Wed. Oct 16th, 2024

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Un accouchement tourne au drame, CHITAI sur le grill

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Via Emaze

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Par Juno Jean Baptiste
Twitter : @junopappost

Une opération a mal tourné au Centre haïtien d’investigation et de traitement avancé de l’infertilité (CHITAI). L’enfant qui en est né est handicapé. Quoique la justice ait classé le dossier sans suite, sa mère, à bout de souffle, continue d’accuser le patron de la clinique d’avoir laissé à dessein durant des mois le fil du cerclage à l’intérieur de son utérus et exige encore que justice lui soit rendue.

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«C’est plus qu’une méchanceté. Il m’a poussé à faire un cerclage qui n’était pas nécessaire pour qu’il puisse gagner de l’argent. Il devrait l’enlever à la 37ème semaine de ma grossesse, mais il ne l’a pas fait», confie Mitzie Lucas, 38 ans, la respiration saccadée. Difficile d’y croire. Une visite ordinaire au Centre haïtien d’investigation et de traitement avancé de l’infertilité (CHITAI), clinique du Dr Harry Beauvais, s’est transformée en un réel film d’horreur à plusieurs séquences. L’histoire remonte à mars 2015. Enceinte de deux mois de son deuxième enfant, Mitzie Lucas s’y est rendue, en quête de soulagement. Mais elle n’a eu à la gueule que désenchantements, colères et cauchemars.

Le même jour, sur ordonnance du Dr Harry Beauvais, responsable du Chitai, elle a été faire une kyrielle d’examens de laboratoire. Un mois plus tard, soit en avril 2015, pour sa deuxième visite, elle a été contrainte à un cerclage (Processus de fermeture du col de l’utérus pendant le premier trimestre de la grossesse, pour que cette dernière puisse continuer jusqu’à son terme) pour sauver le bébé parce que, selon le Dr Harry Beauvais, le col était ouvert. Des mois se sont écoulés. En septembre 2015, Mitzie Lucas éprouve tout à coup de fortes douleurs au bas du ventre. Elle se rend à nouveau au Chitai. On lui demande de passer sous le bistouri. 

L’enfer

Le même jour, elle est placée sous perfusion. Entre 7 heures et 8 heures du soir, on lui injecta des médicaments qui provoquent aussitôt des troubles respiratoires. Pendant qu’elle attend une césarienne avec un fil de cerclage non enlevé, le Dr a prescrit 5 fioles de pitocin qui lui ont été administrées. Elle dit passer la nuit assise. Afin de pouvoir respirer. Le lendemain, raconte-t-elle à Port-au-Prince Post, le médecin a lui-même fait choix d’un anesthésiste pour l’intervention chirurgicale. Le surlendemain, un pédiatre, un anesthésiste et le Dr Harry Beauvais ont réalisé la césarienne. «L’enfant prématuré est né avec des troubles respiratoires et des problèmes cardiaques», confie Mitzie Lucas à Port-au-Prince Post, qui en veut aujourd’hui encore à la justice de son pays, au Dr Harry Beauvais et au Chitai. 

Sa fille, née de cette opération, ne parvient pas jusque-là à marcher normalement alors même qu’elle va avoir 5 ans. Et bien des mois après sa naissance, exactement 4 mois (janvier 2016), sa maman éprouvait encore douleurs. «Il m’a laissé le fil du cerclage dans l’utérus. Et c’est de son habitude. Il impose toujours un cerclage à chacun de ses patients pour qu’ils ne perdent pas l’enfant», accuse Mitzie Lucas, soulignant que c’est elle qui «rappelait au Dr Harry Beauvais qu’il n’a pas enlevé le fil du cerclage.»

Malgré les doutes, soutient Mitzie Lucas, il prétendait l’avoir enlevé. «Il n’y a pas de fil du cerclage à l’intérieur de votre utérus», me disait-il, non sans insistance. 

«J’ai frôlé la mort»

«J’ai toujours eu l’impression que le fil du cerclage est à l’intérieur de mon utérus parce que je souffrais beaucoup», explique Mitzie Lucas, ajoutant que le médecin lui a prescrit du diclofenac et du bactoclav et lui a recommandé de faire de nouveaux examens de laboratoire. Mitzie Lucas, après plusieurs mois de péripéties, en garde encore les stigmates. Elle évoque une «méchanceté d’une ampleur rarement vue». «Il m’a fait faire un cerclage non nécessaire pour qu’il puisse gagner de l’argent, il devrait l’enlever à la 37e semaine de ma grossesse, mais il ne l’a pas fait», lâche-t-elle, avec moult détails. 

«Mon corps était pour lui un fonds de commerce. À chaque malaise, je devais retourner dans sa clinique. Comme le fil n’est pas enlevé, le col étant bouché, ce sera impossible pour moi de tomber enceinte physiologiquement et, à ce moment, il allait me demander de faire une fécondation in vitro qui allait me coûter environ 7 mille dollars américains», précise Mitzie Lucas. Elle avoue avoir frôlé la mort en octobre 2019. «Du sang coulait sur moi durant 15 jours. Mon urine et mon sang dégageait une mauvaise odeur. Je suis aussitôt allé voir Dr Georges Charles, un autre médecin gynécologue, c’est lui qui m’a enlevé le fil du cerclage», marmonne Mitzie, qui n’en était pourtant pas au bout de ses peines. 

La justice aux ordres ?  

Ne sachant à quel saint se vouer, Mitzie Lucas a pris le chemin de la justice. Après moult atermoiements, Dr Harry Beauvais a répondu à la convocation. Ce dernier a avoué au tribunal qu’il serait prêt à assumer les conséquences en tant que professionnel si une erreur surviendrait dans l’exercice de son métier. Il a même sollicité une «entente à l’amiable». Un rendez-vous s’était même pris à Marriott. Mais l’avocat de Dr Harry Beauvais l’a annulé in extremis sans aucune explication. Le substitut-commissaire Eunide Légerme s’est enfin résolue à classer le dossier. «Mais la victime pourrait toujours, si elle engage de bons avocats, saisir le correctionnel. J’ai classé le dossier parce qu’elle l’a porté par-devant d’autres magistrats», affirme Eunide Légerme, rencontrée au parquet de Port-au-Prince, dans un petit bureau bondé en ces temps de coronavirus en plein cœur d’un Bicentenaire devenu l’ombre de lui-même depuis des décennies. 

Port-au-Prince Post a acheminé des questions au Dr Harry Beauvais. Celui-ci les a reçues mais n’a pas daigné y répondre. «Je n’ai rien à voir avec un cerclage réalisé depuis quatre ans. La justice a déjà tranché. Je ne vais pas parler sur ce dossier.»  Il nous a enfin promis le numéro de son avocat pour une entrevue mais ne l’a pas communiqué à la rédaction lors de notre enquête. L’autre médecin, le Dr Georges Charles, qui a enlevé le fil du cerclage dans l’utérus de Mitzie Lucas, n’a pas non plus répondu à nos questions. Après avoir confirmé qu’il connaît bien une patiente qui s’appelle Mitzie Lucas, il n’a pas mis de gants pour nous faire comprendre qu’il ne «s’exprimera sur ce dossier ni par téléphone, ni par e-mail». Nous lui avons envoyé nos questions via l’e-mail indiqué sur un certificat médical donné à Mitzie Lucas dont nous détenons une copie. Depuis, silence radio. 

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La foi dans le pays malgré tout 

Bien des mois après les faits, l’espoir de justice s’est certes amenuisé. Mais il semble qu’une lueur est visible au bout de tunel. «La dame peut toujours obtenir justice. Elle est victime. Elle est réellement victime», rapporte une source judiciaire à Port-au-Prince Post. Mitzie Lucas, elle, a encore la foi dans le pays, un pays qui peut un jour les réhabiliter, elle et sa fille de 4 ans, handicapée depuis. «J’aimerais que la justice de mon pays ouvre le plus vite que possible une enquête sur cette clinique, sur tous les médecins qui y travaillent et qu’elle puisse être fermée pour éviter que de nouvelles victimes en fassent les frais. J’espère que les coupables seront jugés, condamnés et que les victimes seront toutes enfin dédommagées.»

Le bébé de Mitzie Lucas n’est pas que handicapée aujourd’hui. Elle souffre comme sa mère. Quand elle avait déjà six mois, sa tête augmentait en volume (hydrocéphalie) disproportionnellement par rapport à son corps. On lui avait exigé un scanner. Après le résultat, on lui a confirmé une hydrocéphalie qui nécessitait une intervention chirurgicale. En juin 2016, bien avant toutes les pérégrinations judiciaires, sa mère l’a emmenée aux États-Unis là où l’on avait découvert que le bébé accusait un problème de vascularisation au niveau de la tête. «Les examens sanguins ont confirmé une infection contractée de sa maman au cours de la gestation», glisse, non sans tristesse et colère, Mitzie Lucas, documents médicaux à l’appui. 

L’ultime espoir ?

L’intervention a réussi. Mitzie Lucas a dû signer aux États-Unis un accord de consentement autorisant les médecins à recourir à une nouvelle intervention chirurgicale si à l’avenir la vascularisation est à nouveau bouchée. Mais l’enfant peine toujours à marcher sans des béquilles. Dans le rapport médical du CHITAI, il est mentionné les infections urinaires traitées à l’aide d’antibiotiques, des douleurs hypogastriques intenses, le fil de cerclage enlevé après 37 semaines de Mitzie Lucas. Il y est également noté qu’elle est rentrée chez elle avec une disproportion pelvienne. Pour mieux analyser le rapport, elle a été voir un médecin qui a confirmé la présence d’une infection bactérienne avec un taux d’immunoglobulines G qui était de 1/32. Port-au-Prince Post dispose de tous ces documents. 

L’un des avocats de Mitzie Lucas, Me Lovely Jean Louis, a indiqué que de nombreuses démarches ont été déjà entreprises au niveau du parquet de Port-au-Prince pour qu’un procès soit officiellement engagé. «Vu les derniers frasques de la procédure, une plainte a déjà été adressée au cabinet d’instruction», a-t-elle fait savoir, jointe par téléphone. « Nous demeurons convaincus que le parquet dispose suffisamment d’éléments pour poursuivre Dr Harry Beauvais. Ce refus de poursuivre trouve sa justification dans les faiblesses de l’Etat haïtien de garantir et à protéger le droit à la santé de ces citoyens (nes)», constate-t-elle, soulignant que les professionnels de santé ne jouissent pas de l’immunité médicale et qu’ils peuvent être poursuivis pour les actes commis dans l’exercice de leur profession.

Des antécédents qui ternissent l’image du Chitai

Au-delà de l’affaire de Mitzie Lucas, une autre dame, qui a requis l’anonymat, le fait d’en parler sans informer son mari, n’a pas des yeux de Chimène pour Dr Harry Beauvais. Elle souffrait de fibrome et a recouru aux “bons offices” du Chitai. Dans la clinique, on lui a proposé l’option du bistouri. Elle a failli y laisser sa peau. « On m’a opéré avec 9 grammes de sang, en-deçà du nombre du seuil requis», indique-t-elle. Elle en veut encore au Chitai, à Dr Harry Beauvais. Elle ne s’est pas retenue en se confiant à Port-au-Prince Post. « C’est l’argent qui les intéresse. Et non l’état de santé des patients. C’est Dieu qui m’a ramenée la vie. Une opération avec 9 grammes de sang, ça finit habituellement toujours mal. »

Elle se réserve le droit d’intenter une action en justice contre le Dr Harry Beauvais et sa clinique (CHITAI). «C’est souvent le cas dans cette clinique. Des opérations qui finissent mal ou qui tournent mal avec des conséquences dans le long terme», confie-t-elle. On a contacté de nouveau le Dr Harry Beauvais. Celui-ci n’a pas pipé mot. Port-au-Prince Post attend encore sa version des faits. Mais dans l’intervalle, Mitzie Lucas, qui s’estime victime d’une escroquerie médicale, attend toujours que justice lui soit rendue. «Cette affaire peut devenir une occasion susceptible de faire changer le comportement des travailleurs de la santé, en particulier les médecins, les infirmières, les pharmaciens», soutient son avocate.

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Si vous avez des informations, des documents et autres à nous communiquer, veuillez nous contacter à tout moment à l’adresse info@pappost.com ! Merci.


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1 thought on “Un accouchement tourne au drame, CHITAI sur le grill

  1. Merci PapPost pour cette enquête !!
    Avec cette enquête vous aidez la victime à trouver justice. Faisons plus de bruits

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