gouvernance de l’action publique. En effet, si le domaine du règlement n’est pas défini, les domaines qui en sont exclus sont bien précisés dans la Constitution.  Le domaine budgétaire est réservé par la Constitution au législateur. Le principe peut être considéré comme posé par les articles 231 et 231.1 de la Constitution qui précisent bien que ce soit par la faute de l’Exécutif ou par le Législatif, en aucun cas le budget ne peut être établi par voie réglementaire. Le constituant ne laisse au domaine réglementaire aucune place importante s’agissant des grandes décisions pouvant avoir une incidence économique majeure sur les finances de la République et pour cela l’article 222 de la Constitution veut que la procédure relative à la préparation du Budget et à son exécution soit exclue du domaine réglementaire (article 227. 2 de la Constitution). Aussi, le mode de comptabilité en matière d’exécution des recettes et dépenses de l’Etat est-il réservé au domaine de la loi. De même, les décisions ayant une incidence budgétaire générale comme l’institution d’un impôt (article 218 de la Constitution) ou l’établissement d’une charge budgétaire (article 220 de la Constitution),  les décisions moins générales comme celles portant augmentation ou réduction des appointements des fonctionnaires sont exclues du domaine réglementaire entre  autres.

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Il n’y a pas que le constituant à faire des exclusions de telle matière du domaine de la réglementation infra-légale. Le législateur s’y met autant pour renforcer l’esprit de la Constitution dans le renforcement de la matière législative que pour mettre d’autres balises. La réglementation sur les droits et libertés fondamentaux et les procédures judiciaires sont d’autres domaines sensibles qui sont également mis sous couvercle par la Constitution contre toute régulation qui n’est pas de rang législatif. 

L’organisation administrative du pays est nécessairement portée par des textes normatifs de rang législatif conformément à l’article 236 de la Constitution disant tout sobrement : « La loi fixe l’organisation des diverses structures de l’Administration et précise leurs conditions de fonctionnement ». Cet énoncé tout simple cache un ensemble de grands principes de droit public et permet de conclure qu’il est en train de fixer le domaine de la loi par rapport à toutes autres régulations qui n’a pas ce rang. En effet, à chaque fois qu’il y a création d’institutions administratives, il y a toujours transfert de compétence qui se fait et dotation de la personnalité juridique propre précisément dans le cas des organismes autonomes, des institutions indépendantes et des collectivités territoriales. Deux grands principes sont souvent violés. Primo, le principe de l’indisponibilité des compétences fait que nulle autorité qui a reçu une compétence ne peut décider par elle-même de la transférer à une autre. La création d’institution par décret de l’Exécutif est un cas de violation de ce grand principe.  Secundo, seul le législateur a le pouvoir nécessaire de doter une institution de la personnalité juridique propre. Or un grand nombre d’organismes autonomes et même des communautés sont portées au rang de municipalité par voie d’arrêté ou de décret.   

2. Domaines inclus

Le domaine réservé au pouvoir réglementaire n’est pas défini ratione materiae en concurrence avec celui de la loi. De la loi au règlement, on peut y voir de préférence une différence d’échelle dans la règlementation. Dans le sens que l’une a vocation à être d’un niveau d’abstraction, l’autre à être pratique puisque fait pour assurer l’exécution de la loi. Cette position est soutenable par le fait que la Constitution permet au législateur de légiférer sur toute matière d’intérêt général (article 111 de la Constitution). En fonction de cette capacité du législateur, l’Exécutif ne saurait lui reprocher d’empiéter sur le domaine réglementaire. Ce qui donne lieu de conclure qu’en Haïti il ne saurait y avoir de pouvoir réglementaire autonome. Mais tout acte réglementaire doit venir en application d’une norme législative.

Un arrêté peut être pris par l’Exécutif lorsqu’une loi antérieure l’avait prévue. Autrement il y aurait un risque énorme de voir le Législatif être dépouillé de sa fonction de légifération sous couvert de l’exercice du pouvoir réglementaire par l’Exécutif. Le législateur fait souvent le choix de reléguer au domaine réglementaire d’une certaine matière en raison du caractère changeant ou évolutif d’un domaine bien précis d’une loi sur lequel le législateur devrait intervenir pour faire des adaptations nécessaires à des intervalles de temps plus ou moins réguliers comme le seuil de passation des marchés publics s’il n’y avait pas cette habilitation. Toutefois, cette logique n’est pas toujours maintenue. Lorsqu’il s’agit de question de grand intérêt de la vie nationale comme la loi budgétaire, quoique appelé à avoir une durée de vie annuelle en raison du caractère évolutif des dispositions, cette règlementation est strictement du domaine de la loi. Mais les balises ne sont pas mises que pour le domaine réglementaire.

Dans cette logique, à titre d’exemple, le seuil de passation des marchés publics tant national que local est nécessairement fixé par arrêté du Premier ministre suivant l’article 3 de la loi du 10 juin 2009 fixant les règles générales de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics dont la valeur estimée est égale ou supérieure aux seuils de passations des marchés publics. L’exécution de la loi sur les finances publiques est un domaine où le pouvoir réglementaire trouve un droit de cité incontestable. L’annulation de crédit budgétaire[5], ouverture de crédit supplémentaire[6], les transferts de crédit[7], les ouvertures d’autorisation d’engagement[8] sont entre autres cas désignés par la loi du 4 main 2016 remplaçant le décret du 16 février 2005 sur le processus d’Elaboration et d’Exécution des lois de finances, où le Premier ministre est habilité à exercer ses pouvoirs réglementaires par voie d’arrêtés.  

B. Un exercice conditionné par la compétence de l’auteur de la norme

Un acte administratif est d’abord conditionné, pour avoir effet, à un certain nombre de conditions de forme desquelles la compétence de l’auteur de l’acte. La Constitution prend bien le soin de fixer les compétences en matière d’acte que peut prendre chacun des pouvoirs pour éviter tout immixtion et,  pour le Président, semble vouloir fermer les portes à double tours : quand elle déclare à l’article 150 que ce dernier n’a d’autres pouvoirs que ce qui lui sont fixés dans la Constitution. Au sein de l’Exécutif même la répartition des compétences en matière de pouvoir réglementaire connait des lignes bien claires. L’article 159 de la Constitution attribue sans ambiguïté le pouvoir réglementaire au Premier ministre (1) au grand dam du président de la République à qui elle n’accorde qu’une présence superfétatoire lors de la prise d’un arrêté (2).        

1. Vrai pouvoir réglementaire du Premier Ministre et des Ministres

Le pouvoir réglementaire du Premier ministre est ce pouvoir permettant à ce dernier de prendre  des actes administratifs à portée générale. La règlementation d’origine exécutive est admissible dans tous les pays même après avoir embrassé le système de la séparation des fonctions suivi de la non-confusion des pouvoirs. La loi se doit d’être générale, or son application appelle parfois à devoir fixer certains détails suivant les circonstances du moment de son application et de pouvoir l’adapter à tout changement contingent n’affectant pas son essence sans besoin de prendre une autre loi pour autant.  

L’article 159 de la Constitution fait du Premier ministre un détenteur du pouvoir réglementaire en des termes qui font de lui, dans l’Exécutif, celui qui exerce en principe le pouvoir réglementaire. L’article dit timidement : « il a le pouvoir réglementaire », sans dire expressément que c’est exclusif en cette matière. Ce pouvoir s’exerce par la prise d’arrêtés et autres actes administratifs normatifs à portée générale. Parallèlement cependant, l’exercice du pouvoir réglementaire n’est nullement reconnu au président de la République.

            Le premier ministre dispose d’un pouvoir réglementaire d’application. Ce caractère du pouvoir réglementaire du Premier ministre est précisé à l’article 26.6 du décret du 17 mai 2005 portant l’organisation de l’Administration centrale de l’Etat. Tant qu’il n’a pas été invité par le parlement à prendre un arrêté pour dire que telle chose est nécessaire à l’application d’une loi, il ne peut le faire. Il ne saurait s’exercer en dehors d’une habilitation expresse du corps Législatif et pour un cas bien précis sans préjudicier à l’interdiction constitutionnelle de transférer ses attributions à un autre corps.  

            A ce pouvoir réglementaire, la Constitution à l’article 159, met quelques balises qui sont davantage liées aux exigences de la hiérarchie des normes qu’à une question de définition ratione materiae du pouvoir réglementaire du Premier ministre. L’article dit qu’ « (…) il ne peut jamais suspendre, ni interpréter les lois, actes et décrets, ni se dispenser de les exécuter. »

            Par ailleurs, outre les arrêtés, le Premier ministre est habilité par l’article 36 de la loi du 4 mai 2016 remplaçant le décret du 16 février 2005 sur le processus d’Elaboration et d’Exécution des lois de finances à prendre des décrets d’avance. Ce type de décret est « un décret dont l’objet est l’ouverture de crédits non prévus par la loi de finance (il doit être ratifié par le Parlement dans une loi de finances rectificatives ou une loi de règlement (…) »[9].          

2. Faux pouvoir réglementaire du Président de la République

Une seule approche juridique peut être faite des pouvoirs du Président de la République : celle constitutionnelle. Aucune approche d’un point de vue légal n’est possible.  Cette unicité d’approche se justifie par le plafond de verre qu’a installé la Constitution à l’article article 150 à propos des pouvoirs du président de la République. En effet, cet article limite strictement au texte constitutionnel le domaine de définition de la compétence du président de la République et en même temps interdit que l’on puisse octroyer d’autres pouvoirs au président par voie légale. En faisant une telle lecture du champ des pouvoirs du président, il faut conclure qu’il n’exerce un pouvoir que lorsque la Constitution le lui reconnait.

Les cas où la Constitution reconnait au président de la République un pouvoir réglementaire propre sont pratiquement inexistants. La Constitution de 1987 a enlevé tout pouvoir réglementaire à ce personnage qui en disposait par voie d’arrêté (Constitution de 1964 et celle de 1983 ; les amendements constitutionnels de 1971 et 1985 n’ont rien changé en ce sens) au profit du Premier ministre. Sa signature au bas des arrêtés pris en Conseil des ministres n’est que superfétatoire, ne voulant pas pour autant dire que c’est un exercice conjoint avec le Premier ministre et les autres ministres du pouvoir réglementaire.  

Le Président de la République est appelé à prendre des arrêtés de nomination des grands commis de l’Etat. S’agit-il là de l’exercice du pouvoir réglementaire ?  Dans ces types d’arrêtés René Chapus ne voit pas un acte administratif à portée individuelle ni non plus un acte à portée générale. Il les appelle des décisions d’espèce[10].

Le décret présidentiel : une usurpation du pouvoir législatif par l’Exécutif

Le décret n’est pas un thème juridique étranger au droit public haïtien et il est encore même présent dans par certains textes en vigueur dans lesquels il prend le sens d’un acte pris par l’Exécutif (les décrets de la période des Duvaliers entérinés par l’article 296 de la Constitution). Cependant, de façon constante le décret, dans les rares usages qu’il a dans la Constitution de 1987, est un acte réglementaire s’assimilant à l’arrêté et qui n’est jamais pris par le Président de la République. Cependant, depuis l’entrée en vigueur de la constitution de 1987, le thème décret a régulièrement été utilisé, lors des périodes de dysfonctionnement du pouvoir Législatif, pour nommer des textes sous forme normative pris unilatéralement par l’Exécutif dans l’intention de régir, en toutes matières les activités publiques ou privées avec même la prétention de pouvoir modifier/abroger les lois existant. Cette pratique de détournement du sens de la notion de décret en droit haïtien étantune appropriation de facto de la fonction législative par l’Exécutif (A), elle ne peut donner lieu qu’à une construction fragile du droit haïtien (B).  

A. Une appropriation de facto de la fonction législative par l’Exécutif

Toute appropriation de la fonction législative par l’Exécutif ne peut être qu’irrégulière suivant les termes de l’article 60-1 de la Constitution interdisant à ce que, sous aucun motif, les pouvoirs ne peuvent déléguer leurs attributions en tout ou en partie, ni sortir des limites qui sont fixées par la Constitution et par la loi. Abstraction faite de toutes circonstances politiques de fait, les décrets de l’Exécutif s’octroyant tous les attributs de la norme législative, sous l’ère de la Constitution de 1987 s’achoppent à cet article 60-1 de la loi constitutionnelle citée plus haut sans possibilité de contourner cet écueil par la formule abrogatoire habituelle disant que ce décret abroge toute loi, décret-loi, décret et arrêté qui lui sont contraires. En dépit donc de tout l’appareillage symbolique de l’Etat et de forme discursive officielle empruntée à la loi pour parer le décret, ce dernier reste une fausse norme de rang législatif (1) et un vrai cas d’acte susceptible d’être déclaré inexistant (2).

1. Fausse norme de rang législatif

D’aucuns aiment à répéter qu’en Haïti les décrets ont rang de loi. Nulle affirmation n’a été plus fausse que celle-là. C’est une réminiscence de la Constitution de 1893 en son article 112, qu’on croit voir dans la Constitution de 1987, qui donnait au président à vie de la République le droit de prendre des décrets ayant force de loi. Mais le plus étonnant c’est qu’elle sort souvent de la bouche de gens formés au droit. Quelques petites questions doivent pouvoir aider à réfléchir sur ce lieu commun de la sphère juridico-politique haïtienne. Est-ce qu’une norme, autre que la constitution peut déterminer elle-même le rang qui lui revient dans la hiérarchie des normes ? Est ce qu’un pouvoir peut lui-même déterminer l’étendue dans sa compétence au dépend même du domaine de compétence d’un autre pouvoir? A partir de quelle référence constitutionnelle le décret d’origine exécutive tient-il son existence ?  

Le décret comme acte juridique est utilisé dans la constitution dans de rare cas. On peut même déduire de ces usages remarqués à l’article 188-1et 276-1 de la Constitution de 1987 que le décret est un acte qui, dans le droit public haïtien, n’est pas d’une nature réglementaire et n’est pas à des fins gouvernementales. Dans l’article 188-1, c’est l’acte par lequel la Haute Cour de Justice prend sa décision lors du jugement d’un haut dignitaire de l’Etat. Alors que dans l’article 276-1 le décret est l’acte par lequel le Parlement ratifie les traités, accords et conventions internationales. Le décret est donc, en droit public haïtien, un acte de nature décisionnelle. A partir de ces deux emplois, il est difficile de déduire une définition unique du terme décret tel que retenu dans la Constitution. Un troisième emploi du terme est repéré à l’article 296 de la charte de 1987. Cet article est mis dans la constitution dans le but d’entériner tout décret qui ne lui est pas contraire en déclarant que « tous les décrets-lois, les décrets, les arrêtés actuellement en vigueur sont maintenus en tout ce qui n’est pas contraire à la présente constitution ». A ce point de la constitution fait entrer le terme décret avec un autre sens que tous ceux qui lui étaient donnés jusque-là sans pour autant permettre à l’exécutif de prendre de pareil acte.

La première grande prétention des décrets de l’Exécutif est d’investir le domaine législatif en réglementant, d’abord, de façon générale en toute matière et de façon autonome contrairement au vœu de la Constitution qui ne donne à l’Exécutif qu’un pouvoir réglementaire d’application, ensuite en prétendant, par une volonté unilatérale exprimée à travers une formule abrogatoire propre aux lois, modifier ou abroger la volonté populaire contenue dans une vraie loi régulièrement prise par le Parlement antérieurement. Loi est prise suivant certaines formes et rituelles et par un organe compétent désigné par la Constitution qui est invariablement le Parlement. Le tout contribue à créer la force nécessaire à la norme législative pour avoir le niveau d’autorité, de contrainte et de légitimité recherchée. En dehors de ce cadre de fabrication de la loi prévu par la Constitution aucune norme ne peut se donner le rang et la force de la loi quelles que soient les formes et contenus discursifs utilisés dans l’acte pris et quel que soit l’auteur.

Le décret est donc faussement une norme ayant le rang de la loi. A savoir qu’aucune norme ne peut tenir son autorité d’elle-même mais d’une norme supérieure à elle, sauf celle constitutionnelle. La formule abrogatoire dirigée même contre les lois utilisée dans les décrets  pris par l’Exécutif, est une prétention du décret à se donner sa propre autorité. C’est une dérive qui peut aller encore plus loin. En effet, on a déjà vu le Président Alexandre Pétion modifier sa Constitution de 1806 par l’arrêté[11] du 1er mai 1810 et même la Constitution de 1843 supprimer par décret[12]. Plus récemment, par arrêté en date du 9 mai 2012, l’Exécutif haïtien a annulé celui du 3 juin 2011 rapportant la loi constitutionnelle votée en Assemblée Nationale le 9 mai 2011.   

2. Vrai cas d’acte susceptible d’inexistence

L’acte inexistant a un cousin qui est l’acte illégal, mais il faut distinguer le premier du second. Tous les cas d’illégalité ne mènent pas à l’inexistence de l’acte. C’est la gravité des vices qui l’entachent qui peut mener à la déclaration de son inexistence sur recours en déclaration d’inexistence par devant le juge administratif.

Si l’on appréhende le décret par la théorie de l’acte administratif et voir en ce dernier un acte administratif réglementaire au même titre que l’arrêté, il faut l’analyser du coté de sa conformité aux règles de compétence ratione materiae applicables à l’exercice du pouvoir réglementaire en Haïti. L’ensemble des décrets pris ont une prétention à investir le domaine législatif et comme de fait l’investissent par la matière sur laquelle ils sont portés, matière réservée au domaine de la loi. Plus explicitement leur formule abrogatoire le dit sans gêne. Bien des arrêtés se retrouvent dans cette même situation. On peut prendre en exemple le décret relatif à la pension civile[13] du 9 octobre 2015, l’arrêté du 16 février 2005 portant règlement de la comptabilité publique[14], ou l’arrêté soumettant les marchés de défense et de sécurité nationale au respect des principes de passation des marchés[15] du 12 février 2020 qui contrairement aux volontés du législateur viennent régir un domaine réservé à la loi.

L’incompétence ratione materiae, est la plus grave des  irrégularités que peut souffrir l’acte administratif. L’acte court un grand risque d’être frappé d’inexistence mais ce n’est pas toujours le cas.   

L’intervention des autorités administratives dans un domaine relevant du judiciaire ou du législateur est, pour le professeur. Marion Ubaud-Bergeron, « une variété d’incompétence ratione materiae particulière puisqu’elle correspond à l’usurpation de pouvoir »[16]. Certains auteurs parlent d’empiètement d’une autorité sur une autre. Mais pour René Chapus, l’inexistence de l’acte est liée à la gravité de l’illégalité de l’acte[17]. Les actes inexistants sont de divers types desquels « celles qui, selon une formule connue sont manifestement insusceptibles de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’administration et sont ainsi à l’origine d’une voie de fait. »[18]

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Ainsi, en France, si l’empiètement de l’Administration sur le judiciaire est immanquablement sanctionné de l’inexistence de l’acte il n’est pas pareil de l’empiètement de ce même pouvoir sur le législateur[19] en raison du fait que compétent pour prendre des décrets, l’illégalité dont il peut s’agir ne peut être qu’une illégalité interne de l’acte n’affectant que son contenu. Peut-on transposer ce raisonnement en droit haïtien ?

Alors qu’un arrêté du Premier ministre haïtien, empiétant sur le domaine législatif pourrait être analysé, au prisme de la jurisprudence française, comme une illégalité ordinaire, un décret du Président de la République prétendant au même rang que la loi souffre d’un vice grave de forme qui dispense de voir le fond par le fait que ce dernier n’a et ne peut avoir aucune compétence à prendre des décrets. C’est, à l’état du droit haïtien, comme s’il empiétait sur le judiciaire. C’est ce que Laferrière appelle une usurpation de pouvoir, cas entrainant l’inexistence de l’acte.

Les décrets pris depuis toujours ont, dans la pratique, pourtant, une existence dans la vie juridique et judiciaire haïtienne. Que peuvent être les conséquences d’une telle existence de fait ?    

B. Une construction fragile du droit haïtien

Le décret, étant un acte unilatéral de l’Exécutif, ne saurait être assimilé par le juge haïtien qu’à un arrêté, un acte réglementaire de l’Exécutif à portée générale. La formule abrogatoire du décret dirigé contre la loi ne saurait lier les juges. Deux articles de la Constitution semblent y être pour faire le balisage. L’article 60-2 de la Constitution affirme en ce sens, d’une part, que la responsabilité entière est attachée aux actes de chacun des trois pouvoirs et d’autre  part l’article 183-2 fait obligation aux tribunaux de n’appliquer les arrêtés et règlements de l’Administration que pour autant qu’ils soient conformes aux lois. Ce qui ouvre la voie pour le justiciable à un recours systématiques pour provoquer le contrôle juridictionnel diffus de la légalité des décrets (1), mécanisme de rétablissement de la légalité contre toute diffusion par voie officielle et irritante du droit (2).      

1. Fragilisation du droit par le risque de l’abrogation administrative ou inapplication pour cause d’illégalité des décrets

La thèse de l’inexistence juridique du décret comme norme à velléité législative appelle normalement à la conclusion que les institutions prétendument créées par ces actes sont d’une existence de fait et non de droit. Mais comme discours officiel de légitimation de l’action de la puissance publique pris en compte souvent par les juges, les corps législatifs et mêmes les Exécutif qui suivent les périodes de leur adoption, ils produisent comme l’effet recherché par l’Exécutif auteur du décret. Mais ces textes n’auront jamais les parures de la loi et ceci pour deux raisons principales :   

L’abrogation administrative facile

Le décret crée une insécurité juridique même pour les institutions, les droits, les libertés qu’il croit avoir créé car, quoique qu’il dit abroger toutes autres lois contraires à lui-même, on ne peut évoquer l’idée de son abrogation par une autre règle sans lui supposer une existence constitutionnelle ou légale. En matière de régulation une norme tient sa force du rang de son auteur dans la hiérarchie des organes régulateurs, l’arrêté étant de même origine que le décret peut être considéré pour cela comme un acte réglementaire au prisme de la théorie de l’acte administratif. Contrairement à la loi, on ne peut revendiquer de droit acquis par une disposition réglementaire. C’est ce qui est arrivé avec l’arrêté établissant des privilèges aux anciens présidents de la république. Le fait que ces privilèges ont été établis par voie d’arrêté par les occupants du pouvoir Exécutif en 2015 contrairement aux prescrits de la Constitution, il a été facile pour l’Exécutif de 2017 de les balayer par un autre arrêté.

Le décret présente une autre fragilité pour les droits liés à sa nature comme acte assimilable à un acte réglementaire et les conséquences de l’application de la théorie de l’acte administratif. C’est qu’il ne sera pas accepté comme produisant des droits acquis. Comme en droit administratif français, seuls les actes administratifs à portée individuelle produisent des droits acquis au delà d’un certain temps. Les actes réglementaires, en droit administratif en haïtien, comme en droit français ne produisent pas de droit acquis à leur maintien pour les personnes auxquelles ils s’appliquent afin de permettre à l’Exécutif de pouvoir les abroger à volonté.

La question du droit au maintien des droits acquis est importante. La Constitution tend à la protection de ces droits acquis. Le principe de la non-rétroactivité de la loi a été constitutionnalisé à l’article 51. Contrairement aux prescrits de la Constitution, un ensemble de droits statutaires pour un ensemble de corps[20] de la fonction publique ont été établis par décret.  Peut-on revendique le droit au maintien des droits acquis par un décret ? Comme acte d’origine exécutive et à portée réglementaire, nul ne peut prétendre à un droit au maintien des droits et privilèges institués sur la base de cet acte. C’est l’application du grand principe selon lequel «  Nul n’a de droit acquis par une disposition réglementaire ».      

La sanction judiciaire de l’illégalité et rejet institutionnel d’office attendues

Le décret est un acte juridiquement atypique tant pour le Conseil constitutionnel, les cours et tribunaux judiciaires et spécialisés, la juridiction administrative que pour les organes juridictionnels du Conseil Electoral Permanent. Ils ne peuvent connaitre du recours en inconstitutionnalité ou de celui en illégalité établis par la constitution respectivement aux articles 190-5 et 183-2 pour certains et pour d’autres qu’en l’assimilant soit à la loi ou à l’arrêté. En effet aucune de ces articles ne le mentionne comme acte susceptible de recours par devant eux.

La première juridiction par devant laquelle on songe à attaquer un décret pour inconstitutionnalité à fin d’obtenir son annulation est le Conseil constitutionnel qui n’est pas fonctionnel. Pour être recevable, le recours, il faudrait bien que le décret soit assimilé soit à une loi, soit à un arrêté.      

Sur le décret fait peser une menace constante d’une décision judiciaire l’empêchant d’avoir effet lors du jugement d’une espèce pendante devant un juge. Quoique l’hypothèse de l’inexistence de ces actes retenue, ils peuvent être considérés comme productif d’effets de droit à travers les décisions prises sur la base de ces décrets. Ce qui constitue un premier élément de la fragilité juridique de tout ce qui est institué par ces normes. L’usage du décret avec la prétention de faire œuvre législative est une velléité de continuer la construction du droit. Mais peut-on le faire à partir d’un acte inexistant juridiquement ? Quoique ces malformations congénitales le décret semble trouver, de fait, une vie dans la vie administrative d’abord dans la motivation des actes de l’Administration par l’Administration et en second lieu par les autres acteurs pour qui cet acte de fait par son utilisation dans le discours argumentatif de l’Administration devra être pris en compte et être objet d’un contrôle par le juge.

Le décret est voué à être considéré par le juge comme faisant partie de la catégorie des actes de niveau infra-légal dans la hiérarchie des normes n’étant pas d’origine législative. Ces actes sont considérés par la Constitution de 1987 à l’article 183-2 comme n’étant pas de nature à s’imposer aux juges des tribunaux et cours de la République que pour autant qu’ils soient conformes aux lois. Ainsi la juridiction administrative a fait appliquer le code du travail en son article 488 sur le décret du 17 mai 2005 portant organisation de l’Administration centrale de l’Etat qui en son article 46-1 tend à rendre incompétent cette juridiction au profit du tribunal du travail  dans l’arrêt Célius Peterson Orilma contre Télévision Nationale d’Haïti[21] du 12 juillet 2013. Dans la même lignée, dans l’arrêt Nadège Tham contre la Radio Nationale d’Haiti[22] (RNH) rendu en date du 19 avril 2016 dans lequel cette fois encore elle se déclare compétente quoique l’article 1er du décret du 2 juin 1977 fait de la  RNH  une entreprise publique.  Par cette disposition, c’est la voie qui est ouverte à une exception d’illégalité du décret. Ce recours est un recours diffus car ce pouvoir de contrôler la légalité des actes de l’Administration est attribué à tous juges des cours et tribunaux sans restriction.

Bien que non compétent pour faire sortir de vigueur un acte de l’Exécutif pris comme un acte réglementaire, l’exception de légalité instituée par l’article 183-2 cité plus haut peut empêcher l’application du décret pour le contentieux à l’occasion duquel il est invoqué. Lorsque cette déclaration d’illégalité est faite par le juge de la Cassation, les droits et les libertés qui  peuvent être reconnus, les institutions juridiques qui peuvent être créés par un décret sont encore davantage précaires.

Les décrets de l’Exécutif, parce qu’ils ne sont que des normes d’origine exécutive, peuvent ne pas recevoir application lorsqu’ils violent des dispositions d’ordre public. C’est le cas du décret du 23 novembre 2005 établissant l’organisation et le fonctionnement de la CSCCA qui, au mépris de l’indépendance de cette institution, a prévu un poste de Direction Générale dont le titulaire est nommée par le président de la République. Les conseillers juges de la CSCCA, également autorités administratives de cette institution n’ont jamais accepté que ce poste soit pourvu car contraire à l’indépendance cette institution.  

Voie officielle de diffusion irritante du droit

Pour prendre les décrets dont on parle dans l’article, on utilise toutes les formes d’expression étatique en matière de publication de la loi : les symboles de l’Etat haïtien figurant sur les documents officiels (les armes de la République), l’entête officiel des documents de l’Etat haïtien, les voies officielles d’impression et de publication (Le Moniteur), la formule abrogatoire entre autres.   

Bourdieu dans sa Noblesse d’Etat semble poser un principe général de la nécessité auquel est soumis tout pouvoir. Le fondement du pouvoir ne peut être immanent à lui-même : « Aucun pouvoir ne peut se contenter d’exister en tant que pouvoir, c’est-à-dire dépourvue de toute justification, en un mot, arbitraire, et il doit donc se justifier d’exister, et d’exister comme il existe, ou du moins faire méconnaitre l’arbitraire qui est à son fondement et, par là se faire reconnaitre comme légitime. »[23] Du coup il pose le caractère arbitraire du pouvoir en général et la complicité nécessaire  avec la légitimité. Marie-Anne Lescourret reprendra le même principe, mais appliquée au pouvoir pris dans un cadre sociétal. Le pouvoir ne perdra rien de son caractère arbitraire tout en cherchant à se légitimer : « Le pouvoir étant force arbitraire en son principe, toute l’organisation sociale en est marquée et imprégnée, rien ne peut ôter ce mal, puisque tout, même la raison en est issu. » [24] Le champ du pouvoir est une lutte perpétuelle pour le pouvoir d’imposer une vision du monde. Ce pouvoir d’imposition de la règle, bourdieu le voit dans la forme. Il dit en ce sens que « La règle agit vi formae, par la force de la forme »[25]. Mais toute cette théorie du pouvoir symbolique formel de la règle sous-tend une règle pris par l’organe compétent.

Le décret utilise les mêmes formes, rites et rituels étatiques utilisés par la norme régulière pour se légitimer. C’est une forme pernicieuse de légitimation de ses actes futurs utilisée par l’Exécutif. Ce dernier joue sur la force de la forme dans phénomène de la loi pour réaliser un « coup de force symbolique » d’imposition du décret comme norme.     

La production normative implique autant d’organes producteurs de normes que de rangs dans la hiérarchie des normes : le pouvoir constituant, le parlement, l’exécutif et à un degré moindre le juge de la Cassation produisant respectivement et par ordre d’autorité normative la constitution, les lois, les actes réglementaires, la jurisprudence. Un organe ne saurait conserver sa même place dans la hiérarchie des organes et produire une norme d’une valeur supérieure au rang correspondant dans la hiérarchie des normes. S’il est vrai que l’Exécutif a un certain pouvoir normatif, il ne conserve juridiquement aucune légitimité ni de légalité en dehors du cadre prévu. Tout acte contrevenant aux délimitations constitutionnelles est irritant.

La hiérarchie des organes et celle des normes formes un système qui n’admet aucune dérogation sans faire effondrer tout le reste. Le moindre dépassement des limites d’un pouvoir fait qu’il n’y a juridiquement ni hiérarchie de normes ni hiérarchie d’organes. Or l’Etat n’est qu’un système de normes qui ne tient que parce qu’elles sont hiérarchisées. La production de normes dans l’irrespect de ces hiérarchies ne peut ni construire le droit ni corriger les problèmes juridiques qui se posent au système de normes en vigueur.  

Conclusion        

La proclamation de décret pris par le président en Conseil des ministres donne naissance à des objets normatifs non identifiables en droit haïtien. Il ne s’agit pas d’une dérive de l’exercice du pouvoir réglementaire du Premier ministre mais d’un phénomène d’une autre espèce, eu égard aux prétentions législatives dont elle ressort. Un droit dans le droit.

Une République qui se dote d’un parlement et qui après attend ou provoque des périodes de dysfonctionnement de ce parlement pour prendre des décrets auxquels elle reconnait un rang de loi est une République qui ment à elle-même sur sa vraie nature. La pratique du décret présidentiel sous l’égide de la constitution de 1987 apparait à chaque situation de dysfonctionnement du Parlement, provoquée ou non par l’Exécutif. La Constitution n’a pas prévu ce qu’il devait advenir du pouvoir légiférateur dans les cas de dysfonctionnement du pouvoir législatif. Ce serait appelé à sa réalisation au cas où cette situation profiterait à un pouvoir ou à un autre. Ce qui fait que la réflexion qui précède ne pouvait prendre en compte cet état de fait tant qu’elle veut rester juridico-centrée. C’est un dilemme à résoudre quand cela arrive car, d’une part le fonctionnement de l’Etat requiert toujours un pouvoir légiférateur et d’autre part toute solution prise dans ces circonstances sera de toute façon rattrapée par le droit.


[1] Association Française pour la Recherche en Droit Administratif (AFDA), La Compétence, (Acte de colloque organisé les 12 et 13 juin 2008, Faculté de droit de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble II, Paris, LexisNexis SA, 2012, p. 150. p. 41.

[2] Association Française pour la Recherche en Droit Administratif (AFDA), La Compétence, (Acte de colloque organisé les 12 et 13 juin 2008, Faculté de droit de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble II, Paris, LexisNexis SA, 2012, p. 150. p. 42 ; Maurice Hauriou, Précis de droit administratif, p. 224.

[3] Association Française pour la Recherche en Droit Administratif (AFDA), La Compétence, (Acte de colloque organisé les 12 et 13 juin 2008, Faculté de droit de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble II, Paris, LexisNexis SA, 2012, p. 150. p. 41.

[4] Association Française pour la Recherche en Droit Administratif (AFDA), La Compétence, (Acte de colloque organisé les 12 et 13 juin 2008, Faculté de droit de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble II, Paris, LexisNexis SA, 2012, p. 150. p. 41

[5] Art 37 de la loi du 4 mai 2016 remplaçant le décret du 16 février 2005 sur le processus d’Elaboration et d’Exécution des lois de finances,   Moniteur,  No. spéciale 5 du mercredi 1er février 2017.

[6] Art. 36 de la loi du 4 mai 2016 remplaçant le décret du 16 février 2005 sur le processus d’Elaboration et d’Exécution des lois de finances,   Moniteur,  No. spéciale 5 du mercredi 1er février 2017.

[7] Art. 38 de la loi du 4 mai 2016 remplaçant le décret du 16 février 2005 sur le processus d’Elaboration et d’Exécution des lois de finances,   Moniteur,  No. spéciale 5 du mercredi 1er février 2017.

[8] Art. 59 de la loi du 4 mai 2016 remplaçant le décret du 16 février 2005 sur le processus d’Elaboration et d’Exécution des lois de finances,   Moniteur,  No. spéciale 5 du mercredi 1er février 2017.

[9] Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, Paris, 2004, p. 268.

[10] René Chapus, Droit administratif général, Paris, Montchrestien, 2001, p. 527

[11] Linstant Pradine, Recueil général des lois et actes du gouvernement d’Haïti depuis la proclamation de son indépendance jusqu’à nos jours, Tome II,  Paris, Auguste Durand, 1860, p. 56.

 [12] PRICE Hannibal, Cours de droit administratif, [en ligne], 2eme édition, Imprimerie-Lithographie DUVAL et DAVOULT, Havre, 1910, 564 pages. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6103022z.

[13] Suivant l’article 220 de la constitution aucune pension, aucune gratification, aucune subvention à la charge du Trésor Public, ne peut être accordé qu’en vertu d’une loi.

[14] Suivant l’article 227-2 les comptes généraux des recettes et les dépenses de la République sont gérés par le ministère des finances selon un mode de comptabilité établi par la loi.

[15]L’article 3 de la loi du 10 juin 2009 fixant les règles générales de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics dont la valeur estimée est égale ou supérieure aux seuils de passations des marchés publics.

[16] Association Française pour la Recherche en Droit Administratif (AFDA), La Compétence, (Acte de colloque organisé les 12 et 13 juin 2008, Faculté de droit de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble II, Paris, LexisNexis SA, 2012, p. 150.

[17] René Chapus, Droit administratif général, Paris, Montchrestien, 2001, P. 1014

[18] René Chapus, Droit administratif général, Paris, Montchrestien, 2001, p. 1014.

[19] René Chapus, Droit administratif général, Paris, Montchrestien, 2001, p. 1038.

[20] Par exemple le décret du 17 mai 2005 portant révision du statut général de la fonction publique.

[21] Greffe de la Cour de Cassation RG 6097/4616.

[22] Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, (arrêts rendus), consulté le 15 mars 2018, http://www.cscca.gouv.ht/arrets_rendus.php.

[23] Pierre Bourdieu, La noblesse d’Etat, Paris, Les Editions de Minuit, 1989, p. 377

[24] Marie-Anne Lescourret (Dir.), Pierre Bourdieu, un philosophe en sociologie, Paris, PUF, 2009,p. 112.

[25] Roussel Violaine, « Le droit et ses formes. Éléments de discussion de la sociologie du droit de Pierre Bourdieu »,
Droit et société, 2004/1 n°56-57, p. 41-55 ; Pierre Bourdieu, « Habitus, code et codification », art. cité, p. 43


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