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Les stéréotypes sur les femmes dans la publicité en Haïti

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Image via Pinterest/GohardPhotography

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Par Frédéric Chérestal
Sociologue
Twitter : @fredcherestal

Les premiers signes d’une publicité commerciale remonteraient à Pompéi (ville antique de l’Italie), vers les 79 Av. J.C. En effet, on a y remarqué des affiches annonçant des manifestations et proposant la location de taverne. Suite aux divers changements en Occident (arts et science, industrialisation, avènement démocratique, etc.), l’affichage devient populaire et s’impose entre le 17e et le 19e siècle. Après la deuxième Guerre Mondiale (1945) et au profit des évolutions économiques (les trente glorieuses), la nécessité de nouvelles stratégies de commercialisation s’impose, afin d’attirer l’attention du grand public et vendre. On nage en plein dans la « société de masse » depuis. Dans le contexte haïtien, au gré des rapports avec l’Occident (allant de la conquête espagnole de 1492, à l’Exposition International de 1949), des modification multiples (sociales, démographiques, politiques et surtout économiques) expliquent l’usage de la publicité. Dans l’Haïti contemporaine, la publicité est quasi-présente au sein de notre quotidien, allant des affiches géantes au coin de la rue, à l’écran de nos smartphones et laptops. Dans ce court article, nous vous proposons une courte analyse sur l’utilisation de trois stéréotypes sur les femmes au niveau de la publicité en Haïti.

La femme ménagère : la gérante de la maison

Dans cette première catégorie, nous retrouvons l’image de la femme ménagère, fée du logis, qui gère la maison. Tout d’abord, nous devons clarifier qu’un stéréotype consiste en une représentation que l’on possède sur une catégorie de personnes. Il est susceptible d’influencer notre comportement, notre jugement et de favoriser un certain type d’action. Les stéréotypes participent également à la construction de l’identité individuelle et collective. Ce stéréotype de « Femme ménagère » prend sa racine dans les profondeurs de notre société patriarcale et masochiste, qui relègue les femmes dans le rôle de bonne à tout faire. À la femme, en habit de couleurs tendres ou vives, les tâches ménagères (lessive, cuisine, nettoyage, achats de produits de premières nécessites, etc.), l’intérieur, le privé. En bref ! Un rôle de dominé.

Via Femme-publicité

À l’homme, en habit de prestige (ici, la costume de trois pièces prime) de couleurs sombres, la relaxation (il regarde la télé ou lit un journal le plus souvent), les tâches nécessitant un effort physique ou intellectuel, le public, la décision finale d’achat. Un rôle de dominant ! Cette image de la femme ménagère prend, aussi, sa source dans diverses traditions occidentales (le Christianisme, par exemple) qui placent la femme dans une position de dominée et la relèguent à des tâches domestiques. L’avènement des appareils électroménagers et l’Occidentalisation du pays ont favorisé, depuis le milieu du 20e siècle, l’utilisation de cette figure de la femme, à travers la publicité. Dans ce contexte, nous retrouvons l’utilisation de ce stéréotype dans la vente de divers produits/ services : meubles, articles électroménagers, produits de nettoyage, hôtellerie & tourisme, restauration, etc. Un peu plus loin, nous retrouvons projeter l’image de la femme mère de famille.

La mère de famille : gardienne des enfants

La femme a la capacité naturelle de transmettre la vie. L’un des actes les plus complexes et étonnants de l’espèce humaine ! Sans rentrer dans les débats sur le droit à l’avortement (ce n’est pas l’objectif de ce texte), retenons que la capacité biologique de la femme à enfanter ne pourrait réduire la femme à la fonction, sociale, de mère. Dans cette seconde catégorie nous retrouvons la femme « mère de famille » qui prend soin des enfants. De l’apparition des groupements humains, remontant à la période du nomadisme, le rapport mère-enfant prend du sens en tenant compte des réalités de l’époque. Les précarités diverses d’ordre naturel (environnement hostile et animaux sauvages), les rivalités entre les groupements humains et autres tendent à expliquer la division sexuelle du travail de l’époque. Une telle division qui plaçait les femmes à l’enfantement et la protection des enfants. Des siècles plus tard, avec l’apogée de l’État-nation, la pacification des mœurs, la démocratie, les avancées évidentes au niveau des droits de la femme, rien n’explique le fait qu’une femme devrait, exclusivement occuper la fonction de mère. Une fonction qui n’est pas, trop souvent, compatible avec des ambitions professionnelles et/ ou sociales.

Via Boutique Clouet

On remet en question les capacités d’une femme à occuper des fonctions (politique ou entrepreneuriale, par exemple) en soulignant son incapacité à lier ses ambitions à son rôle de mère/ épouse. Que dira-t-on à un homme (époux et père) qui souhaite devenir PDG ou Président de la République ? Dans le contexte haïtien, la surreprésentation de la femme « mère de famille » peut aussi s’expliquer par l’importance du christianisme (et de ses dérives) dans le corps social, le traditionalisme (particulièrement en milieu rural) et les faiblesses légales devant protéger les femmes. Sous ce cliché, nous pouvons noter la vente de divers produits/ services : nourriture pour bébé et enfants, produits pharmaceutiques, fournitures scolaires, aliments, immobiliers et mobiliers, services bancaires et/ ou financiers, etc.

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La femme-objet : instrument de désir et appât

Le corps de la femme fait rêver. Dès l’antiquité, le corps de la femme est objet d’attention, de convoitise et source de création artistique. Pour représenter la femme, on sculpte des figurines d’ivoire dites « Vénus », au Paléolithique supérieure, entre 35 000 et 10 000 ans avant notre ère. Au gré d’évolutions multiples en Occident, l’image de la femme évolue en prenant des significations diverses, sous l’influence de la religion, des arts de la littérature, de la politique et, essentiellement de la peinture et des voyages (colonisation). L’image de la « femme-objet » que nous connaissons actuellement prend sa naissance dans les années 60 et 70, à la suite des luttes d’émancipation de femmes et la reconnaissance de certains droits dans la politique, l’éducation et les avancées des femmes dans le milieu professionnel. Ces avancées entrainent une libéralisation des mœurs, qui sur le plan commercial impact les techniques de publicité qui connaissent une érotisation. Le corps de la femme devient « appât » et outil d’attention des deux sexes.

Via Stampaprint

Dans les années 90, ce phénomène devient la norme dans certains pays occidentaux (dont la France et les USA), avec la vague dite « porno-chic ». Le corps de la femme devient objet de fantasme. Il est utilisé dans les affiches publicitaires, souvent dans des situations hors-contexte, où il est difficile (voire impossible) de lier le produit/ service offert au corps de la « femme idéale » (jeune, mince, blanche et de grande taille) qui est proposé. Dans le contexte haïtien, cette dernière catégorie est surtout utilisée pour la vente des produits/ services comme : cosmétiques, lingerie, boissons, automobile, voyages, loterie, etc.

En décembre 2017, le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF) a condamné, dans une note officielle, une affiche publicitaire, d’une marque de boisson, jugée « dévalorisante pour l’image et le corps de la femme ». La publication de ladite note se solda, un jour après, par le retrait des panneaux publicitaires portant l’annonce. Ces faits se sont répétés à plusieurs reprises dans l’histoire haïtienne contemporaine. Les agences de publicité et autres direction de marketing ne sont composées que des citoyens (citoyennes) socialement implantes (ées), vivant les travers d’une société, en pleine mutation, qui facilite la promotion de stéréotypes et clichés divers. Un changement social en profondeur est nécessaire pour provoquer les changements souhaités dans le monde publicitaire en Haïti. Au-delà de sa simple fonction mercantile, d’attirer l’attention sur un produit/ service et conclure une vente, les professionnels de la publicité ont pour devoir de respecter les femmes et de leurs droits. Soit ! Mais, de tels droits ne prendront sens que par l’application d’action concrètes de l’État haïtien, pour éradiquer les inégalités multiples (éducation, santé, accès à l’emploi, participation politique, etc.) qui séparent les sexes en Haïti.


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