Qui a tué Péguy Siméon ?
3 min readPar Juno Jean Baptiste
Twitter: @junopappost
Les images ont fait le tour des réseaux sociaux. Un jeune homme du haut d’un autobus est jeté au sol par un policier, comme on jette du fatras dans une poubelle. Un autre policier lui assène soudain des coups, sans répit, à l’aide d’un bâton de baseball. Une policière assiste à la scène et fait de gestes de la main, comme au cinéma. Le jeune homme, planqué au sol, l’air inanimé après toute cette maltraitance, est traîné au sol comme un rien, comme un vulgaire objet dont on n’a pas besoin. Il n’en fallait pas plus pour que l’on assiste à une vague d’indignation depuis la circulation de la vidéo amateur.
Tout cela s’est passé à Ouanaminthe, dans le Nord-est d’Haïti. Péguy Siméon, 31 ans, père de deux enfants, est mort peu de temps après dans un hôpital de la région. Il était fraîchement rapatrié chez lui par l’immigration dominicaine. Sans un sous en poche, il a voulu retrouver ses proches au Cap-Haïtien en s’agrippant sur le toit d’un autobus. Les occupants, des missionnaires, dit-on, apeurés peut-être, ont appelé la police. Un appel qui s’est révélé fatal pour le jeune haïtien dans son propre pays. Des policiers haïtiens qui se précipitent sur les lieux l’ont tué dans son propre pays, Haïti, terre de la liberté.
Il vivait depuis des années en République dominicaine. Comme d’autres, il a voulu rêver de l’autre côté de l’île parce qu’ici, dans cet enfer qu’est devenu Haïti depuis des décennies, on casse les rêves, on tue l’espoir, à dessein. Il faisait partie de cette horde d’oubliés dans leur propre pays qui régulièrement bravent tout pour franchir illégalement la frontière haïtiano-dominicaine, histoire de s’offrir un avenir. Ce qui a de plus contrastant dans ce drame est que le jeune homme aura survécu pendant des années chez nos voisins de l’Est pour enfin trouver la mort chez lui, en Haïti, là où il devrait être en sécurité, plus que partout ailleurs.
L’affaire Péguy Siméon ramène dans l’actualité haïtienne la mort de George Floyd survenue en Amérique durant l’automne 2020 qui a scandalisé toute la planète. Un afro-américain tué par un policier blanc qui lui a posé le genou sur la nuque pendant près de dix minutes dans un pays traversé par des préjugés raciaux séculaires et miné par un racisme antinoir pour le moins systémique. Pour Péguy Siméon, ce sont des policiers haïtiens qui l’ont tué, dans son pays, Haïti, la terre de Jean Jacques Dessalines et d’Anténor Firmin, la terre de la liberté par excellence, là où la force des questions d’égalité et de justice sociale a balayé en 1804 contre le vœu du monde occidental de l’époque toute l’hydre du colonialisme et toute la cathédrale du «Code Noir».
Quel combat n’avions-nous pas mené depuis qui a rendu possible une telle monstruosité (de policiers haïtiens qui assassinent dans une indifférence totale un jeune haïtien à la face du monde)? Qui a tué Péguy Siméon ? Les quatre policiers placés en isolement par l’Inspection générale de la police ? Celles et ceux qui laissent mourir ce pays à petit feu depuis tant d’années sans que cela ne les émeuve ? Les impossibilités haïtiennes de dessiner les contours d’un pays viable et de dissuader du coup les Haïtiennes et les Haïtiens, indémodables candidats à l’exil à tout prix ? Les impossibilités haïtiennes à s’occuper des Haïtiennes et des Haïtiens quand ces derniers sont rapatriés de force par les autorités dominicaines?
Aux États-Unis, il y aura un après Georges Floyd. En Haïti, il faudrait qu’il y ait également un après Péguy Siméon. Et cela passe forcément par des sanctions et réparations proportionnelles à l’acte barbare des flics incriminés…
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