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Du «peyi lòk» au coronavirus, le calvaire des artistes haïtiens

4 min read

Pappost et Jackpost

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Par Dashka Louis

Le monde du “showbiz” est en agonie depuis des mois. Les artistes, les groupes musicaux et les opérateurs culturels en font durement les frais. Pis, le bout du tunnel semble lointain.

L’idée a paru iconoclaste : un bal en direct (live), virtuel, sans un public réuni dans un seul et même espace, sans des verres qui trinquent, sans des gens qui dansent. Carel Pèdre, en lançant l’initiative et en l’ayant réussi, vient de montrer la voie à beaucoup de groupes musicaux, beaucoup d’opérateurs culturels et d’organisateurs de spectacles sur la nécessité de se réinventer en ces temps de distanciation sociale. Il a fallu être inventif.

Le bal a rassemblé des milliers de gens sur les réseaux sociaux. L’événement fut relativement un succès: lever des fonds pour une cause juste et amuser des mélomanes qui en avaient grandement besoin. Un régal pour des milliers d’internautes. Ce fut aussi un moment de partage de bonnes sensations pour des musiciens dont le talent est mis en veilleuse depuis l’épisode de «peyi lòk» jusqu’à ces temps de pandémie de coronavirus.

Une période d’inactivités qui dure

Depuis presque deux ans, tout tourne au ralenti dans le monde du “showbiz” en Haïti, un pays régulièrement en proie à des troubles sociopolitiques. Mais la situation a empiré à l’automne 2019. «Nous sommes obligés de gruger une bonne partie de note épargne. Ce qu’on avait su gagner et épargner pendant des années», confie Shabba, de son vrai nom, Jean Hervé Anténor.

Via Instagram/Shabba_ekip

Pas de vie nocturne, pas de spectacles. Les épisodes de «peyi lòk» ont asséné un coup terrible au secteur culturel. Le coronavirus, le confinement qu’il entraîne, le coup de grâce. Mais Shabba, nanti d’une longue carrière de plus de 20 ans, transfuge de Djakout #1 et désormais fondateur d’”Ekip”, ne s’apitoie guère sur son sort. Il croit que la situation est «beaucoup plus dure pour les jeunes artistes, pour les groupes “rap”, “rasin” qui vivent essentiellement du carnaval», annulé deux années d’affilée.

Un «calvaire pour des artistes»

Du «peyi lòk» au confinement, les conséquences sont désastreuses pour le secteur. «C’est un calvaire pour des artistes sans des gens pour les supporter, surtout ceux qui n’ont pas eu le temps de gagner suffisamment», poursuit Shabba, appelant ses pairs à ne pas résumer leur vie à l’achat d’un pantalon, d’une belle voiture.«Il faut apprendre à épargner», soutient Shabba.

Via Instagram/Manno Beats

«C’est extrêmement compliqué. Il faut avoir du courage pour vivre en Haïti», balance Manno Beats. La jeune star, qui a fait flotter le bicolore en Afrique l’hiver dernier, affirme vivre grâce à ses petites économies et aux dividendes générées par ses musiques sur les plateformes de streaming.

Via Instagram/Papa Roodensley

«Je suis en train de vivre avec ce dont je dispose», confie Roody Roodboy, rappelant qu’il n’était pas heureusement du genre à gaspiller ses avoirs. Roody espère, comme d’autres, la reprise des activités de toute sorte dans un monde qui se bat depuis des mois pour sortir du joug du Covid-19.

Un secteur malade

Pas besoin de lunettes pour constater l’état grabataire du secteur culturel. Harry Luc, président de “Handzup Group”, co-organisateur de «Quarantaine live session», opérateur culturel  de renom, en est conscient. «Après un mois de confinement, sans épargne, un artiste est peut-être en train de se battre contre  la faim. Il peut ne pas vouloir le dire, mais il vit difficilement», dit-il, brossant un tableau pour le moins sombre du monde du “showbiz”.

Via Instagram/Harry Luc

«Un artiste est obligé de vivre avec ce qu’il a épargné. L’argent gagné à partir du streaming par exemple. C’est un secteur qui est à genoux et qui va prendre beaucoup de temps pour se relever», indique Carel Pèdre, joint au téléphone par Port-au-Prince Post, soulignant que ce qui se «fait virtuellement peut être un palliatif à cette hémorragie».

Bientôt des bals virtuels à n’en plus finir ?

L’animateur de Chokarella voit dans ce malheur qui s’abat sur le secteur culturel une opportunité d’explorer à fond l’idée d’organiser des bals virtuels. «Plusieurs formats qui peuvent être utilisés virtuellement sont à encourager», affirme Carel Pèdre qui n’a pas fait l’économie de souligner, comme Harry Luc avant lui, la situation très difficile du secteur qui date, selon lui, «de deux ans». C’est-à-dire, pour cet influenceur des réseaux sociaux, le problème va au-delà du confinement et des épisodes de «peyi lòk».

Via Instagram/Carel Pedre

«Un format où les internautes paient pour avoir accès au contenu et un autre où ils donnent de l’argent volontairement», détaille le natif de Port-de-Paix sur les nouvelles approches à passer en revue. Les groupes musicaux vont être obligés de s’adapter, renforce Carel Pèdre, estimant que la crise d’après le confinement sera terrible pour le secteur culturel, entre autres.


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