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Les blindés de la PNH ou un scandale de corruption de trop ?

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Image: N/A

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Par Juno Jean Baptiste
Twitter: junopappost

Les photos avaient fait le tour des réseaux sociaux: des blindés mutilés, certains les pneus crevés, d’autres les carrosseries trouées de balles, dans la foulée d’une opération policière piteusement torpillée au Village de Dieu, quartier populeux contrôlé par des gangs tout-puissants qui rendent la vie amère sur la nationale 2 (entrée sud de Port-au-Prince) et mettent l’État en déroute depuis des mois.

Ce jour-là, les autorités ont voulu montrer les muscles, reprendre le contrôle du quartier. Mais l’exercice a tourné court. Les policiers ont été pourchassés, beaucoup de blindés remorqués. Les armes des bandits se sont révélées plus robustes que ces engins flambant neufs fraîchement achetés de l’Europe qui, quelques jours auparavant, avaient fait l’objet d’une campagne agressive de publicité orchestrée par le Palais national.

Un énième cas de surfacturation?

L’État haïtien s’est-il fait arnaquer? Le contrat a-t-il respecté la loi sur la passation des marchés publics ? Qui a commandé ces blindés? La Police nationale ou le Palais national, le même qui jubilait de pouvoir passer outre des procédures de passation des marchés publics par un décret pris le lendemain du dysfonctionnement du Parlement? L’achat des blindés constitue-t-il un vaste scandale de corruption de plus au préjudice de l’État, comme l’affaire Dermalog?

Si les photos ont fait sourire sur la Toile, les procédures d’acquisition des blindés projettent l’image d’un État encore prisonnier de ses démons (la corruption, le népotisme, le clientélisme…), incapable de faire de la loi sa boussole. Selon le rapport de l’ancien président du Sénat Youri Latortue, le premier à avoir enquêté sur l’affaire PetrocCaribe, les «véhicules décrits par le fabriquant dans les cotations ne sont pas les véhicules livrés et reçus».

Il y aurait eu «surfacturation», selon Latortue. «Les prix des véhicules, incluant les documents d’exportation, s’élèvent à 144 331 dollars américains par véhicule, soit 2,164,966.5 de dollars avec spécificités de blindage B6. Les véhicules reçus, avec vitres blindés type B4, devraient coûter en moyenne 102 0000 dollars chacun, soit une différence d’environ 41 000 dollars par véhicule et de 615 000 sur l’achat total», écrit Youri Latortue, dans son rapport de 30 pages.

Un conseiller du président de la République impliqué

Toujours selon le rapport du président de la commission Éthique et Anticorruption du Sénat (Sénat rendu dysfonctionnel par un simple tweet de Jovenel Moïse le 2e lundi de janvier 2020), le contrat d’achat fut signé au mépris des lois sur les appels d’offres et la passation de marché. «C’est le conseiller du président de la République, Ardouin Zéphirin, qui a choisi le fabriquant, en dehors des procédures d’achat de biens ou services dans l’administration publique», peut-on lire dans le rapport.

«Le ministre de la Justice, celui de l’Économie et des Finances ne sont intervenus que pour entériner le choix du conseiller du président sans respect des normes et des procédures», révèle le rapport qui, même sans force contraignante, puisqu’elle n’est pas sanctionnée par une Assemblée dûement constituée, a au moins le mérite de tirer la sonette d’alarme. Peut-être que toute la frénésie avec laquelle le président Jovenel Moïse tweetait le deuxième lundi de janvier participait de cette stratégie globale d’avoir les coudées franches pour agir à l’abri de tout contrôle parlementaire…

Le tableau décrit par Youri Latortue, opposant farouche au pouvoir PHTK, mais habitué à mettre à jour des scandales de corruption qui éclaboussent de grands manitous, est pour le moins sombre. Il n’y a pas eu de cotation comparative pour apprécier les avantages qualité/prix; les pro-formas et cotations décrivent des blindés B6, alors qu’on a livré des blindés B4; aucun expert au niveau de la Policie nationale d’Haïti n’a participé au choix des matériels alors même que ceux-ci sont destinés à son service.

Quelle suite à ce rapport?

Le journal a contacté sans succès Ardouin Zéphirin et Normil Rameau, respectivement conseiller du président de la République et directeur général de la Police nationale. Entre autres recommandations, le rapport de l’ancien président du Sénat Youri Latortue exige que les anciens ministres de la Justice Jean Roudy Aly et de l’Économie Joseph Jouthe [aujourd’hui Premier ministre] répondent de leur «violation des règlements d’achat de biens et services dans l’administration publique».

«Il faut Identifier les bénéficiaires de la surfacturation, restituer l’argent à l’état et punir ces corrompus selon la loi», appelle le rapport, soulignant que Zéphirin Ardouin, conseiller tout-puissant du président de la République, devrait expliquer en vertu de quelles compétences, il a décidé de «choisir lui même un fabriquant sans la consultation du haut état major de la Police nationale».

Même en pleine crise sanitaire mondiale, il y a lieu de ne pas baisser la garde contre la corruption dont la corrélation avec la vulnérabilité globale d’Haïti, à un moment où le Covid-19 est à nos portes, n’est plus à démontrer.


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