Assassinat d’une fillette : entre silence et cris d’impuissance
4 min readPar Bota Wany Joseph
La mort d’une fillette de 14 ans assassinée pour un rien au Cap-Haïtien n’a pas ému grand monde, ni les associations féministes les plus influentes, ni les autorités de l’IBESR. Un énième cas classique d’impunité semble se profiler à l’horizon.
Elle était une de ces filles sans histoire qui peuplent nos rues, nos quartiers. Elle tenait comme moyen de survie une corbeille de surettes. Parfois, pour mieux joindre les deux bouts, pour ne pas mourir de faim, elle s’essayait à épousseter les voitures qui sillonnent le boulevard du Cap-Haïtien, dans l’espoir de quelques gourdes. Elle était invisible. Avant qu’un agent de sécurité à la gâchette facile ne lui loge une balle en plein estomac et que son nom ne soit enfin connu : Mamoune Régis.
Cela s’est produit le 18 juin dernier, aux environs de quatre heures de l’après-midi, en face de Cap Deli, un restaurant huppé du bord de mer de la Cité Christophienne. Un témoin raconte : « Mamoune a voulu essuyer la voiture d’un « boss ». Celui-ci lui a dit de l’attendre un peu pour une petite gratification. Mamoune s’arrête devant le restaurant, en attente de la matérialisation de cette promesse de quelques sous. L’agent de sécurité (Lions Sécurité) lui gueule dessus, l’enjoignant de se déplacer. Mamoune de lui demander : ‘’pourquoi tu me gueules dessus ? Te prends-tu pour un chef ?’’ Alors, rouge de colère, l’agent de sécurité, sans hésiter, dégaine son arme et tire à bout portant. Mamoune n’en sortira pas vivant. Elle rendit l’âme ! Pour un rien …»
Et depuis, plus rien. Certes les photos de la fille ont largement été relayées sur les réseaux sociaux. Certains internautes ont même apostrophé les associations féministes de Port-au-Prince du fait de leur silence pesant. L’agent de sécurité a, le même jour, pris la fuite. Le restaurant dont il tenait la garde a publié une note de presse. « La direction du restaurant Cap Deli a le vif regret d’informer qu’un incident grave s’est produit cet après-midi devant son local au cours duquel un agent de sécurité a lâchement assassiné une fillette dans des circonstances tragiques », pouvait-on y lire.
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« Le restaurant a fermé boutique pendant deux jours avant de s’empresser de rouvrir », déplore la militante des droits des femmes et des filles dans le Nord, Elvire Eugene, qui dirige une association d’envergure (AFASDA). « On ne sait pas comment avancer. On ne peut même pas nous assurer d’un suivi judiciaire, les tribunaux étant en grève », soupire-t-elle, impuissante, soulignant ne pas savoir, dans les moindres détails, ce qui se fait autour du dossier.
À l’autre bout du téléphone, la défenseure des droits humains semble révoltée par la tournure du dossier et du peu d’intérêt qui y est accordé, comme ce fut le cas pour les enfants tués lors d’un incendie dans un orphelinat à Fermathe (Kenscoff). « Mamoune est victime du système d’apartheid bien établi dans notre pays », crache Elvire Eugene, offusquée du fait que Cap Deli ait rouvert ses portes sans davantage d’explication, comme si de rien n’était.
La responsable de l’AFASDA s’étrangle face à la banalisation de la vie dans le département du Nord (il faut dire que la situation n’est pas différente dans l’Ouest et dans d’autres pans entiers du territoire, NDLR). « Pour l’instant, il y a des rumeurs d’une éventuelle entente entre la famille de Mamoune et le restaurant. Voilà pourquoi notre association cherche à trouver la maman de Mamoune qu’on disait être une SDF », explique Elvire Eugene, rappelant, au passage, qu’une dame de 60 ans s’est fait décapiter hier dans sa boutique par deux malfrats à l’Acul du Nord, comme pour illustrer la nouvelle propension au crime de sang dans un département du Nord jadis réputé pour sa paisibilité.
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Pour sa part, une responsable de Cap Deli, jointe au téléphone par Port-au-Prince Post mardi après-midi, a déploré le drame tout en précisant que la responsabilité pénale est personnelle. Elle soutient que si elle devrait faire faire un autre commentaire, ce serait par l’entremise de son avocat. Et d’ajouter: «La compagnie de sécurité est déjà entrée en contact avec la famille de la victime pour les suites nécessaires.»
Pour que ce drame ne soit pas rapidement enseveli dans l’oubli collectif, l’AFASDA compte organiser un sit-in sous peu. Mais un autre sit-in est déjà prévu vendredi devant le parquet du Cap-Haitien, à l’initiative d’autres citoyens, indique à Port-au-Prince Post Kendel Laurent, un jeune Capois qui connaissait la fille et qui se bat pour que justice soit rendue à sa famille. On a essayé en vain de contacter les responsables de l’IBESR. Dans une République où les faibles ne comptent pas, cet élan de solidarité risque de s’estomper l’espace d’un cillement, Mamoune ayant été malheureusement une invisible.
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