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Que peut la Franc-Maçonnerie pour Haïti ?

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A mon feu père Gilbert Jean-Baptiste, digne et respectable franc-maçon.

Introduction

L’histoire de la franc-maçonnerie dénote un fait : cette institution est assez souvent approchée, interrogée en référence à son pouvoir. Question étrange s’il en est, dans la mesure où, à part le fait attesté de sa valeur rhétorique, elle ne semble mener nulle part.

Pourtant, à tout bien considérer, elle ne revêt pas moins un enjeu fondamental qui renvoie inexorablement au bien-fondé de l’existence même de la sociabilité maçonnique à proprement parler. En effet, pour justifier sa raison d’être, celle-ci évoque assez régulièrement l’idée qu’elle travaille à rendre l’homme, et par voie de conséquence, la société, meilleurs. En faisant évoluer dans ce cas la perspective vers le terrain de la capabilité[1], il est possible de trouver à ladite question des ressorts fonctionnels insoupçonnés.

Au sens strict du terme, nous prenons fait et cause pour le fait que la franc-maçonnerie n’a pas spécifiquement un projet avoué de prendre le pouvoir dans les sociétés où elle s’établit pour changer les choses dans le sens de ses intérêts ou de sa vision politique du monde.

Tout au plus gagnerons-nous à avancer dans l’exercice en accordant foi au propos d’Henri Cavaillet[2] :

« {…} nous n’avons pas le droit de parler d’un ‘’pouvoir maçonnique ‘’. Il n’existe pas. Par contre, nous ne saurions nier ‘’une influence maçonnique’’ qui, elle, existe véritablement. Elle se situe au plan du seul profit de l’humanisme laïque, qui se caractérise par le respect de la dignité, de la responsabilité, de la solidarité et de la liberté de l’homme ».

Dans cet article, nous envisageons de montrer que la franc-maçonnerie haïtienne est souvent la proie de nombreuses critiques formulées par des observateurs, pour la plupart avisés, qui lui reprochent de ne pas impacter positivement la société.

Le pouvoir franc-maçon dans ce cas se conçoit comme la possibilité dont dispose cette institution, et qui se justifie par son influence, à l’évidence en lien avec les valeurs qu’elle promeut, d’entreprendre des actions en vue de contribuer à changer les choses. A cet égard, il devient urgent à nos yeux de visiter les bases qui soutiennent ces critiques. Par suite de quoi nous envisagerons des perspectives réjouissantes qui sont susceptibles de modifier avec bienveillance les regards antérieurs portés sur l’Ordre, contribuant en cela à jeter les bases d’une meilleure compréhension de son existence.

Autour de la question

Il est donc question ici de se demander: dans un pays en constant déséquilibre au terme de ses plus de deux cents ans d’existence, et particulièrement en proie aujourd’hui à des difficultés qui sont comme insurmontables au regard des perspectives susceptibles de faire du commun pour chacun et pour tous, à quoi peuvent s’occuper les fils noirs de la veuve haïtiens ?

L’histoire haïtienne fournit comme elle peut des éléments d’information qui renseignent sur les agissements qui sont à l’œuvre à la fois dans le contexte de l’établissement d’une franc-maçonnerie nationale [3](certains parleraient de l’indigénisation du fait maçonnique haïtien) et de son évolution au fil des ans.

Nous voudrions bien noter ici que la franc-maçonnerie a eu ses heures de gloire en Haïti, elle s’est révélée active à travers par exemple son combat pour la laïcité qui l’opposait au clergé concordataire, ses œuvres philantropiques en faveur de la promotion de l’excellence scolaire, ses actions symboliques lors du rétablissement de la souveraineté nationale occasionné par le départ de l’occupant en 1934, et nous en passons.

Cette même Maçonnerie en même temps n’est pas moins suspectée de complotisme[4] à un titre ou un autre dans l’assassinat de Dessalines, l’implication de ses acteurs dans le drame de Miragoâne, l’exécution de Salnave, le renversement de Boyer du pouvoir. Elle fait l’objet de critiques en raison de ses fréquentes allégeances au pouvoir, si bien qu’on parlerait sans tracas de « Maçonnerie d’Etat », sans oublier l’ouverture de ses portes à des gens de pouvoir peu recommandables…

Ce bref recours à l’histoire illustre à nos yeux à peu de frais l’idée que la Maçonnerie, comme pas plus qu’ailleurs, ne parle jamais d’une seule voix. Autant dire que l’influence maçonnique, si tant est qu’elle existe, n’est en aucun cas unitaire, aucune éthique n’est donc communément partagée entre les francs-maçons.

Globalement, la principale préoccupation qui est ici la nôtre tient du constat que dans l’opinion publique, voire chez certains francs-maçons, on a le sentiment que la « res masonica[5] » haïtienne ne contribue nullement au progrès de la société.

Le courage du désilencement

La franc-maçonnerie qui émerge en Haïti à partir de 1824 s’insère dans le complexe sociétal domingois établi via la colonisation et la mise en esclavage des peuples qui se voient pour le coup altérisés et dépourvus désormais de leurs droits à disposer d’eux-mêmes.

Perçue comme un élargissement de l’espace métropolitain, la sphère coloniale en vient à se transformer en unité commerciale, géopolitique, et intellectuelle d’absorption des réseaux atlantiques.  La Franc-Maçonnerie qui s’y établira[6] s’inscrit a priori de plein fouet dans la dynamique de construction des réseautages en conformité avec l’ordre établi. Le changement de cap qu’elle subit se fera notamment au prix des treize années de guerre révolutionnaires dans le contexte des luttes menées en faveur de l’émancipation des « esclavisés » et de l’accès à l’indépendance du pays.

Il s’ensuit que comme pour toutes les autres sphères de la société nouvellement naissante pour lesquelles 1804 inaugure une césure, la franc-maçonnerie est tenue de réajuster son œuvre. Si l’on excepte la pierre d’achoppement que constituent guère les deux décrets de Dessalines[7] à son encontre, c’est une institution dont tout pourrait laisser croire qu’elle est promise à un bel avenir et donc pérenne.

A l’image des nouvelles institutions, elle est elle aussi très vite rattrapée par une urgente question de l’heure : comment faire du nouveau à partir de l’ancien ?

La Maçonnerie haïtienne de 1824 sera on ne peut plus élitaire. Pour cause, elle enfilera, en guise d’éléments de langage, à l’égal des régimes politiques de la première moitié du XIX è siècle, la métaphore de la promotion d’une idée avantageuse d’Haïti. A ce compte, quand on lit avec intérêt le « Manifeste de la Grande Loge Provinciale d’Haïti », on a toutes les raisons de conclure, scrutant en ce sens la manière de la fabrication de son homme et de sa société meilleure, comme objectif poursuivi, qu’elle fait en réalité impasse sur la diversalité des êtres et des conditions qui sont à l’origine de l’effort de guerre qui aboutit à la geste fondatrice de 1804[8] :

« (…) La maçonnerie qui réveille en nous les sentiments de la plus pure humanité et qui a pour but la pratique de toutes les vertus, élevant l’homme au niveau de l’homme, établit aussi dans les symboliques mystères, des liens qui enlacent les membres de cette grande communauté pour les tenir à jamais unis ; et c ;est aussi sous les auspices de la concorde et de la fraternité que s’opèrent les rapprochements si doux et ces communications qui ont lieu entre les nations des contrées les plus éloignées de la terre, malgré la différence des langues, des dogmes et des opinions religieuses et politiques pour ne former qu’un peuple universel de frères ».

Ce n’est donc pas forcer les traits que d’arguer que le nouvel ordre maçonnique s’érige sur les fonts baptismaux néocoloniaux, à quelques nuances près. Etant hors de portée des contradictions qui agitent structurellement la société, elle évoluera pendant longtemps dans leur ignorance profonde. Seules l’ardeur et l’ouverture d’esprit de quelques adeptes, favorisés par des circonstances, viendront juguler cet état de choses délirant.

Pire, l’Ordre se fera fort d’entériner sans sourciller la plupart du temps les vues des obédiences et/ou regroupements maçonniques internationaux, souvent d’ailleurs sollicités aux fins de justifier les principes de régularité et de reconnaissance, gages de légitimité pour avoir droit de cité à l’échelle locale.

Le fait maçonnique haïtien aujourd’hui

Pas plus que par le passé, nous ne sommes pas plus renseignés aujourd’hui sur la franc-maçonnerie haïtienne[9]. Nous ne sommes par exemple pas en mesure dire combien y a-t-il de francs-maçons actifs au cours des dernières années, autant que nous ignorons le nombre d’obédiences maçonniques haïtiennes qui travaillent, selon le vœu de l’Ordre, à creuser des tombeaux aux vices et élever des temples à la vertu en Haïti et dans les orients d’outre-mer.

 Il n’empêche que nous avons le sentiment que tout se fait selon la volonté de quelques acteurs la plupart du temps animés de bonne et/ou de mauvaise intention. Il se crée ici et là, la plupart du temps, en dehors des normes en vigueur, des Ateliers symboliques pour la maçonnerie bleue, des chapitres pour les grades supérieurs du rite écossais, des Suprêmes Conseils et des Grands Conclaves. Il arrive fréquemment que, contre toute attente, particulièrement dans les régions, on tombe sur des loges maçonniques dans des endroits les plus improbables.

Par ailleurs, la franc-maçonnerie haïtienne préoccupe plus que jamais aujourd’hui au-delà de sa pérennisation. Abonnée absente dans les grands débats de société depuis quelques temps, elle se voit confinée pour l’essentiel à la tâche d’accueillir dans ses temples des profanes qui seront faits maçons pour des motifs trop souvent peu amènes nous semble-t-il.

Si tout porte à croire aujourd’hui que l’Ordre se diversifie assez intensément en y réservant une plus grande place à la maçonnerie des petites gens[10], à la maçonnerie des Dames, et que les coqs ne se battent plus ou de moins en moins, tout du caractère de l’époque actuelle l’indiffère[11].

Qui frappe à la porte du temple ?

En nous interrogeant sur les profils de profanes qui intéressent la franc-maçonnerie haïtienne, nous touchons là volontiers à un aspect essentiel des modalités de fonctionnement de cette institution. Une fois de plus malheureusement, nous ne pourrons que nous fier à des impressions.

Ce constat nous frappe à vue d’œil : l’Ordre maçonnique haïtien se renouvelle à travers les jeunes. Il nous semble même qu’on doit la vitalité à l’œuvre depuis des années dans les espaces dédiés au mysticisme et à la spiritualité à ce public dont les horizons de provenance sont variés.

Pourtant on ne dispose guère d’informations qui pourraient nous laisser penser après tout qu’il faut y voir un intérêt accru chez les nouvelles générations pour le mysticisme et les espaces de rencontre qui facilitent l’émergence individuelle.

Qui plus est, nous n’avons pas l’impression que, si les jeunes existent avec une forte présence dans les loges, ils désirent ardemment tordre le cou à des mauvaises habitudes. Dans la plupart des obédiences, très souvent, un groupe de Frères (et quelques Sœurs, quand elles y sont admises et en fonction des rapports qu’elles nouent avec ces Frères influents) s’occupent de tout au détriment des principes de gouvernance établis.

Dans ces conditions, les jeunes y sont toujours et d’entrée de jeu, comme dans d’autres espaces de pouvoir en Haïti, tenus d’ingurgiter par les aînés tous les astuces qui facilitent leur progression, sous peine de récrimination.

Sinon grosso modo, tout le monde y trouve sa place, souvent dans un seul et même Atelier. Tout y est : le croyant en Dieu qui s’obstine à croire que le Grand Architecte de l’Univers évoqué dans ces lieux en est la parfaite expression de sa présence, le néophyte épris de mysticisme, le simple curieux qui guette l’occasion de voir se produire des prestidigitations, l’intellectuel athée, croyant ou agnostique qui s’y tient pour avoir entendu parler du fait que là était sa demeure…

Que veulent faire tous ces gens, ces « cooptés de la vertu maçonnique » qui y entrent et qu’espère en faire en final de compte la franc-maçonnerie haïtienne ? Il est évident qu’à lui seul, le prestige social ne saurait justifier cette affluence que l’on observe à l’entrée du temple, de même que nous sommes tenus d’être dubitatifs sur les possibilités dont dispose l’Ordre, quand on y voit de plus près ce qui le travaille, et de ses réelles capacités à rendre l’homme meilleur qu’il ne l’était dans sa vie profane, selon la terminologie en vigueur.

Où sont les templiers [12]?

Comme plus d’uns le savent, ces propos sont ceux du président Nicolas Sarkozy lors de sa visite en Haïti peu de temps après le séisme dévastateur de janvier 2010. Ils n’ont pas tardé depuis à trouver un écho suffisamment retentissant parmi les francs-maçons haïtiens. En s’exprimant en ces termes, le président Sarkozy se met au diapason avec les cultes religieux et notamment les sectes ésotériques qui voient dans les templiers, partout où ils doivent se trouver, des bâtisseurs, et qu’à ce titre, ils se devraient de s’impliquer dans la (re) construction de leur pays.

Nous voici, via ce couvert, ce conduit, (ré) introduits dans le débat sur la capacité à faire de la franc-maçonnerie. D’une manière ou d’une autre, que peut faire la franc-maçonnerie si ce n’est, même si nous ne sommes guère renseignés sur les modalités de cette opération, réunir ce qui est épars ?

Il faut qu’on se le tienne pour dit : ces propos du Président français qui auront la fortune que l’on sait dans les milieux maçonniques haïtiens sont impropres et témoignent d’une remarquable méconnaissance de l’histoire. A notre avis, il aurait été plus approprié pour lui d’avoir à l’esprit que ceux qui ont sué sang et eau pour forger la nation haïtienne, et pour y maintenir du mieux qu’ils peuvent l’esprit de défense s’enracinent dans des traditions mystico-spirituelles et intellectuelles éloignées de ceux qui cherchaient à protéger les pèlerins et le temple à Jérusalem.

Force est tout de même de reconnaître après tout que si ces propos ont eu une résonnance particulière dans ces espaces réputés pour leur attachement à la cause de la veuve et de l’orphelin, c’est en tant que s’y trouve un degré capitulaire consacré au « Templarisme ».

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A quoi s’occupent-ils en fait ? Quelles sont leurs modes d’inscription dans l’espace public haïtien ? Enfin, quelle est leur contribution dans la sphère de la fabrication de l’homme nouveau haïtien ?

Peut-on autrement trouver des assises solides pour réunir ce qui est épars ?

Quiconque s’intéresse à la franc-maçonnerie haïtienne est convenu d’admettre qu’au cours de ses deux cents ans d’existence, elle a impacté le pays du mieux qu’elle peut sur les plans politique, mystico-spirituel, philosophico-intellectuel, philanthropique, etc.  Aujourd’hui encore, il faut mettre à l’actif de nombreuses loges le fait qu’elles cherchent à établir une communion entre l’homme haïtien et l’idéal maçonnique de vertu pour chacun et pour tous. Pourtant bien-pensante pour la plupart du temps, cette maçonnerie se retrouve pourtant engluée dans des contradictions qu’elle gagnerait à dépasser.

Les dynamiques de recherche en Maçonnologie au cours des dernières années font état du renouvellement infini des questionnements au sujet des fondements et de l’évolution de l’Ordre.

L’universalisme[13] que promouvait la franc-maçonnerie et qui s’inscrivait dans la tradition humaniste des Lumières est aujourd’hui battue en brèche. « Par-delà nature et culture », le concept d’homme, revisité à nouveaux frais, nous met depuis un certain temps maintenant en présence de la compréhension d’un processus d’effacement, mieux, d’oblitération d’un certain nombre de visions du monde et d’histoires qui est lui-même contraint de tourner court.

Le « Man not » noir haïtien qui s’engagera dans une lutte violente pour se défaire de ce qu’on a fait de lui se trouvera par ce fait d’emblée inséré anthropo-historiquement dans la mise en œuvre fragile et non lénifiante d’« un pas de côté »[14], pour reprendre un concept cher à la pensée du philosophe haïtien Edelyn Dorismond.

A ce stade, les échos des imaginaires qui le constituent et qui lui viennent par brassées portent d’eux-mêmes la promesse d’une reprise ou d’un commencement des travaux sur fond d’un humanisme de reconfiguration, tout au plus « égalibertaire »[15].

Dans ces conditions, la refonte ou l’élargissement des contenus que recèle l’idéal maçonnique sous nos tropiques devient une condition plus qu’essentielle de sa possibilité.

On le sait maintenant d’une évidence qui saute aux yeux, pour la première fois dans son existence, l’historiographie haïtienne est tenue de passer aux aveux. Actuellement, sous la poussée fulgurante de la philosophie et des sciences sociales haïtiennes, le tintamarre de tonalité épique des théories, concepts et objets qui ont longtemps rythmé la vie des idées en Haïti est en passe d’achever sa course.

En mettant à profit cette nouvelle manière de voir, la franc-maçonnerie pourrait y avoir une implication directe, en vue de contribuer à rendre intelligibles les labilités du vécu haïtien, en cherchant à mettre en place par exemple les loges de recherche qui font tant défaut dans le paysage où se pratique notre « Art Royal », et la création d’un Observatoire maçonnique haïtien.

Pareille démarche nous assurera de comprendre plein de choses : ce que pense la population de la franc-maçonnerie, ce que la franc-maçonnerie pense du vaudou, de la zombification, où se logent aujourd’hui chez nous les anti-maçons…

Il est possible que comme espace d’influence, la franc-maçonnerie haïtienne (voire les franc-maçonneries) œuvre à la réanimation de l’espace public haïtien et occupe avec d’autres structures le devant de la scène en agitant des débats de société tels : quelles sont les actions concrètes qu’il faut engager pour rouvrir les chantiers de la production locale, et en finir une fois pour toutes avec les importations alimentaires de l’Est ?

Que faut-il faire pour remettre au goût du jour le débat sur la laïcité dans un pays où les dérives actuelles du protestantisme confinent à la bêtise ? Enfin, comment travailler à la mise en commun des mémoires et des trajectoires existentielles, condition sine qua non de la quête haïtienne du politique ?

Par ailleurs, nous savons que depuis au moins l’entre-deux guerres, l’internationale maçonnique s’emploie à « changer la vie » dans le monde. Comme nous l’indique Alain Bauer[16], elle intervient à différents niveaux à l’échelle planétaire sur des tensions et crises de toutes sortes qui agitent les sociétés.

Nous croyons qu’à ce titre, notre franc-maçonnerie peut, face aux nouvelles dynamiques d’un monde aujourd’hui en constante accélération, aider à rouvrir avec plus de relief le dossier « Haïti » et chercher à lui faire trouver la place qui doit être la sienne dans le « Tout-Monde ».  En effet, elle ne peut ni ne doit rester indifférente à cette lancinante question : qu’est-ce qu’Haïti aujourd’hui ? Pour le dire autrement, au-delà des épistémologies crisologiques et transitologiques, qu’est-ce qui travaille aujourd’hui notamment, à l’externe, et à l’interne, ce pays, et que pouvons-« nous » par suite logique en conclure.

A travers les organismes maçonniques régionaux et internationaux tels l’AMI, la CMI, le CLIPASAS, etc., il est envisageable pour l’Ordre de chercher à rassembler autour de la question haïtienne, en sensibilisant notamment via des rencontres, des conférences et des activités scientifiques diverses.

A elle, et au-delà de la fascination et de la séduction, et au vu surtout des critiques, peut être lancée cette question légitime : à quand une tenue interobédientielle assortie d’un cahier de charges sur ce que veulent les francs-maçons pour leur pays, Haïti ?

Conclusion

Dans ce travail nous avons essayé de confronter la question « que peut la franc-maçonnerie pour Haïti ? » avec tout au moins quelques-uns des aspects essentiels qui reflètent le fonctionnement de l’Ordre dans notre pays. Nous considérons donc que si la franc-maçonnerie peut être saisie sous cet angle, c’est en raison de son objectif de changer l’homme haïtien en l’occurrence et la société dans laquelle il évolue.

Il en ressort que le constat est plus qu’alarmant et que pour changer cet état des choses, la franc-maçonnerie est tenue de rompre avec les fondements pris dans le colonial qui justifiaient ses origines. Elle est donc conviée à se mettre à l’écoute d’autres voies non moins essentielles qui n’expriment pas moins l’être-dans-le-monde haïtien.

Ralph Jean-Baptiste


[1] Depuis au moins 1979, Amartya Sen explore les fondements du concept de capabilité ou approche par les capabilités qu’il met en exergue dans ses derniers travaux. Pour en savoir plus, on peut donc consulter à souhait “Development as freedom”, Oxford university Press, 1999.

[2] Henri Cavaillet, “Existe t-il un pouvoir maçonnique?”, Humanisme 2023/3(No 340), pp 81-85.

[3] Gaétan Mentor, “Les fils noirs de la veuve. Histoire de la franc-maçonnerie haïtienne”, p 21, Imprimerie Le Natal, 2003.

[4] La thèse du complot maçonnique existe également dans l’historiographie maçonnique haïtienne. Voir Jacques de Cauna, “Haïti,l’éternelle révolution. Histoire de sa décolonisation(1789-1804)” , PRNG Editions, 2017.

[5] L’expression est de Céline Bryon-Portet

[6] Pour se faire une idée du contexte, deux textes parmi d’autres peuvent être consultés : 1- Pierre-Yves Baurepaire, “Fraternité universelle et pratiques discriminatoires dans la franc-maçonnerie des lumières”, Revue d’histoire Moderne et Contemporaine, 1997, 44-2, pp 195-212.

2- Marieke Polfiet, “Refuge et sociabilité politique: les franc-maçons domingois aux Etats-Unis au début du XIX è siècle”, in La Révolution française-Cahiers d’histoire de la Révolution française, 2019.

[7] Georges Corvington, “Port-au-Prince au cours des ans. La Métropole haïtienne du XIX è siècle, 1804-1888”, t 2, Port-au-Prince, Imprimerie Henri Deschamps, 1975, cite dans Lewis Ampidu Clorméus, “Quelques aspects des rapports entre la franc-maçonnerie et la sphère politique en Haïti au XIX è siècle”, Outre-Mers, 2015/1 (No 386-387), pp 183-204.

[8] Gaetan Mentor, ibid, p 210.

[9] Curieusement, aujourd’hui , une production universitaire commence à s’interesser à la franc-maçonnerie haïtienne. A part les récents articles du chercheur Lewis Ampidu Clorméus, on peut consulter ce travail réalisé récemment par Jephté Ruben: “Une quête incessante de sécurité spirituelle: les francs-maçons issus du protestantisme évangélique face à la sorcellerie en Haïti”, mémoire de licence, Faculté d’Ethnologie.

Nous tenons également à signaler qu’en ce mois de Juin 2024, W. Berline Lucdor a présenté son travail de mémoire autour du thème : “La domination masculine au sein de la franc-maçonnerie en Haïti” , Faculté d’Ethnologie.

[10] Nous considérons que la Grande Loge d’Ayiti de 1961(GLODA)  est le principal promoteur de cette conception de la franc-maçonnerie en Haïti, du moins pendant un certain temps. Pour aller plus loin, voir James Lamare, “Les chemins de de la frustration: radiographie d’une migration du déshonneur à Saint-Denis”, Trayectorias humanas trascontinentales, No 6, 2020.

[11] Clin d’œil à Fichte, Caractère de l’époque actuelle, Vrin, (réedition), 1990.

[12] Voir à ce sujet par exemple Henry-Claude Innocent, “La franc-maçonnerie haïtienne est-elle une institution inutile?” , Le Nouvelliste, 2014.

[13] Pour s’en tenir à ce seul exemple, on va dire que le texte d’Etienne Balibar est très inspirant à ce sujet : “L’introuvable humanité du sujet moderne”, L’HOMME, 2012/3-4(no 203-204), pp 19-50.

[14]  L’œuvre d’Edelyn Dorismond réfère quelques fois à ce concept qui traduit une distanciation critique et épistémologique avec les traditionnelles manières de voir qui ont pignon sur rue comme tentatives d’explication de ce que nous appelons la question haïtienne. A titre illustratif, nous renvoyons le lecteur à son livre “Le problème haïtien. Essai sur les racines de la colonialité de l’Etat haïtien”, Editions Etoile polaire, 2020.

[15] Etienne Balibar, “La proposition de l’égaliberté: Essais politiques 1989-2009”, PUF, 2010.

[16] Alain Bauer, “Relations internationales et franc-maçonnerie”, Revue internationale et stratégie, 2004/2 (no 54), pp 21-32. Il s’agit d’un entretien qu’il a réalisé avec Pascal Boniface.


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