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Ce que nous enseigne le rapport d’audit du fonds PetroCaribe

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Ce que nous enseigne le rapport d’audit du fonds PetroCaribe

Par Raphael Emmanuel

La publication de la troisième partie du rapport sur le gaspillage du fonds PetroCaribe marque sûrement l’accomplissement d’un travail d’enquête pour lequel la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) était mandatée par le Sénat de la République. Mais du point de vue de la CSCCA, ce n’est qu’une première étape de sa mission de contrôle sur l’utilisation de tous les fonds publics. Espèce d’institution hybride, la CSCCA, c’est d’abord une entité de contrôle administratif externe de l’Administration auditant automatiquement et annuellement toutes institutions publiques et même celles privées bénéficiant d’une subvention de l’Etat, quand elle n’est pas mandatée par le Parlement d’une enquête spécifique. Ce rapport clôt le travail de contrôle de l’Administration par la voie d’un organe administratif d’enquête au sein de la Cour, la Direction de l’apurement des comptes. Et, inexorablement, le travail de contrôle juridictionnel s’ouvre par la voie de la Chambre financière de la Cour.

Bien que les conclusions du rapport ne soient pas des délibérés d’arrêts, les révélations qui y sont produites mettent à nu des faits et pratiques de gestion d’une ampleur qui s’imposent à l’attention. Dans l’hypothèse de leur confirmation par la Chambre financière de la CSCCA, elles enseignent autant qu’elles renseignent sur la gestion publique de la décennie qui s’achève. C’est l’échec tant du système de contrôle interne à réformer que du contrôle externe parlementaire exercé avec trop de légèreté mais sauvé du désastre total par une CSCCA succombant sous son poids.

I. Le système de contrôle interne : un dispositif à réformer

Les dépenses publiques impliquent deux principaux personnages : un ordonnateur qui ordonne la dépense et un comptable public qui procède à son exécution. L’administration dispose de tout un système de contrôle à l’interne du processus de dépenses des fonds publics. Plusieurs entités, organes ou personnages de l’Administration sont encore préposés au contrôle de celle-ci constituant un dispositif interne censé rendre difficile les comportements préjudiciels aux finances publiques de l’un ou l’autre des acteurs de l’exécution budgétaire. Il s’agit des comptables publics, des contrôleurs financiers de la Direction du Budget et de la Commission Nationale des Marchés Publics, pour certaines dépenses. Comment toutes ces irrégularités pourraient-elles être possibles ?  

Les comptables publics

La grille de contrôle des ordonnancements de dépense mise à l’usage obligatoire du comptable public depuis l’arrêté du 16 février 2005 portant règlement de la comptabilité publique est en elle-même suffisante pour assurer la protection des fonds publics contre toutes manœuvres déloyales venant d’un ordonnateur ou d’un tiers à condition d’une application rigoureuse. Comptant avec le facteur humain, la loi prend un ensemble de mesures dissuasives : elle fait peser une hypothèque légale sur les biens de ces fonctionnaires jusqu’à la décharge de leur gestion ; elle leur impose un dépôt de garantie (mesure jamais appliquée par l’Etat).

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Le comptable est un maillon important dans la chaine de contrôle des dépenses publiques. Les responsabilités sont personnelles quand il y a irrespect des procédures de décaissement sauf en cas de « passer outre » du ministre des finances.  Pour ce qui concerne la validité de la créance des tiers sur l’État et les autres organismes publics, le contrôle des comptables publics en deniers et valeurs porte sur la justification du service fait, l’attestation fournie par l’ordonnateur ainsi que des pièces justificatives produites, l’exactitude des calculs de liquidation, l’intervention préalable des contrôles, autorisations, approbations, avis ou visas réglementaires, la production des justifications et, le cas échéant, du certificat de prise en charge à l’inventaire et, enfin, l’application des règles de prescription et de déchéance suivant l’article 26 de l’arrêté du 16 février 2005 portant règlement de la comptabilité publique. Ce contrôle du comptable public doit être fait en tout temps quel que soit l’ordonnateur de qui émane une ordonnance de dépense.  

L’ampleur des irrégularités dans les dépenses émanant du fonds PetroCaribe indexe d’abord la défaillance du contrôle des comptables publics impliqués dans ces décaissements de fonds. Il faut admettre, par ailleurs, que l’efficacité de ce premier filtre est dépendante d’une bonne protection statutaire des comptables publics par rapport à une autorité administrative suprême d’une institution qui en est également son ordonnateur. Ce qui donne à cet ordonnateur beaucoup de pouvoirs administratifs sur le comptable.

Les contrôleurs financiers

Pour parer aux cas de relâchement du système de contrôle du comptable public, le législateur établit une fermeture à double tour avec les contrôleurs financiers qui sont censés être un système parallèle de sureté qui s’actionne automatiquement et systématiquement. Les irrégularités témoignent d’un dysfonctionnement de ce contre-contrôle interne.

Les contrôleurs financiers sont des fonctionnaires publics qui sont moins bien connus du grand public (la population haïtienne). Ils exercent de grandes responsabilités. Ils sont néanmoins rarement dans le collimateur de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif. Pourtant, conformément à l’article 80 du décret 23 octobre 2013 fixant les règles fondamentales relatives à la nature, au contenu et à la procédure d’élaboration, de présentation et d’adoption des lois de finances, le système de contrôle des dépenses du ministère des finances fait d’un contrôleur financier celui qui doit valider tous les actes portant engagement de dépenses publiques, à l’exception des dépenses d’intelligence. Son rôle se trouve renforcé à l’article 81 du même décret stipulant que « tout ordonnancement ou délégation de crédit ne peut être présenté à la signature de l’ordonnateur qu’après avoir été soumis au visa préalable du contrôleur financier. Il est fait défense au comptable public de mettre en paiement  des ordonnancements non revêtus de ce visa».

Ces contrôleurs, par cette disposition, ont des comptes à rendre aux juges de la Cour des Comptes en raison du visa préalable que ces derniers doivent donner à tous les actes portant engagement de dépenses (art. 80 la loi du 4 mai 2016 remplaçant le décret du 16 février 2005 sur le processus d’élaboration et d’exécution des lois de finances). Ils ont l’obligation par l’article 81 de cette même loi de refuser leurs visas si les ordonnancements les paraissent entachés d’irrégularités. À cet effet, ils disposent du pouvoir d’exiger la communication de toutes les pièces justificatives des dépenses et du pouvoir d’enquête pour s’assurer de la sincérité des certifications de service fait.

Les contrôleurs financiers sont personnellement responsables du visa qu’ils apposent sur les actes de gestion portant engagement de dépenses ou délégation de crédit par devant la juridiction des comptes suivant les dispositions de l’article 101 de la loi du 4 mai 2016 cité ci-dessus. Par ailleurs, certaines dépenses, au regard de leur montant, appellent au contrôle de la Commission nationale des marchés publics (CNMP), avant même la mise en marche de ce contrôle doublé au niveau de la phase du décaissement.

La Commission nationale des marchés publics

La Commission Nationale des Marchés Publics est l’organe normatif de l’Administration Publique Nationale qui a pour mission d’assurer la régulation et le contrôle du système de passation des marchés publics et des conventions de concession d’ouvrage de service public, sans préjudice de l’exercice des pouvoirs généraux des autres organes de contrôle de l’Etat. Il arrive que le point de vue de cette Commission diffère de celui d’autres institutions comme la CSCCA en matière de contrôle du respect des procédures de passation des marchés publics. Il n’en demeure pas moins que ce double contrôle est rassurant. Il est d’autant plus intéressant que le constituant ne s’est pas contenté du contrôle interne que représente la CNMP, mais il a institué ce contrôle externe de la CSCCA. Alors, il ne faut pas perdre de vue que la CNMP est un organe techniquement déconcentré de la Primature, donc relevant hiérarchiquement de cette dernière.

Évidemment, ce n’est pas une raison de faire peser les mêmes soupçons que porte le Parquet en matière d’indépendance en termes de capacité à garder l’objectivité dans les conditions extrêmes de travail. Mais c’est légitime de se demander jusqu’où la CNMP peut garder son indépendance dans son travail de vigile vu le statut qu’elle a administrativement.

Cette commission a besoin d’un statut nouveau lui assurant une indépendance certaine par rapport aux entités administratives susceptibles de passer des marchés publics.  

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II. Le contrôle externe du Parlement trop léger et trop lourd pour la CSCCA

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Le système de contrôle externe mise sur la séparation entre l’organe d’action et l’organe ou les organes de contrôle. C’est en ce sens que le contrôle interne est contrebalancé par un système externe composé du Parlement et de la CSCCA, institution indépendante. Face à la faillite du système interne comment le système de contrôle externe a-t-il réagi ?

Le parlement

Le parlement a accusé pendant dix ans une certaine légèreté dans l’utilisation de son pouvoir de contrôle sur le gaspillage du fonds PetroCaribe.

Le Parlement est non seulement un pouvoir de contrôle de l’Exécutif, mais aussi et surtout de toute l’Administration publique. Le pouvoir de commanditer des enquêtes ciblées est mis à sa disposition par la Constitution. Mais la charte fondamentale a jugé bon de mettre une autre couche à ce pouvoir de contrôle de l’exécution budgétaire en rendant obligatoire la production d’un rapport dit loi de règlement et en instituant une périodicité pour ce faire. Le pouvoir de sanction du Parlement sur l’Administration réside, entre autres, dans le vote de la loi de règlement qu’il a l’obligation de réaliser. La loi de règlement est une loi bien spéciale dans laquelle le ministre des finances rend comptes au Parlement de l’Exécution de la loi de finance de l’exercice écoulé (article 54 de la loi du 4 mai 2016). Elle constate les résultats définitifs d’exécution de la loi des finances d’un exercice clôturé et leur conformité aux autorisations données par le Parlement à travers le vote de la loi de finances initiale et les lois de finances rectificatives (article 9 de la loi du 4 mai 2016). Le projet de loi de règlement est déposé au Parlement le deuxième lundi du mois de juin.

Il convient de noter qu’aux termes de l’article 56 de la loi du 4 mai 2016, le projet de loi de règlement doit être accompagné du rapport de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif sur l’exécution de la loi des finances, de son avis sur les rapports annuels de performances des responsables de programme et de son avis de conformité entre les comptes des ordonnateurs et ceux des comptables publics. En raison de ces documents de contrôle produits par la CSCCA accompagnant le projet de loi de règlement, il va s’en dire que le vote favorable du Parlement à l’égard de la loi de règlement vaut décharge pour le gouvernement, car aucune décision future du Parlement en matière de jugement des comptes des ministres ne pourra aller dans le sens contraire à cette loi.

Aucune loi de règlement n’a jamais été votée. Dans un premier temps la faute est à l’Exécutif qui détient l’initiative de cette loi. Mais le Parlement de son coté détient des moyens de pression jamais utilisés sur un exécutif rétif à préparer la loi de règlement dont le refus de voter le budget.

La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif

Dans les limites de ses moyens et de ses pouvoirs, la CSCCA a sauvé le système global de contrôle de l’Administration d’un échec total.

La publication des rapports a été l’occasion pour beaucoup de découvrir le potentiel utilitaire de la Cour dans notre démocratie comme organe de contrôle des dépenses publiques. D’autres, cependant, en ont vu un rapport de rattrapage d’une Cour tardive à actionner son système de contrôle. Toute action administrative a un aspect juridique, abstrait, et un aspect matériel, concret. Ce qui est objectif de dire, c’est que le contrôle a priori des contrats publics par la Cour n’est qu’un contrôle de la légalité de l’acte contractuel. Lorsqu’à la suite de la passation régulière d’un contrat, des travaux sont attendus au bout d’un certain temps. La Cour revient a posteriori pour contrôle la conformité des œuvres avec ce qui était prévu. À ce niveau, la Cour se doit d’auditer toutes les institutions publiques du pays, annuellement ou de façon inopinée.

L’audit de toutes les institutions publiques et celles privées bénéficiant des subventions publiques demande d’avoir une Direction de l’Apurement des comptes au sein de la Cour dans les dimensions de l’énormité de cette tache qu’il faut répéter annuellement. Mais une réforme de la Cour allant dans le sens de l’augmentation du nombre de juges ou de niveau de juridiction est absolument nécessaire. Cela passera nécessairement par un amendement ou une réforme de la Constitution.

En plus de ce contrôle individualisé, la Cour doit préparer, en termes d’obligations propres, un rapport annuel global sur l’efficacité des dépenses publiques. Une autre tâche qui lui incombe en matière de contrôle général des dépenses publiques. C’est le rapport qu’elle a à présenter au Parlement lorsque ce dernier est saisi de la loi de règlement.

L’analyse de la ponctualité de la Cour dans ses contrôles devra se faire sur ces éléments. Le bilan de la Cour en matière de contrôle individualisé des institutions doit être vu non pas comme le niveau optimum d’efficacité de cette instance de contrôle, mais le rendement maximal des moyens dont les juges disposent pour le contrôle a priori et a posteriori de toutes les institutions publiques, en plus d’autres taches auxquelles ils ne sauraient se dérober. Par contre, la ponctualité de la Cour dans la réalisation du rapport annuel sur l’efficacité des dépenses publiques la décharge d’un grand pan de responsabilité : depuis 2014, ce rapport a régulière été préparé et communiqué aux pouvoirs concernés, notamment le Parlement. Jamais saisi de la loi de règlement qui est de l’initiative exclusive de l’Exécutif, le Parlement attend encore de faire l’expérience du vote de cette loi privant la Cour d’une autre occasion de faire un contrôle administratif sur une série d’ordonnateurs qu’elle ne peut pas juger.


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