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Beethova Obas, le lustre d’un diamant brut

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CP: Jean Bernard Sénat

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Par Rosny Ladouceur

Après une décennie de silence discographique, le chanteur-guitariste publie enfin un septième album moins sobre qu’empreint de légèreté mais dont les phrasés pèsent lourds dans toute la palette sonore étalée.

Les lèvres étirées dans un sourire éblouissant, le nez chaussé de lunettes, bien étriqué dans un smoking qu’on dirait taillé sur lui-même, les mains généreusement tendues, le visage rajeuni : Beethova Obas pose sur la pochette du disque « Bon bagay », sur fond d’un bleu. Le choix de la couleur n’est pas anodin : il semble, d’emblée, suggérer la tempérance, le caractère flegmatique de ce quinquagénaire né en mars 1964 à Port-au-Prince où il a fièrement raflé le prestigieux prix Découvertes RFI (1988) et le trophée du concours American Airlines la même année. Si l’on excepte les deux «best of» qui ornent sa succulente discographie, « Bon bagay » serait donc le septième album du natif d’Arcachon.

« The very best of Beethova Obas- 1988-2018 » couronnait ses trente ans de carrière, auréolée de tubes qui irriguaient les ondes des stations locales et antillaises : « Lage l’ », « Si », « Couleur café », « Nou pa moun »… Sorti officiellement mercredi 18 novembre, après un silence discographique de dix ans (« Futur », paru en 2010 est l’avant dernier), « Bon bagay » souligne la plénitude d’un talent hors du commun, la force tranquille, l’élégance d’un style, la sinuosité de phrasés frais, la douceur et le côté feutré et jazzy de ses mélodies couplées à des textes profonds, l’efficacité du jeu, la fluidité des morceaux où le chantre troubadour continue de traquer la mémoire de Manno Charlemagne et de Ti Paris, de boire au robinet de la musique brésilienne à petite lampée, de réinventer sans cesse son «CubhaBra».

Une leçon pleine de bonté et d’humanité

Quand on évoque Haïti dans la presse étrangère, vient à l’esprit tout un lot de clichés indignes de notre histoire de peuple : parler d’Haïti, c’est penser tout de suite au cataclysme et au choléra, c’est une île de bandits, un pays abonné aux émeutes et aux convulsions sociopolitiques, c’est la poubelle de l’aide humanitaire ratée, c’est « l’arrière-cour » de Bill Clinton, le « shithole » de Donald Trump que le touriste est régulièrement appelé à rayer de sa carte de visite. «Kou’ l pa bon, yo di se Ayisyen», nous sommes le «pito nou lèd», c’est-à-dire notre propre déni, notre propre acceptation du mépris, assumant notre propre effritement de valeurs, notre propre déchéance.

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Beethova Obas renverse alors la vapeur et crache sur les cordes «nylon» de sa guitare renversée son indignation. Ce disque est arrivé à temps, à un moment où l’être haïtien a besoin d’élever son âme, de réhabiliter son estime de soi, de croire en cette part d’humanité à offrir aux autres en dépit des montagnes de tracas. « Nou pa moun » est, rappelons-le, ce triste refrain  qui gicla du fin fond de sa gorge en 1994 sur le monumental opus « Si ».

Aujourd’hui, le slogan « Nou se bon bagay » recouvre une leçon pleine de bonté, une boulimie à prêcher la paix, une nécessité de rappeler qui nous sommes, une invitation à voir l’Haïtien et ce peuple valeureux à travers d’autres filtres.

À la fois sur le fil et très solide

Cet album signe son retour sur le marché du disque qui capitalise désormais sur les plateformes de streaming. Il lève le voile sur le même Beethova Obas, sur son militantisme affirmé dès le premier coffret « Le chant de liberté » (1990), son combat pour la survie et le bien-être de toute une nation étouffée par la misère et l’injustice. Le guitariste livre un disque aux accords égrenés dans la tendresse, un album de haute magnitude, « tissé de remises en question, frappé du sceau de la maturité, accouché dans la douleur. Du bon vin », témoigne Dominique Joseph Obas. Il peut couper ses nuits en deux à la recherche d’une note qui tombe pile. « Bon bagay est son diamant brut, fini », concède l’animateur guyanais Tano Brassé.

La session d’écoute virtuelle du 21 novembre dernier a convié quelques impayables compagnons de route (Haïtiens et antillais) à dire leur admiration intime pour Beethova Obas. Leurs entrailles vibrent à l’écoute de cet opus sculpté de mains de maître.

« C’est frais, jeune, inspiré, différent. L’enveloppe est douce, le contenu percutant ». La guitare de Fred Deshayes a frémi en écoutant le titre Eleman. Ce qui happe le plus le Guadeloupéen, c’est cette urgence à parler d’Haïti à chacun des disques de Beethova Obas.

David Fackeure ressent une musique à la fois sur le fil et très solide, un mélange de sensibilité crue et de vécu, de fragilité et de force ; Jean-Philippe Fanfant aimait la magie du studio et cette pureté mélodique qui en découle ; Davy Sicard se dit surpris par la chanson « Bio » aux phrasés habillés de rock par Jimmy Jean-Félix.

Vidéo Live de Beethova Obas à PAPJAZZ en 2018

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L’espace harmonique d’Obas, sa plume d’une rare élégance et surtout sa combattivité trainent une bouée d’émotions inexplicables chez Ralph Thamar. Pour le Martiniquais, Beethova est un « guerrier de premier rang, un noble de pure race qui force le respect pour ce peuple magistral qui a engendré toutes les musiques de la caraïbe, il est la voix créolophone » de la région. Toute l’essence des musiques de chez nous est là, dans cet album qui transpire élégance et tranquilité, confie Jocelyne Beroard.  

Une petite étincelle allumée

Pour Jean Winner Pascal, parolier dans l’âme, «Beethova continue de tailler des textes créoles pertinents pour des mélodies d’une déchirante douceur». Ralph Boncy, lui, salue « un disque important » cuisiné avec des condiments consistants dans la marmite, qui pèse de tout son poids dès les premiers accords grattés, qui rappelle à chaque fois que Beethova est le plus digne des héritiers de Manno Charlemagne.

« À chaque album, il offre le meilleur de lui. Il se renouvelle, s’égale, se surpasse à chaque fois. Bon bagay est son bijoux, son disque plein d’accomplissements ». Oui. Un album réussi, qui nous remet de nos humiliantes péripéties récoltées dans notre trajectoire de peuple, un disque qui va mourir aux oreilles de ceux qui croient en cette petite étincelle d’espérance que Beethova Obas allume en nous. Son message ? Levez bien haut la tête et le pouce, soyez fiers de vous et de votre histoire. Ne plus léchez les mêmes bottes qui piétinent votre dignité.

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Beethova Obas sera en concert samedi 5 décembre, à l’Institut Français en Haïti (Bois-Verna), à 18h00, dans le cadre des «Rencontres des musiques du monde».


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