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Coronavirus: pourquoi le confinement est impossible en Haïti

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Image via Brendan Caroll

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Par Frédéric Chérestal
Twitter: fredcherestal

Ce lundi 23 mars 2020, le Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP) vient d’identifier un nouveau cas de coronavirus dans le pays. Ce qui porte à six le nombre total des infectés. En tenant compte du fait qu’aucun pays n’ait encore découvert de vaccin, le meilleur moyen de contrôler la propagation du Covid-19 reste le contrôle strict du mouvement des populations, du déplacement des citoyens. On parle de garder les gens chez eux le plus que possible (confinement), de limiter le rapprochement physique entre individus et groupes (social distancing). Dans cet article, on analyse trois (3) éléments qui remettent en cause la possibilité réelle d’adopter des mesures de confinement en Haïti.

Le caractère informel de l’économie en Haïti

L’économie informelle en Haïti représente plus de 56,4% du PIB (Aspilaire, 2014). Elle regroupe plus de 57% des emplois de la capitale (IHSI, CELADE, 2007). 81% des entreprises (petit business) de la zone métropolitaine font partie du secteur informel (IHSI, 2007). Sous l’influence d’évènements politiques, militaires, environnementaux et démographiques, l’économie haïtienne connaît, pour la période contemporaine, une informalisation à outrance se caractérisant par la précarité, l’absence de contrôle de l’État et le fonctionnement quasi-désordonné. Dans nos grandes villes (Port-au-Prince, Cap-haïtien, Gonaïves, Saint-Marc, Les Cayes, etc) plusieurs millions de citoyennes et citoyens sont dans les rues au jour le jour pour gagner leur vie et subvenir à leurs besoins (nourriture, écolage, loyer, “sòl”, frais d’hôpitaux, etc.). Ces gens-là exercent des activités diverses : commerçants, chaffeurs, portefaix, cireurs de chaussures, restaurateurs ambulants, etc. Ce sont les “fabricants de nos villes”. Comment garder ces gens-là chez eux; quand leur existence même dépend de leur présence dans les rues de nos villes? 

Nos espaces sociaux vides

L’État en Haïti ne contrôle pas le territoire national. C’est un fait. Nous n’allons même pas prendre l’exemple récent de nos quartiers populaires, avec les zones dites “de non-droits”. L’État en Haïti ne contrôle que quelques grandes villes et grands axes routiers. Les originaires de villes de province et ceux qui les fréquentent souvent peuvent s’en rendre compte facilement. Dès qu’on laisse le niveau de chefs-lieux d’arrondissement, on retrouve des populations livrées à elles-mêmes, qui s’auto-organisent pour vivre, soit autour d’une autorité religieuse (prêtre catholique, pasteur ou prêtre voodou), soit autour d’un ancien notable de la zone. Des pans entiers du territoire national fonctionnenent, depuis l’époque où “le diable était caporal”, sans la présence de la police, des douanes, de la DGI, etc. L’État n’existe pas pour ces gens-là! Ils rencontrent ses représentants (anciens et/ ou futurs) en période électorale.  La plupart du temps, pour écouter des “promesses de changement”, qui font miroiter un avenir lointain, brutalement stoppé après les décomptes dans les urnes. Qui va sensibiliser les populations de ces zones “sans État” contre le Covid-19? Qui sera en charge de faire respecter les mesures préventives pour y éviter la propagation de la maladie?

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La mentalité de “Bon Dieu Bon” de l’haïtien

Dimanche matin, autour de 9h am, au Centre-ville de Port-au-Prince, une marchande sert de la soupe au giraumont à des riverains. En plein milieu d’une rue, un cache-nez couvre la moitié du visage de la commerçante! En pleine épidémie de Coronavirus, la restauration ambulante “manje kwit” est encore pratique courante en Haïti. La scène, pathétique au prime abord, prend le caractère ubuesque de la réalité haïtienne. Depuis quelques années, nous vivons en pleine fiction dans ce pays! Le réel a dérapé. L’haïtien vit dans un univers de “tout est possible”. Il ne croit plus. Il n’attend plus. Entre laisser le pays à tout prix ou rentrer dans la danse macabre du “brassage”, la balance peine à garder son équilibre. Pour bon nombre d’entre eux, le Covid-19 est un immense bluff. Et les commentaires vont bon train : ce virus ne tue pas les noirs, il fait trop chaud en Haïti pour connaître cette épidémie, les médias nous mentent, on devrait prendre plus de vitamines C, Dieu et/ou les loas va/vont nous protéger, etc. Les gens ne prennent pas cette épidémie au sérieux, malgré “l’État d’Urgence sanitaire” annoncé par l’État! Pour preuve, dès 5h am, les rues sont remplies jusqu’à tard le soir. Tout fonctionne dans le pays, à part les écoles et universités. Comment sensibiliser une population qui n’a plus de repères?

La situation actuelle dans certains pays fait très peur. Nous avons des exemples terribles comme l’Italie, la France, des USA et plus près de nous de la République Dominicaine face au Coronavirus. Un bilan partiel (sources combinées : AFP, Institut John Hopkins, Le Monde) souligne plus d’un milliard de personnes qui sont confinées, plus de 15 000 morts, plus de 341 000 cas. Le meilleur moyen en Haïti serait d’éviter la propagation du virus en limitant les contacts entre les individus et les groupes. C’est pratiquement impossible, en tenant compte de certaines réalités : le caractère informel de notre économie, l’absence de l’État dans des zones du pays et … la mentalité de “Bon Dieu Bon” de nos citoyennes et citoyens. À part la découverte et l’accessibilité rapide à un vaccin pour éradiquer le Covid-19, limiter ses dégâts en Haïti parait ubuesque! 2020 sera longue …


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