Les omissions de Jovenel Moïse
3 min readPar Juno Jean Baptiste
Le président de la République a pris la parole vendredi soir. Ce n’était pas par une conférence de presse, encore moins par un point de presse, mais plutôt via une énième «adresse à la nation», l’exercice de prédilection de Jovenel Moïse depuis son accession au pouvoir parce que celui-ci, sans la présence de journalistes (d’éventuels contradicteurs), offre un boulevard à la manipulation politique, aux campagnes de charme et à la recherche d’une certaine rédemption.
Alors que ses opposants les plus farouches continuent de miser sur son départ le 7 février 2021 pour amorcer une nouvelle transition et, peut-être, les contours d’une «nouvelle République» comme ils ne cessent de le répéter sur toutes les tribunes, Jovenel Moïse a évoqué la nécessité de changer la constitution, de recourir à un référendum pour y arriver. «Il n’y aura pas d’élections sans l’adoption d’une nouvelle constitution», a-t-il dit, le ton apaisé.
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L’homme de la banane, qui a rallié le Palais national grâce au mensonge d’une bananeraie appelée illusoirement à replacer Haïti sur la carte de l’exportation de bananes vers d’autres continents, a indiqué être en «concertation depuis quelques temps avec des politiques de la vie nationale». Les échanges sont à «un niveau très avancé», a souligné Jovenel Moïse, appelant à en finir avec l’instabilité, laquelle sa gouvernance n’a fait qu’exacerber depuis 2017.
Il faut dire que depuis la prise de pouvoir de Jovenel Moïse, continuité amère du PHTK, Haïti a connu une succession de crises, de scandales. Les institutions sont à genoux. Le parlement est dysfonctionnel depuis janvier 2020. Il y a eu une multiplication de massacres dans divers quartiers populaires, dont le plus notoire est celui de la Saline dans lequel est impliqué de hauts fonctionnaires de l’administration PHTK (selon plusieurs rapports). Et, le comble, depuis peu, une fédération de gangs qui ne cache plus son allégeance au Palais national.
On ne parle même pas des scandales de corruption, de l’insécurité, passant de l’assassinat de bébés jusqu’à l’exécution d’un bâtonnier en fonction ou d’un étudiant dans la cour de sa faculté. Le pouvoir, qui dispose de grands médias traditionnels et médias en ligne à son service, excelle dans l’art de les faire passer au second degré, de dicter le ton à l’opinion publique, surtout quand l’opposition, minée par des contradictions historiques et ponctuelles, se révèle incapable d’offrir mieux que ce qu’elle offre depuis des années.
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Le climat sociopolitique est extrêmement délétère. Le président de la République en a peut-être bien ri quand il a formé tout seul son Conseil électoral provisoire. Maintenant que les jours avancent, que son CEP est devenu presque un élément encombrant dans l’équation politique actuelle, que «ses blancs» mettent la pression pour organiser les élections, Jovenel Moïse réalise que tout passage en force en politique est un cadeau empoisonné. Il se ramollit et semble jouer à l’apaisement, au dialogue.
«Les acteurs doivent s’entendre sur le meilleur moyen de changer la constitution», a plaidé le chef de l’État, comme une énième main tendue à l’opposition plurielle, aux différentes forces vives de la nation. Mais elle intervient à un moment où Jovenel Moïse ne peut plus continuer à avancer seul et en force, se sachant épié par la communauté internationale et autres bailleurs après avoir promis les élections. Il ne faut pas allumer un feu qu’on ne peut pas éteindre. En politique. Comme dans d’autres champs.
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