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Le président de la République était-il sur les lieux du crime ?

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Par Kervens Chérubin

Il y a dans chaque action que pose un homme, l’expression de ce qu’il croit cacher le mieux. Sur ce, je me préserve de toute autre affirmation, car ce que vous lisez là n’est que l’ébauche d’une idée qui se veut intelligible.

Je ne fais que joindre de bout en bout le tissu de conscience collective qui lui servira sans doute de parchemin, afin que chaque haïtien conséquent ait le courage d’y mettre les mots qui conviendront le mieux. Pour qu’enfin, le texte soit.

Nous avons adopté, il y a déjà des années, un nouveau mode d’organisation sociale et politique. Chaque ville, voire chaque quartier, a son propre président. Nous n’oserions pas, pour ainsi dire, nous vanter d’avoir réussi à instaurer le meilleur mode d’organisation ayant jamais existé, mais nous n’avons rien non plus à envier aux autres. Tout marche, semble-t-il, pour le bien de la République.

Mais il arrive que certains quartiers, par négligence du président y afférent, soient le théâtre d’une série de violences inimaginables, tels l’assassinat de plusieurs journalistes, le meurtre d’une mère et de son bébé, ou encore l’assassinat d’un important homme d’affaires, pour ne citer que ces crimes-là.

Mais tous les pays connaissent ces moments difficiles quel que soit leur mode d’organisation, n’est-ce pas? Pourquoi s’en prendre la tête? Il nous faut juste organiser les élections, puis tout rentrera dans l’ordre. Les acquis démocratiques doivent être à tout prix préservés.

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Cependant, vendredi dernier, tard la nuit, il y a eu un cas d’assassinat en particulier qui a retenu l’attention de toute la République.
C’est bizarre! D’habitude, ces homicides sont gérés sans trop de complications. Un simple constat du cadavre par un juge de paix, une déclaration des autorités compétentes pour rassurer le reste de la population, et quelques arrestations. Et puis bidibidi ba bidiboo «kite peyi m mache [laisse mon pays fonctionner, en français]».

Il paraît qu’il y a quelque chose d’inhabituel dans ce dossier. Tout le monde le sent, mais personne n’en dit mot. Il n’y a en effet, aucun doute, sur le fait que le citoyen assassiné était un enfant chéri du pays. Il y a consacré sa vie. ​«Je ne m’appartiens plus, j’appartiens au pays», aimait-il dire, dans ses cours à l’université comme dans les interviews à la radio ou sur les plateaux de de télévision de Port-au-Prince.

Il optait pour un changement total de la constitution. Et il en faisait le combat de toute une vie. Rien de trop particulier ! Si nous essayons de remonter l’histoire, beaucoup d’autres hommes et de femmes de son calibre ont été assassinés. Le système a toujours résisté. Ça ne pouvait donc pas être la clef de l’énigme. Il y a forcément un aspect de cette réalité qui m’échappe.

Je me suis alors mis à interroger les quelques passants que je trouvais dans mon sillage. Aucun d’entre eux n’a daigné répondre. «Poukisa w pa chache manje w bay djòl ou [Pourquoi vous ne cherchez pas quelque chose à manger, en français]», m’a lancé une vieille dame, en me toisant des yeux, l’air effrayée, comme si elle voulait m’épargner un malheur.

Ayant compris que le dossier était plus compliqué que je l’avais imaginé, j’ai décidé de rentrer au bercail. Mais à peine ai-je fait un pas qu’un vieil homme m’a appelé discrètement. Il m’a confié que ce dossier n’est pas comme les autres car le président du quartier était sur le lieu du crime. C’est pas possible, ai-je aussitôt répondu. Il a rétorqué, en me regardant avec dédain: «le président habite le lieu du crime mon garçon. De toute façon, c’est pas comme si il avait quelque chose à y voir».

Il faut croire qu’il existe vraiment des «quartiers assassins», comme pour paraphraser Honoré de Balzac. Et Pèlerin 5 en fait désormais partie.


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