Démasquer le faux dans l’info sur les réseaux sociaux à l’ère du coronavirus
7 min readPar Jonel DILHOMME
Enseignant-chercheur UEH/FDSE
L’Internet a eu trente et un ans le 12 mars 2020. Le réseau devait être un creuset où se rencontreraient les savoirs, les cultures et les individus… Il a en partie réussi puisqu’il est devenu le lieu de référence principal pour obtenir des informations. Toutefois, certains ont quelque peu empoisonné l’eau du puits en y lâchant des infox/intox. Au début conçus pour faire rire le public, certains leur ont trouvé d’autres utilisations comme celle de promouvoir leur cause et de dénigrer le camp adverse.
Dans son essai écrit originellement dans le journal Raritan en 1986, intitulé: ”De l’art de dire des conneries” (titre original : On bullshit) republié dans un volume distinct en 2005 sous le titre ”On Bullshit” , le philosophe américain Harry Frankfurt, avait défini une théorie de la connerie. Son étude montre que les catégories de mensonge et de vérité n’ont que peu de pertinence pour ceux qui pratiquent le bullshit, traduit en français par « foutaise », « baratin » ou « conneries », au pluriel. « Les conneries sont un ennemi plus grand de la vérité que ne le sont les mensonges. » (en anglais : bullshit is a greater enemy of the truth than lies are.).
L’extraction du bon grain de l’ivraie
L’essence de la vérité est débattue depuis que l’humain est «sapiens». Ingrédient essentiel de la confiance et de la cohérence; lorsqu’on identifie quelque chose, on s’attend à ce que ce soit exact : ceci est une oeuvre originale, ceci est une copie, ceci est ce qui s’est passé, ceci est de l’imagination. La capacité de discernement est une des caractéristiques de l’intelligence et ceux qui cherchent à la tromper nous mènent à des bêtises.
Parmi toutes les définitions de la vérité, les plus utilisables sont purement objectives : la vérité est le lieu exact, le moment exact, la séquence exacte, la direction exacte… Quant à la vérité d’une opinion ou d’une création, comme on utilise généralement des matériaux existants, que ce soit des idées ou des éléments physiques, le caractère »vrai» dépend aussi de l’attribution correcte des éléments assemblés. Le point commun caractérisant les infox, fausses nouvelles, «fake news» est que les références sont absentes, bidons ou invérifiables.
Comme le décrit Frédéric Duriez formateur en e-learning, les propagateurs d’infox ne se soucient pas de vérité mais du volume des effets qu’ils provoquent, ce qui leur sert de caution, sans se soucier des conséquences, le tout dans une forme d’inconscience d’«après moi le déluge», propre aux idéologies nihilistes, celles dont l’aboutissement emporte les participants et leur entourage.
D’un autre coté, par les seules traces de nos activités, il est maintenant possible de nous identifier et de nous situer précisément, tant physiquement que socialement. De là à nous caser et à décider pour nous, il n’y a qu’un pas. Mais nous ne sommes pas nos traces, heureusement !
Des pistes pour mieux appréhender ce qu’est une fausse nouvelle
Une fausse nouvelle est une information volontairement erronée publiée sur un site Internet ( ou sur toute autre plateforme numérique) avec l’intention d’amuser ou d’induire en erreur les lecteurs. Nous pouvons classer les fausses nouvelles en deux catégories. Selon la catégorie, la propagation de fausses nouvelles peut-être plus ou moins néfaste.
Les sites parodiques
Les sites parodiques ont fleuri sur la toile avec un succès non démenti. Il arrive que des personnalités ou des organes de presse se basent sur ces sites parodiques pour faire des déclarations publiques ou publier de nouveaux articles. Cela amène donc à être très critique des sources secondaires qui ne citent pas les sources primaires.
Des fausses nouvelles pour qui ?
La nouveauté et les réactions émotionnelles des internautes sont les principaux vecteurs de propagations des fausses nouvelles selon Soroush Vosoughi, Deb Roy, et Sinan Aral du MIT qui ont publié en 2017 une étude intitulée “La diffusion des vraies et fausses information en ligne”. Ils ont eu en accès à un ensemble de données sur sur Twitter de 2006 à 2017. Les données comprennent 126 000 rumeurs diffusées par, approximativement, trois millions de personnes. Ils ont dénombré 4,5 millions de tweets.
Pour déterminer quelles nouvelles étaient fausses et lesquelles étaient vraies, les chercheurs ont fait appel à six organismes indépendants. Voici les différents constats : Si l’on tient compte de nombreux facteurs, les fausses nouvelles étaient 70 % plus susceptibles d’être retweetées que la vérité.
Les fausses nouvelles ont touché plus de gens que la vérité. Leur diffusion a été plus rapide, plus profonde et plus large et ce pour toutes les catégories d’information. À l’ère du Coronavirus (Covid-19), les fausses nouvelles vont à la vitesse de la lumière, sur les réseaux sociaux notamment … Un effet “nouveauté” a aussi été constaté : il y a plus de fausses nouvelles récentes que de vraies. Cela donne à penser que les gens étaient plus enclins à partager des renseignements nouveaux. Alors que les fausses nouvelles inspirent la peur, le dégoût et la surprise, les histoires vraies inspirent plus la tristesse, la joie et la confiance.
Fait important, contrairement à la croyance populaire, les robots ont accéléré la propagation des nouvelles vraies et fausses au même rythme. Leur rôle est donc neutre, ce qui implique que les fausses nouvelles se propagent plus que la vérité à cause des humains. Il apparait donc que c’est le manque de rationalité des internautes qui génère la propagation de fausses nouvelles
La critique des sources
Une approche rationnelle serait de prendre le temps de l’analyse avant le partage. Le point essentiel avant de partager un contenu sur les réseaux sociaux est d’avoir un regard critique sur la source. Les sources sont généralement divisées en deux catégories : les sources primaires et les sources secondaires. Déterminer le type de sources, le niveau de crédibilité et de fiabilité de ces sources est essentiel.
Les sources primaires sont celles produites par un participant ou un observateur lors d’un événement. Les sources primaires comprennent : les lettres, les journaux intimes, les notes de service, les journaux, les mémoires, les photographies, les vidéos. En ce qui concerne les sources secondaires elles sont produites lorsqu’un auteur utilise des sources primaires pour écrire sur un sujet.
Comment évaluer la pertinence des sources ?
Pour évaluer les sources primaires, vous pouvez appliquer la règle des 5 W et 1 H (en anglais Who, When, Why, What, Where et How). Posez-vous les questions commençants par les mots interrogatifs afin qu’elles agissent comme filtre : Qui, Quand, Pourquoi, Quel ou quoi, Où, Comment? Répondre aux questions suivantes permet de reconnaître une source fiable ou à contrario de douter de sa légitimité.
Qui a écrit le texte ?
L’auteur est-il connu ? Le texte a-t-il été posté anonymement ? Si l’auteur est un scientifique réputé maitrisant le sujet, c’est un gage de légitimité. À contrario, si la source est anonyme ou si l’auteur est inconnu, il faudra être doublement attentif à la validité du texte.
Quand le texte a-t-il été écrit ?
Régulièrement de vieux articles sont repartagés sur les réseaux sociaux. Des personnes repartagent sans regarder la date et se font prendre par leur crédulité.
Pourquoi l’auteur aurait-il pu écrire le texte ?
Dans quelle mesure l’auteur a-t-il un intérêt à écrire le texte ou subit-il une influence ? Les exemples de personnalités politiques d’extrême droite qui partagent des contenus tendancieux sont nombreux. Soyez aussi attentifs au fait que des personnes, même scientifiques reconnus, peuvent avoir un intérêt à écrire certaines vérités plutôt que d’autres à cause d’intérêts personnels.
Quelles sont les sources primaires ?
Si le texte fait mention de sources primaires, lisez les notes en bas de page ou les liens hypertextes ! Lorsque vous tombez sur un passage particulièrement intéressant ou controversé, regardez ce qui est cité: ont-elles été utilisés efficacement ? ces sources sont-elles crédibles ou fiables ? comment l’utilisation des sources influence-t-elle les types d’arguments avancés ? quelles autres sources auraient pu être utilisées ? quelle partie du texte peut être sujette à caution ? Une technique manipulatoire est d’inclure des éléments faux parmi un argumentaire étayé par de nombreuses sources primaires tout à fait légitime. Le lecteur sera porté à croire l’entièreté du texte y compris les passages fallacieux.
Quelle est la thèse de l’auteur ? Quelle est la stratégie de l’auteur pour atteindre un objectif particulier ?
L’auteur peut rédiger un texte purement informatif ou un texte visant à démontrer une thèse. Dans ce dernier cas, comment s’y prend-il pour convaincre le lecteur ?
Où le texte a-t-il été posté ?
L’auteur a-t-il écrit sur un blog personnel, sur un site à contenus de plusieurs auteurs ou encore sur le site d’une université. Il est évident que de ces trois plateformes, la troisième est celle qui donne le plus de légitimité à la source.
Comment le texte diffère-t-il d’autres sources reconnues ? Quelles sont les similitudes majeures ? Quelles sont les différences majeures qui s’y manifestent ?
La sagesse de l’expérience
Le dicton dit qu’il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Avant de partager ou de repartager un contenu sur les réseaux sociaux la prudence est de mise. Ce n’est pas un geste toujours anodin !
En définitive, quand les fausses nouvelles auront des lecteurs exigeants, clairvoyants, de surcroît, dotés d’un esprit cartésien. Peut-être, leurs rédacteurs/radoteurs cesseront d’être des producteurs industriels de la désinformation.
Le chemin sera long et même très long.
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