Contre le black-out sur la gestion des millions de gourdes reçus par les partis politiques
4 min readPar le Conseil Éditorial
Trois ans après avoir bénéficié d’un financement public pour «se renforcer», des partis politiques n’ont pas encore remis leurs rapports de gestion aux instances compétentes. Personne ne sait ce qui est advenu de l’argent des contribuables.
Sous le couvert de la loi votée en 2014 portant sur la création, le fonctionnement et le financement des partis politiques, environ 142 millions de gourdes du trésor public ont été allouées en 2017 à près d’une cinquantaine de partis politiques. Après plusieurs jours de longues discussions entre les partis, d’euphorie aussi pour la majorité d’entre eux à l’idée d’avoir enfin quelque chose à se mettre sous les dents après des années de disette politique, les protagonistes ont vite fait de mettre des articles de la loi de 2014 – la loi même qui leur confère ce droit au financement public – en veilleuse afin de favoriser ce qu’ils appelaient un «partage équitable» de l’argent public, sur la base d’un «consensus politique».
Près de trois ans plus tard, les contribuables se doivent de savoir qu’est-ce qui est adevenu de leur argent. A-t-il été bien utilisé? N’a-t-il pas été détourné? A-t-il effectivement contribué au renforcement des partis politiques ? Pourquoi les partis politiques tardent à rendre publics leurs rapports de gestion? Autant de questions auxquelles les Haïtiennes et les Haïtiens, désabusés par la politique et l’effritement des valeurs dans le champ politique, veulent des réponses. Le droit de savoir est un droit sacré. Il est beaucoup plus important que le droit de vote, selon le journaliste français Edwy Plenel, cofondateur de Mediapart.
Les partis politiques, étant théoriquement des gouvernements en devenir, au sens qu’ils sont appelés à prendre le pouvoir, ont tout à perdre s’ils ne s’élèvent pas au-dessus de tout soupçon de corruption. Ils doivent être des parangons de vertus. C’est une des conditions essentielles pour moraliser la vie politique, redonner à la politique ses valeurs perdues, inciter les Haïtiennes et les Haïtiens à croire dans la parole politique et à s’investir enfin, en grand nombre, dans le champ politique, plutôt que de le fuir et d’avoir en horreur ceux qui en font leur métier.
« Le financement public alloué doit être utilisé pour payer les dépenses courantes, diffuser leur projet politique, coordonner l’action politique de leurs membres et pour assurer la formation des membres », peut-on lire dans l’article 39 de la loi. Ce droit au financement public en appelle nécessairement à l’obligation d’un rapport de gestion. À ce propos, la loi de 2014 ne pouvait pas être plus claire dans son article 40: « Tout parti politique doit remettre annuellement un bilan détaillé, accompagné des pièces justificatives, au ministère des Finances. »
Mais il se trouve que trois ans après la livraison des premiers chèques (octobre, novembre et décembre 2017), les partis politiques, majoritairement, n’ont jusqu’ici remis aucun rapport de gestion. Or comme le stipule la loi, dans son article 42, les «partis politiques procèdent à la fin de chaque exercice budgétaire à une reddition des comptes à la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif aux fins de contrôle». La transparence dans le cadre de l’utilisation de l’argent public est l’un des fondements de la démocratie et de l’État de droit. Peut-être faut-il croire que les partis politiques travaillent encore sur leurs rapports de gestion et s’appliquent à les peaufiner, quoique tardivement.
La liste des partis politiques est publique. Les montants reçus sont publics. Les rapports de gestion doivent être également publics. Le processus initié par Port-au-Prince Post (lettre à l’appui), au nom du droit à l’information, relève de la fonction même du journalisme que nous défendons et promouvons: un journalisme qui fouille, qui enquête, qui provoque les débats utiles et qui ne se borne pas aux communiqués et aux conférences de presse. Toutes les questions d’intérêt public ne sauraient échapper à la loupe de ce «nouveau journalisme», malgré les limites qui entravent son exercice, notamment l’inexistence d’une loi relative à l’accès à l’information dans notre pays.
Port-au-Prince Post a décidé d’écrire aux partis politiques dont il faut souligner l’injoignabilité générale tant par e-mail que par téléphone, au Ministère de l’Économie et des Finances (MEF) et à la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA). Nous publierons sous peu la situation de chaque parti politique selon qu’il ait remis ou non un rapport de gestion à la CSC/CA et au MEF. En publiant la liste des 58 partis politiques qui étaient prévus par le Comité de Suivi pour le Financement et l’Institutionnalisation de Partis Politiques (COSFIPP), Port-au-Prince Post exhume le débat autour de la question pour rendre service à la transparence et à la reddition de comptes, sans quoi il est impossible d’imaginer la moralisation de la vie publique…
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